La Revue du Spectacle, le magazine des arts de la scène et du spectacle vivant. Infos théâtre, chanson, café-théâtre, cirque, arts de la rue, agenda, CD, etc.



Augmenter la taille du texte
Diminuer la taille du texte
Partager
Théâtre

"MADAM, l'Intégrale" Carnet de voyage en six épisodes d'une artiste

"MADAM (Manuel d'Auto-Défense À Méditer)" est un vaste projet qu'Hélène Soulié réalise depuis plus de cinq ans. Un projet qui lui a demandé de parcourir la France et au-delà pour rechercher des témoignages, interroger les mal-êtres et les revendications, découvrir des portraits étonnants. Aujourd'hui, ce sont six spectacles pour lesquels elle a convoqué des castings prestigieux. À commencer par les autrices, toutes chevronnées et investies dans le théâtre vivant, Marine Bachelot Nguyen, Marie Dilasser, Mariette Navarro, Solenn Denis, Claudine Galea, Magali Mougel et Hélène Soulié en coécriture dans la plupart des textes.



© Marie Clauzade.
© Marie Clauzade.
Mais aussi des universitaires, scientifiques, intellectuelles de diverses disciplines : Maboula Soumahoro, chercheuse et maîtresse de conférences ; Éliane Viennot, historienne, grammairienne ; Delphine Gardey, historienne, sociologue ; Rachele Borghi, géographe. Bref, un panel de talents et de compétences pour travailler à la construction des spectacles.

La réalisation n'a rien à envier à ce casting. Ce sont cinq comédiennes, elles aussi, investies et talentueuses qui seront le verbe et les corps de ces spectacles : Lenka Luptakova, Christine Braconnier, Lymia Vitte, Claire Engel, Marion Coutarel et Hélène Soulié herself dans son propre rôle d'enquêtrice, de chercheuse, de naïve et d'empêcheuse de tourner en rond ou d'en rester là ou de dire c'est comme ça, c'est ainsi, c'est la vie, ça a toujours été ainsi, c'est dans l'ordre des choses…

Pourquoi cette nécessité de nommer toutes ces personnes ? Primo, parce que cette poignée de spectacles s'inscrit entre réalité et fiction. Qu'ils sont spectacles engagés. Qu'ils ont tous en commun un questionnement sur la place des femmes dans la société, dans le sort qui leur est réservé, dans leurs libertés, l'histoire de ces libertés, dans les contraintes et les empêchements qui leur sont faits, et le pourquoi de toutes les discriminations que l'ordre social instaure. Secondo, parce que toutes les participantes à ces six spectacles sont, comme vous l'aurez remarqué, des femmes : autant dire celles qui savent de quoi il est question.

© Marie Clauzade.
© Marie Clauzade.
Pour construire ces histoires, Hélène Soulié emploie la même démarche. Partant de faits réels, de personnages de la vie civile qu'elle rencontre personnellement, elle demande, d'une part, à une autrice de produire un texte qui sera dit par une seule interprète, d'autre part, à une scientifique d'intervenir sur le plateau dans une sorte d'entretien pour répondre, argumenter et enrichir la thématique abordée dans la partie jouée par la comédienne. Situations particulières, personnelles, intimes parfois se mêlent ainsi à des questionnements plus vastes, plus sociales, plus définies dans l'Histoire.

Mais avant tout, l'actualité palpite. Dans "Madam#1", ce sera le port du voile dans l'espace public, dont le débat en France dure depuis plus de vingt ans, mais aussi le racisme indicible de notre société, deux sujets réunis par la même omerta, le même déni. Que se cache-t-il en réalité sous le discours officiel sur les libertés individuelles et l'égalité des chances ?

Ce sera encore un espace de liberté dans le deuxième spectacle : celui de l'espace public, la nuit, le monde des tagueurs, pas forcément celui des tagueuses, mais aussi de tout ce qui peut être déviant, provocateur, interpellant, et hors des passages piétons, des clous, hors normes. L'espace virtuel n'est pas négligé non plus avec le "Madam#4". Là aussi, il faut jouer des coudes, des neurones et des codes pour agir et faire sa place. Car, là aussi, l'homme a posé ses griffes et délimité le plus vaste territoire pour lui-même.

La somme de ces six spectacles, sans avoir la volonté de faire le tour des questionnements de genre, de sexe, d'identité, d'injonctions et des discours dominants, tente de montrer au contraire celles qui, par leurs démarches politiques, par leur vie, par leur travail, poussent les barrières, s'imposent et ouvrent des horizons nouveaux à toutes les petites filles qui suivront. Ainsi sont mis également en scène les témoignages de sportives de haut niveau, ceux de sauveteuses en mer, de celles qui cueillent hors de l'eau les rescapés des traversées funèbres de méditerranée, ou celles qui prennent un travail d'homme, comme celui de berger de transhumance… et donc une bergère… qui résiste seule face à tous.

