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Théâtre

"Louise Weber dite la Goulue"… Du mordant et du talent !

Dans une superbe interprétation de Delphine Grandsart, la Goulue revit sur scène ! Dans un beau monologue écrit par Delphine Gustau, sa personnalité, sa truculence, sa vie, ses idées, sa gouaille nous invitent pendant une heure à nous faire redécouvrir ce qui a fait l'attrait, l'intérêt et la surprise des spectateurs, entre autres, du Moulin Rouge, du tout Paris et des chroniqueurs de l'époque.



© Philippe Wojazer.
© Philippe Wojazer.
Il est important de saluer avant tout une superbe prestation de Delphine Grandsart servi par le texte de Delphine Gustau qui ressuscite Louise Weber (1866-1929), alias La Goulue. Un sacré personnage qui hante encore aujourd'hui l'histoire du Moulin de la Galette, de l'Élysée-Montmartre et surtout du Moulin Rouge ; et qui est restée immortelle grâce à Toulouse-Lautrec (1864-1901). Devant nous, elle raconte son enfance, son métier, ses amours, son public, ses revendications politiques et sociales.

Sur scène se déploient une gouaille et une verve avec une voix forte, un peu perchée et appuyée, qui va chercher dans l'intonation des mots et les attitudes un brin de provocation. La prestation scénique est avant tout celle de postures et de gestiques où la voix et le corps sont mis en avant. Il s'agit autant de verve que de maintien, porté par des répliques où Delphine Gustau a taillé dans la langue un vocable autant populaire et châtié que brut et comique.

Elle était surnommée La Goulue en référence à son mentor Gaston Goulu Chilapane. Ou peut-être car elle finissait les verres des clients à chaque fin de représentation. On ne sait trop. Sa spécialité était le Chahut, une danse dérivée de la cachucha d'origine andalouse où les interprètes se cambrent en faisant voler leurs jupes au-dessus des genoux. Elle dansait aussi le quadrille et le "French Cancan" qu'elle a popularisé. Elle a été la première artiste à oser retrousser ses jupons jusqu'à la taille. C'est avant tout une artiste hors pair connue aussi pour ses frasques, son impertinence et ses mœurs.

© Philippe Wojazer.
© Philippe Wojazer.
La mise en scène de Gustau et Grandsart découpe le plateau en trois parcelles spatiales et temporelles, délimitées par des éclairages, sombres d'un côté et lumineux de l'autre, et des décors avec une table ronde, deux bouteilles et un miroir sur pied, côté cour, quant au milieu trône une sorte de paravent habillée de rouge. Ces parcelles représentent des tranches de vie de la célèbre danseuse, soit sur scène, soit dans les coulisses, soit dans une retraite miséreuse, côté jardin, dans un lieu noir un peu désolé, adossé contre un mur, où nous la voyons peinant à se mouvoir, la démarche ainsi que les propos hésitants, butant sur le sol et les mots. Entre autres événements, sa fin fut tragique avec la mort brutale de son fils âgé de 27 ans en 1923 qui la fit sombrer dans l'alcoolisme.

Ce sont trois grandes séquences séparées par quelques décennies qui sont jouées sur le plateau. La voilà donc âgée de 6 ans avec ses petits souliers, sa voix aiguë et haut perchée et son sourire timide où elle débute en 1872 devant Victor Hugo, coprésident du bal public de l'Élysée-Montmartre. C'est enfin et surtout en femme mature pétillante, qui nous fait face tout le long de la représentation, après avoir été à l'antenne du spectacle dans une scène où, âgée, sa situation était des plus précaires socialement et physiquement.

© Philippe Wojazer.
© Philippe Wojazer.
Selon les tableaux, ce sont des bégaiements, des lenteurs de débit ou quelque chose de dominateur, voire de timide et naïf, qu'on entend. La voix peut être fluette, fragile, tâtonnante comme enjouée. Féministe, elle le revendique ouvertement dans ses propos. Derrière le paravent en ombre chinoise, avec une aiguille à tricoter, elle simule son propre avortement. Provocation ou réalité, la scène pose le personnage en faisant écho à ses convictions.

C'est dans une échelle de temps des plus réduites qu'est construit ce caractère et qui inscrit la performance de Delphine Grandsart dans un registre de jeux des plus remarquables. Car on y croit de bout en bout. Elle campe son corps dans un espace où la gestuelle prend du volume, sans exagération, appuyée par une voix où se mêlent gouaille et maintien dominateur qui met en exergue le caractère de la Goulue libre et rebelle.

C'est donc l'artiste, la reine des planches, que nous voyons quasiment pendant tout le spectacle. On l'oublie, mais elle fut aussi, entre autres, dompteuse et actrice. Son intimité est mise à l'écart même si son rapport aux spectateurs, du Lucernaire cette fois-ci, est franc et direct. C'est aussi l'autre personnage avec lequel elle joue. Car le public, c'est aussi son "histoire", celle de sa célébrité où même les plus grands noms du monde politique et de l'art venaient la voir.

