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Théâtre

"Louise, elle est folle" Peut-être un voyage, un film, un slogan révolté ? Ou juste trois mots : musicalité, paillettes, absurde

Dans un univers fleuri peuplé de créatures étranges, des personnages toqués inventent de nouvelles normes. Leur groupe se construit à travers le rejet de l'Autre. Ils déversent une profusion d'arguments pour affirmer la folie présumée d'une jeune femme que l'on ne voit pas encore, Louise. Au fil de leurs partitions qui se dessinent comme une musique, cette obsession prend des formes tour à tour monstrueuses ou burlesques. Chacune et chacun se retrouvent face à un dilemme d'être un individu singulier au sein d'un collectif régi par des règles souterraines. Le jeu d'exclusion est-il infini ? Comment trouver plus fou que soi ?



© Didier Monge.
© Didier Monge.
En miroir les uns(es) des autres, entre ombres et lumières, ces êtres loufoques tentent de philosopher sur les concepts de réalité, d'horreur, de folie. Luttant entre énergie vitale et destructrice, ils entrent dans une valse folle en quête de vérité.
Les mouvements et les images expriment ce que les mots laissent entrevoir.

"Avec ce spectacle, j'ai cherché à transcender ma peur de la folie et me suis dit que la folie, c'est une résistance, un décalage intérieur qui permet de sortir du vide, de l'ennui et d'oser.
Mais c'est quoi être fou, c'est quand, c'est où ? C'est normal d'être fou ou c'est fou d'être normal ?"


Ces mots prononcés par Esther Wahl, la metteure en scène, et inspirés par un recueil de nouvelles intitulé "Les Monstres" de Leslie Kaplan, parviennent-ils à résonner vraiment sur la scène des Déchargeurs ? Nous nous sommes posés la question au terme de la représentation non sans entendre tout à fait les intentions et les objectifs convoités par cette jeune Compagnie…

© Didier Monge.
© Didier Monge.
La frontière entre l'écriture dramaturgique et les résolutions de mise en scène jusqu'à la création finale sont souvent titanesques et subtiles. Surtout lorsqu'il s'agit de l'écriture de Leslie Kaplan. Esther Walz s'y est frottée et c'est tout à son honneur! Elle qui est tombée tout à fait par hasard sur ce recueil dans lequel elle repère rapidement un monologue qui l'attire, voire la subjugue : celui d'une certaine Louise.

"Ce qui m'a attirée immédiatement, c'est cette écriture calligraphiée mêlée à une pensée métaphorique".

Ce à quoi notre jeune metteure en scène aurait pu rajouter "une écriture philosophique et absurde" quand bien même elle a bien conceptualisé cette dimension littéraire particulière parce qu'elle en parle !

Mais certains textes pourtant destinés au théâtre savent garder leur part de non-dits, peut-être inconscients eux-mêmes aux désirs de transmission du ou de la dramaturge. Sans doute est-ce le cas de ce texte tant la représentation à laquelle nous avons assisté nous est restée "énigmatique"…

© Didier Monge.
© Didier Monge.
Certes, nous étions prévenus(es) qu'il s'agissait d'un "théâtre chorégraphique non identifié" et, dans nos notes personnelles, nous avions même inscrit "Ovni". Aucun moment d'ennui, cela dit, au cours de la représentation ! Loin de là. Mais, à notre avis, un trop-plein d'intentions exaltées et fomentées via l'écriture du texte.

Les cinq comédiens et comédiennes sont néanmoins virevoltants et ne ménagent aucunement leur jeu ni le plaisir qu'ils en ont de l'interpréter. Cela se sent et se voit. Leur gestuelle est époustouflante de justesse et les moments chorégraphiques, agrémentés par des instants musicaux justement choisis, emportent le spectateur. Il y a du chant aussi. Très honorablement interprété.

Une sixième comédienne apparaît régulièrement dans un costume représentant un cafard et il faut souligner la précision et le réalisme de la confection de ce dernier ainsi que la plastique et la gestuelle raffinée de la comédienne l'interprétant, Carla Beccarelli. Un grand bravo à la costumière, Salomé Romano, pour l'ensemble aussi des autres costumes de ce spectacle, chatoyants, loufoques et burlesques.

Mais qui est ce cafard filiforme omniprésent sur le plateau qui reste dissimulé la plupart du temps derrière un grand cube au milieu de la scène ou qui en sort mystérieusement et avec élégance ? Faut-il y voir la métaphore de notre potentiel grain de folie à chacun et chacune d'entre nous ? Ou toute autre chose ? Et que représente exactement ce grand cube végétalisé et fleuri occupant une grande place sur le plateau ?

Serait-ce une métaphore du réel par exemple ? Celui que nous appréhendons chacun et chacune à notre manière et dont notre approche est parfois folle et démesurée ? La réalité ou l'éventualité de la folie de cette Louise qui, peut-être, n'est pas folle du tout d'ailleurs, laquelle nous renvoie indirectement à notre propre folie ?

"La mer est déchaînée, il y a la tempête il-y-a-la-tempête n'importe quoi à la météo ils disent n'importe quoi (…) on manque d'air, l'air est mauvais vicié pourri, l'air se déglingue se décompose s'au-to-dé-truit, le soleil approche à une vitesse grand V, personne ne dit rien mais moi je sais il fait trop chaud trop chaud trop chaud, je le sens je l'éprouve (…) on cuit on cuit on cuit oui on cuit il-y-a-de-la tempête".