© Marie Clauzade.
© Marie Clauzade.
Les six "Madam#" ont en commun cet espace donné, pris, réduit, conquis, à conquérir, à défendre, intellectuellement, physiquement, politiquement, cet espace toujours emmuré dans lequel la société patriarcale tient les destins des filles, des femmes et des minorités, enfermées.

Coup de cœur personnel pour l'extrêmement émouvant "Madam#5", sous-titré : "Ça ne passe pas". Le texte au scalpel de Claudine Galea, le jeu farouche de Lenka Luptákova, les témoignages des deux femmes marins, sauveteuses de ces humains qu'on laisse couler sans un regard.

Coup de cœur encore pour "Madam#2, Faire le Mur", où Christine Braconnier s'empare du texte de Marie Dilasser pour le transformer en ballet mythologique sous la direction et la mise en scène d'Hélène Soulié.

Coup de cœur final pour "Madam#6 – Et j'ai suivi le vent…" (vu au Théâtre de la Reine Blanche en février dernier) et l'extraordinaire vision poétique, fantastique et néanmoins ancrée dans la réalité du texte de Magali Mougel que Marion Coutarel donne de tout son corps avec une fantaisie brillante. Chapitre final de ce Manuel d'Auto- Défense qui clôt l'œuvre en allant puiser aux sources de la condamnation faite aux femmes par l'évocation des chasses aux sorcières du Moyen Âge. Ce qui ne date pas d'hier…

"MADAM, l'Intégrale"

© Marie Clauzade.
© Marie Clauzade.
Conception et mise en scène : Hélène Soulié, assistée de Lenka Luptakova et Claire Engel.
Texte et performance : Marine Bachelot NGuyen, Marie Dilasser, Mariette Navarro, Solenn Denis et Hélène Soulié, Claudine Galea, Magali Mougel.
Texte vidéo et interviews : Hélène Soulié.
Avec les actrices : Lenka Luptakova, Christine Braconnier, Lymia Vitte, en alternance avec Morgane Peters, Claire Engel et Marion Coutarel.
Les chercheuses et chercheurs : Maboula Soumahoro, Rachele Borghi, Éliane Viennot, Delphine Gardey.
Et les femmes marins : Claire et Marie Faggianelli.
Scénographie : Emmanuelle Debeusscher et Hélène Soulié.
Vidéo : Maïa Fastinger.
Lumières Maurice Fouilhé.
Costumes : Hélène Soulié, Catherine Sardi.
Création et régie son : Jérôme Moisson.
Régie Vidéo : Amaya Irigoyen.
Régie lumière et régie générale : Eva Espinosa.
Regard anthropologique : Loréna Favier.
Production : Compagnie EXIT.

Bruno Fougniès
Vendredi 21 Avril 2023

Nouveau commentaire :

Théâtre | Danse | Concerts & Lyrique | À l'affiche | À l'affiche bis | Cirque & Rue | Humour | Festivals | Pitchouns | Paroles & Musique | Avignon 2017 | Avignon 2018 | Avignon 2019 | CédéDévédé | Trib'Une | RV du Jour | Pièce du boucher | Coulisses & Cie | Coin de l’œil | Archives | Avignon 2021 | Avignon 2022 | Avignon 2023 | Avignon 2024 | À l'affiche ter




Numéros Papier

Anciens Numéros de La Revue du Spectacle (10)

Vente des numéros "Collectors" de La Revue du Spectacle.
10 euros l'exemplaire, frais de port compris.






À Découvrir

•Off 2024• "Mon Petit Grand Frère" Récit salvateur d'un enfant traumatisé au bénéfice du devenir apaisé de l'adulte qu'il est devenu

Comment dire l'indicible, comment formuler les vagues souvenirs, les incertaines sensations qui furent captés, partiellement mémorisés à la petite enfance. Accoucher de cette résurgence voilée, diffuse, d'un drame familial ayant eu lieu à l'âge de deux ans est le parcours théâtral, étonnamment réussie, que nous offre Miguel-Ange Sarmiento avec "Mon petit grand frère". Ce qui aurait pu paraître une psychanalyse impudique devient alors une parole salvatrice porteuse d'un écho libératoire pour nos propres histoires douloureuses.

© Ève Pinel.
9 mars 1971, un petit bonhomme, dans les premiers pas de sa vie, goûte aux derniers instants du ravissement juvénile de voir sa maman souriante, heureuse. Mais, dans peu de temps, la fenêtre du bonheur va se refermer. Le drame n'est pas loin et le bonheur fait ses valises. À ce moment-là, personne ne le sait encore, mais les affres du destin se sont mis en marche, et plus rien ne sera comme avant.

