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Théâtre

"Liliom", des lumières de la fête aux ténèbres de la misère… spectacle !

Liliom, pièce plus que centenaire de Ferenc Molnár, continue de distiller ses images, son ambiance et son ton qui oscille sans cesse entre la farce du ridicule de la vie et le drame qui en est la pulsation. Si l'on s'amuse à voir cette pièce comme une représentation du monde, eh bien alors, le monde est une fête foraine qui brille de ses mille lumières et de ses musiques entraînantes. Mais lorsque les manèges s'arrêtent et que les ombres et le silence envahissent l'espace, alors les côtés moins glamours des humains se déchaînent.



© Antoine de Saint Phalle.
© Antoine de Saint Phalle.
Dans ce monde, au tout début de l'histoire, Liliom est une sorte de prince. Prince des bonimenteurs. Champion des hâbleurs. Roi des séducteurs. C'est lui qui tient le micro et sa veste brille de reflets satinés. Il est comme une star de radio crochet. Et il crochète les cœurs de toutes celles qui s'approchent. La plupart sont des boniches, des servantes, des soubrettes, toutes filles simples venues de la campagne s'engager auprès de patrons de la ville pour lesquels elles deviennent corvéables à merci. À la fête foraine, elles parviennent à prendre un peu de poudre aux yeux et reposer leurs mains abîmées dès vingt ans. C'est un rêve, un droit populaire, elles qui n'en ont pas beaucoup.

Elles y trouvent un peu d'amour aussi, des fois. C'est le cas de Julie, toute jeune boniche, qui s'entiche de Liliom presque sans le vouloir. Une histoire d'amour qui se noue à cause des circonstances. À cause des paroles. À cause de l'enchaînement des répliques, presque. Par hasard. Il n'y a rien de romantique dans la manière dont ces deux-là vont lier leurs sorts. Il y a plutôt une sorte de fatalité. Un dénuement de mots, de désirs, de sentiments et pourtant quelque chose d'inexprimable rend cette relation forte. L'inexprimable.

© Antoine de Saint Phalle.
© Antoine de Saint Phalle.
Au moment de la rencontre, lui a une vie bien installée, confortable, un bonimenteur admiré, choyé par la patronne du manège qui le convoite (Mme Muscat, interprétée avec une démesure magnifique par Isabelle Bonillo), et séducteur jamais en manque de chair fraîche. Julie aussi semble plutôt bien lotie, embauchée dans une maison où elle a trouvé une amie dans une autre bonne. Et tous deux vont, à cause de leur rencontre, perdre leur situation respective. D'un coup. Comme un mauvais sort. Et c'est le début de la misère. Une misère sociale qui s'accompagne de mal logement, de manque d'argent, de faim, d'alcool, de jeu, de coups, mauvais coups, coups de couteau.

Mais cette pièce n'est pas une pièce réaliste, elle est autant allégorie que fable. Car si la vie se déroule dans un monde qui est aussi faux qu'une fête foraine, la mort, elle aussi, a des airs de farce ou de fable. Et Liliom ne trouve même pas grâce auprès des instances paradisiaques. Pas à cause du manque de commisération de celles-ci, mais bien à cause du mauvais garçon qui ne parvient pas à réparer ses fautes.

© Antoine de Saint Phalle.
© Antoine de Saint Phalle.
L'adaptation et la mise en scène de Myriam Muller met l'accent sur le côté humain des personnages, gommant les vieilleries de langage pour leur donner une voix contemporaine. Pourtant, c'est bien la difficulté à dire, à s'exprimer qui semble diriger, épisode après épisode, Liliom et Julie qui ne parviennent pas à exprimer leurs sentiments. Ils ne savent pas dire. Comme si leur culture, leur morale, ou quelles que soient leurs échelles de valeur, les empêchaient d'exprimer ce qu'ils ressentent. La pudeur, peut-être. L'honneur parfois, lorsque Liliom refuse de retourner travailler chez la patronne du manège…

Sur scène, un très beau dispositif sur plusieurs niveaux tourne sur lui-même. Des chambres, des cuisines, des escaliers, des trappes, des échappées, tous imbriqués, rendent parfaitement compte de l'exiguïté des logements où réside tout ce petit peuple pauvre. À tous les niveaux, les interprètes (également chanteurs et musiciens) apparaissent et s'effacent suivant les besoins, comme dans un drôle de jouet géant.

Tous sont tous imprégnés par leurs personnages, totalement crédibles, magnifiquement gouailleurs, authentiquement gueulards, fêtards et furies. Cela a parfois des airs d'opéra des gueux. Mi-théâtre, mi-musical. Avec une mise en scène qui donne une belle part au jeu et qui parvient à jeter des froids bénéfiques quand la violence de l'homme se déchaîne sur la femme. Petit rappel de la réalité dans cette farce grandiose.

Vu au Théâtre Le Kiasma à Castelnau-le-Lez, dans le cadre du Printemps des Comédiens, le 2 juin 2024

"Liliom ou la vie et mort d'un vaurien"

© Antoine de Saint Phalle.
© Antoine de Saint Phalle.
Légende de banlieue en sept tableaux de Ferenc Molnár.
Traduction du hongrois : Alexis Maori, Kristina Rády et Stratis Vouyoucas (éditée aux éditions Théâtrales).
Adaptation et mise en scène : Myriam Muller.
Assistant à la mise en scène : Antoine Colla.
Avec : Mathieu Besnard, Sophie Mousel, Isabelle Bonillo, Manon Raffaelli, Raoul Schlechter, Jules Werner, Valéry Plancke, Jorge De Moura, Rhiannon Morgan, Clara Orban, Catherine Mestoussis.
Scénographie : Christian Klein.
Costumes : Sophie Van den Keybus.
Lumières : Renaud Ceulemans.
Vidéos : Emeric Adrian.
Direction musicale : Jorge De Moura et Jules Werner.
Création sonore : Patrick Floener.
Couture : Manuela Giacometti.
Habillage : Anna Bonelli et Fabiola Parra.
Maquillage : Joël Seiller et Laurence Thomann.
Accessoires : Marko Mladenovic.
Production : Les Théâtres de la Ville de Luxembourg
À partir de 12 ans.
Durée : 1 h 30.

A été joué au Théâtre Le Kiasma, Castelnau-le-Lez (34), du 31 mai au 2 juin 2024, dans le cadre de la 38ᵉ édition du Printemps des Comédiens (du 30 mai au 21 juin 2024).
>> printempsdescomediens.com

Tournée
Du 12 au 14 juin 2024 : Théâtre du Nord - CDN Lille-Tourcoing-Hauts de France, Lille (59).
Du 19 au 21 juin 2024 : Théâtres de la ville de Luxembourg.

Bruno Fougniès
Mardi 4 Juin 2024

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© Ève Pinel.
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© Betül Balkan.
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On retrouve dans cet album une réelle intensité pour chaque interprétation, une profondeur dans la tessiture, dans les tonalités exprimées dont on sent qu'elles puisent tant dans l'âme créatrice des illustres auteurs que dans les recoins intimes, les chemins de vie personnelle de Marc Casa, pour y mettre, dans une manière discrète et maîtrisée, emplie de sincérité, un peu de sa propre histoire.

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© Philippe Hanula.
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