Saluons à nouveau la performance de la jeune comédienne Louise Herrero dont nous avions déjà remarqué l'interprétation et l'incarnation remarquables d'Eurydice dans la pièce "Eurydice aux enfers" mise en scène par Gwendoline Destremau (compagnie "L'Eau qui dort").

© Didier Monge.
© Didier Monge.
Alors, qu'en est-il exactement de cette interprétation de la pièce de Leslie Kaplan dont il faut pourtant souligner qu'il procure au spectateur un moment de spectacle largement jouissif et déconnecté ? Car tout y est : le talent des six comédiens et comédiennes entremêlant danse, mime, chant et jeu théâtral, une scénographie juste et millimétrée au plateau, des musiques envoûtantes et un propos ambitieux !

Car mieux vaut qu'il le soit, ambitieux, le propos ! Car c'est du théâtre ! C'est peut-être là l'écueil de ce spectacle : un propos trop ambitieux dans lequel la metteure en scène s'est quelque peu laissée emporter et, au cours duquel, contrairement à ses comédiens et comédiennes qui le sont parfois dans la pièce, elle n'a pas été "empêchée" quant à elle.

Cela dit, ne manquez pas de découvrir cet "ovni" aux Déchargeurs.
Peut-être que vous retrouverez, dans l'expressionnisme revendiqué et l'humour décalé de la scénographie, une part insoupçonnée de vous-même, question folie !

"Louise, elle est folle"

Texte inspiré du recueil "Les Monstres" de Leslie Kaplan (aux Éditions POL).
Mise en scène : Esther Wahl.
Avec : Carla Beccarelli, Tom Béranger, Louise Herrero, Léo Hernandez, Clara Koskas et Angélique Nigris.
Lumières : Jeanni Dura.
Décor : Océane Lutzius.
Costumes : Salomé Romano.
Maquillages : Louna Doussaint.
Musique : Clément Boulier.
Compositions vocales : Diane Rumani.
Production Compagnie Chaos solaire.
Tout public.
Durée : 1 h 05.

Du 30 mars au 22 avril 2023.
Du jeudi au samedi à 19 h.
Théâtre les Déchargeurs - Nouvelle scène théâtrale et musicale, Salle Vicky Messica, Paris 1er, 01 42 36 00 50.
>> lesdechargeurs.fr

Brigitte Corrigou
Mercredi 5 Avril 2023

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© Jean-François Delon.
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Brigitte Corrigou
06/03/2024
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Vous pensez que vos choix sont libres ? Que vos pensées sont bien gardées dans votre esprit ? Que vous êtes éventuellement imprévisibles ? Et si ce n'était pas le cas ? Et si tout partait de vous… Ouvrez bien grands les yeux et vivez pleinement l'expérience de l'Effet Papillon !

© Pics.
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C'est à partir de cette théorie que le mentaliste Taha Mansour nous invite à nouveau, en cette rentrée, à effectuer un voyage hors du commun. Son spectacle a reçu un succès notoire au Sham's Théâtre lors du Festival d'Avignon cet été dernier.

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Brigitte Corrigou
08/09/2023
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"Deux mains, la liberté" Un huis clos intense qui nous plonge aux sources du mal

Le mal s'appelle Heinrich Himmler, chef des SS et de la Gestapo, organisateur des camps de concentration du Troisième Reich, très proche d'Hitler depuis le tout début de l'ascension de ce dernier, près de vingt ans avant la Deuxième Guerre mondiale. Himmler ressemble par son physique et sa pensée à un petit, banal, médiocre fonctionnaire.

© Christel Billault.
Ordonné, pratique, méthodique, il organise l'extermination des marginaux et des Juifs comme un gestionnaire. Point. Il aurait été, comme son sous-fifre Adolf Eichmann, le type même décrit par Hannah Arendt comme étant la "banalité du mal". Mais Himmler échappa à son procès en se donnant la mort. Parfois, rien n'est plus monstrueux que la banalité, l'ordre, la médiocrité.

Malgré la pâleur de leur personnalité, les noms de ces âmes de fonctionnaires sont gravés dans notre mémoire collective comme l'incarnation du Mal et de l'inimaginable, quand d'autres noms - dont les actes furent éblouissants d'humanité - restent dans l'ombre. Parmi eux, Oskar Schindler et sa liste ont été sauvés de l'oubli grâce au film de Steven Spielberg, mais également par la distinction qui lui a été faite d'être reconnu "Juste parmi les nations". D'autres n'ont eu aucune de ces deux chances. Ainsi, le héros de cette pièce, Félix Kersten, oublié.

Joseph Kessel lui consacra pourtant un livre, "Les Mains du miracle", et, aujourd'hui, Antoine Nouel, l'auteur de la pièce, l'incarne dans la pièce qu'il a également mise en scène. C'est un investissement total que ce comédien a mis dans ce projet pour sortir des nimbes le visage étonnant de ce personnage de l'Histoire qui, par son action, a fait libérer près de 100 000 victimes du régime nazi. Des chiffres qui font tourner la tête, mais il est le résultat d'une volonté patiente qui, durant des années, négocia la vie contre le don.

Bruno Fougniès
15/10/2023