© Philippe Wojazer.
© Philippe Wojazer.
Il y a donc une double focale entre un public du passé dont elle parle avec ses grandes figures connues telles Renoir et Mistinguett et celui ici présent et qu'elle rend complice de sa truculence lors de la représentation comme un miroir de ce qu'elle projette de provocant par ses excès. Au jardin de Paris, elle a même apostrophé le prince de Galles, le futur Edouard VII : "Hé Galles ! Tu paies l'champagne ! C'est toi qui régales ou c'est ta mère qui invite ?". Il deviendra son amant.

Dans ce pré carré scénique où se joue près de soixante ans de vie, nous redécouvrons un personnage haut en couleur qui a fait chavirer par son audace et ses danses le Tout Paris. Ainsi, les ruptures de jeu donnent une forte dynamique à la représentation. C'est un monologue, mais pluriel par ces différents visages temporels. Autant la narration que les répliques, l'artiste que la provocatrice, la jeune enfant que la femme âgée, la danseuse que la féministe, la femme du peuple que la diva du Moulin Rouge, le récit que l'action cohabitent en alternance. Elle fait aussi quelques pas de danse et chante "La butte rouge" (1923). On entend aussi, en voix-off, Octave Mirbeau ou Anquetin qui le premier l'a croqué artistiquement.

C'est une vraie performance scénique qui fait de ce monologue un véritable plaisir théâtral où nous replongeons dans une vie à la fois riche, tragique et mouvementée… où artistes, politiques, chroniqueurs et quidams étaient admiratifs ou choqués par les multiples saillies de Louise Weber… ici dans une réincarnation talentueuse servie avec humour, audace et par un texte vif et bien écrit. Et gare aux deux premiers rangs !

"Louise Weber dite la Goulue"

© Philippe Wojazer.
© Philippe Wojazer.
Texte : Delphine Gustau.
Mise en scène : Delphine Grandsart et Delphine Gustau.
Avec : Delphine Grandsart (prix de l'artiste interprète féminine - Trophée de la Comédie musicale 2018).
Musique : Matthieu Michard.
Lumière : Jacques Rouveyrollis assisté de Jessica Duclos.
Costumes et décors : Delphine Grandsart.
Production : Les petites vertus.
Durée : 1 h.

Du 21 juin au 20 août 2023.
Du mercredi au samedi à 19 h, dimanche à 15 h 30.
Théâtre Le Lucernaire, Paris 6e, 01 45 44 57 34.
>> lucernaire.fr

Safidin Alouache
Mardi 8 Août 2023

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© Pics.
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Brigitte Corrigou
08/09/2023
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Hedwig bouscule les codes de la bienséance et va jusqu'au bout de ses rêves.
Ni femme, ni homme, entre humour queer et confidences trash, il/elle raconte surtout l'histoire de son premier amour devenu l'une des plus grandes stars du rock, Tommy Gnosis, qui ne cessera de le/la hanter et de le/la poursuivre à sa manière.

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Brigitte Corrigou
20/09/2023
Spectacle à la Une

"Zoo Story" Dans un océan d'inhumanités, retrouver le vivre ensemble

Central Park, à l'heure de la pause déjeuner. Un homme seul profite de sa quotidienne séquence de répit, sur un banc, symbole de ce minuscule territoire devenu son havre de paix. Dans ce moment voulu comme une trêve face à la folie du monde et aux contraintes de la société laborieuse, un homme surgit sans raison apparente, venant briser la solitude du travailleur au repos. Entrant dans la narration d'un pseudo-récit, il va bouleverser l'ordre des choses, inverser les pouvoirs et détruire les convictions, pour le simple jeu – absurde ? – de la mise en exergue de nos inhumanités et de nos dérives solitaires.

© Alejandro Guerrero.
Lui, Peter (Sylvain Katan), est le stéréotype du bourgeois, cadre dans une maison d'édition, "détenteur" patriarcal d'une femme, deux enfants, deux chats, deux perruches, le tout dans un appartement vraisemblablement luxueux d'un quartier chic et "bobo" de New York. L'autre, Jerry (Pierre Val), à l'opposé, est plutôt du côté de la pauvreté, celle pas trop grave, genre bohème, mais banale qui fait habiter dans une chambre de bonne, supporter les inconvénients de la promiscuité et rechercher ces petits riens, ces rares moments de défoulement ou d'impertinence qui donnent d'éphémères et fugaces instants de bonheur.

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La rencontre fortuite entre ces deux humains est en réalité un faux-semblant, tout comme la prétendue histoire du zoo qui ne viendra jamais, Edward Albee (1928-2016) proposant ici une réflexion sur les dérives de la société humaine qui, au fil des décennies, a construit toujours plus de barrières entre elle et le vivant, créant le terreau des détresses ordinaires et des grandes solitudes. Ce constat fait dans les années cinquante par l'auteur américain de "Qui a peur de Virginia Woolf ?" se révèle plus que jamais d'actualité avec l'évolution actuelle de notre monde dans lequel l'individualisme a pris le pas sur le collectif.

Gil Chauveau
15/09/2023