En préambule du malheur à venir, le texte, traversant en permanence le pont entre narration réaliste et phrasé poétique, nous conduit à la découverte du quotidien plein de joie et de tendresse du pitchoun qu'est Miguel-Ange. Jeux d'enfants faits de marelle, de dinette, de billes, et de couchers sur la musique de Nounours et de "bonne nuit les petits". L'enfant est affectueux. "Je suis un garçon raisonnable. Je fais attention à ma maman. Je suis un bon garçon." Le bonheur est simple, mais joyeux et empli de tendresse.

Puis, entre dans la narration la disparition du grand frère de trois ans son aîné. La mort n'ayant, on le sait, aucune morale et aucun scrupule à commettre ses actes, antinaturelles lorsqu'il s'agit d'ôter la vie à un bambin. L'accident est acté et deux gamins dans le bassin sont décédés, ceux-ci n'ayant pu être ramenés à la vie. Là, se révèle l'avant et l'après. Le bonheur s'est enfui et rien ne sera plus comme avant.

Gil Chauveau
14/06/2024
Spectacle à la Une

•Off 2024• Lou Casa "Barbara & Brel" À nouveau un souffle singulier et virtuose passe sur l'œuvre de Barbara et de Brel

Ils sont peu nombreux ceux qui ont une réelle vision d'interprétation d'œuvres d'artistes "monuments" tels Brel, Barbara, Brassens, Piaf et bien d'autres. Lou Casa fait partie de ces rares virtuoses qui arrivent à imprimer leur signature sans effacer le filigrane du monstre sacré interprété. Après une relecture lumineuse en 2016 de quelques chansons de Barbara, voici le profond et solaire "Barbara & Brel".

© Betül Balkan.
Comme dans son précédent opus "À ce jour" (consacré à Barbara), Marc Casa est habité par ses choix, donnant un souffle original et unique à chaque titre choisi. Évitant musicalement l'écueil des orchestrations "datées" en optant systématiquement pour des sonorités contemporaines, chaque chanson est synonyme d'une grande richesse et variété instrumentales. Le timbre de la voix est prenant et fait montre à chaque fois d'une émouvante et artistique sincérité.

On retrouve dans cet album une réelle intensité pour chaque interprétation, une profondeur dans la tessiture, dans les tonalités exprimées dont on sent qu'elles puisent tant dans l'âme créatrice des illustres auteurs que dans les recoins intimes, les chemins de vie personnelle de Marc Casa, pour y mettre, dans une manière discrète et maîtrisée, emplie de sincérité, un peu de sa propre histoire.

"Nous mettons en écho des chansons de Barbara et Brel qui ont abordé les mêmes thèmes mais de manières différentes. L'idée est juste d'utiliser leur matière, leur art, tout en gardant une distance, en s'affranchissant de ce qu'ils sont, de ce qu'ils représentent aujourd'hui dans la culture populaire, dans la culture en général… qui est énorme !"

Gil Chauveau
19/06/2024
Spectacle à la Une

•Off 2024• "Un Chapeau de paille d'Italie" Une version singulière et explosive interrogeant nos libertés individuelles…

… face aux normalisations sociétales et idéologiques

Si l'art de générer des productions enthousiastes et inventives est incontestablement dans l'ADN de la compagnie L'Éternel Été, l'engagement citoyen fait aussi partie de la démarche créative de ses membres. La présente proposition ne déroge pas à la règle. Ainsi, Emmanuel Besnault et Benoît Gruel nous offrent une version décoiffante, vive, presque juvénile, mais diablement ancrée dans les problématiques actuelles, du "Chapeau de paille d'Italie"… pièce d'Eugène Labiche, véritable référence du vaudeville.

© Philippe Hanula.
L'argument, simple, n'en reste pas moins source de quiproquos, de riantes ficelles propres à la comédie et d'une bonne dose de situations grotesques, burlesques, voire absurdes. À l'aube d'un mariage des plus prometteurs avec la très florale Hélène – née sans doute dans les roses… ornant les pépinières parentales –, le fringant Fadinard se lance dans une quête effrénée pour récupérer un chapeau de paille d'Italie… Pour remplacer celui croqué – en guise de petit-déj ! – par un membre de la gent équestre, moteur exclusif de son hippomobile, ci-devant fiacre. À noter que le chapeau alimentaire appartenait à une belle – porteuse d'une alliance – en rendez-vous coupable avec un soldat, sans doute Apollon à ses heures perdues.

N'ayant pas vocation à pérenniser toute forme d'adaptation académique, nos deux metteurs en scène vont imaginer que cette histoire absurde est un songe, le songe d'une nuit… niché au creux du voyage ensommeillé de l'aimable Fadinard. Accrochez-vous à votre oreiller ! La pièce la plus célèbre de Labiche se transforme en une nouvelle comédie explosive, électro-onirique ! Comme un rêve habité de nounours dans un sommeil moelleux peuplé d'êtres extravagants en doudounes orange.

Gil Chauveau
26/03/2024