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Théâtre

Les nouveaux guerriers involontaires de la liberté

"L'Envol des cigognes", Théâtre du Soleil, Paris

Sous le miroir bleuté de ses flots et sous ses rives dorées par le sable et ciselées par ses criques, la Méditerranée cache depuis des millénaires des morts absurdes. Depuis les héros de la guerre de Troie, les ruines brûlantes de Sodome et d’Éphèse, depuis les naufrages des compagnons d'Ulysse jusqu'aux noyades de nos compagnons les migrants, toute l'histoire de cette mer intérieure est faite de convulsions sauvages et de fulgurances mystiques qui y ont fait naître les trois religions monothéistes qui sont l'engrais de nos guerres actuelles.



© Antoine Agoudjian.
© Antoine Agoudjian.
Les personnages de "L'Envol des cigognes" voient ainsi leur quotidien s'embraser. Leur maison, leur ville, leurs rues devenues soudain zone de combat. Leurs voisins obligés de choisir un camp : hier concitoyen, aujourd'hui chiens enragés. Ce sont eux, les mêmes personnages que l'on a vus s'ébattre dans un pays en paix dans Le dernier jour de jeûne, qui vont être les acteurs de cette tragédie, et les témoins.

Mais le spectacle évite, avec une volonté sans failles, de tomber dans le tragique documentaire, télévisuel ou médiatique aux larmes dessalées. Ce sont la force de vie, l'éclat de rire et d'amour, les folies douces et nécessaires que Simon Abkarian suit de scène en scène. Dans cette ville rendue aux combats de rue, aux snipers, aux sièges, la narration s'attache à l'espoir et aux moments de joie où l'humain reste l'unique trésor à sauvegarder.

Même si la folie tente de ronger toutes les fiertés, toutes les consciences, les personnages de cette fresque contemporaine se battent autant contre l'ennemi fanatique que contre la sauvagerie que la guerre engendre, capable de détruire ce qu'ils sont, ce en quoi ils croient. C'est toute la beauté de cette écriture qui veut à toute force préserver la lumière sur la nuit, mais qui n'élude pas les choix impossibles.

© Antoine Agoudjian.
© Antoine Agoudjian.
Simon Abkarian sait de quoi il parle, lui qui a vécu une partie de son enfance au Liban. Mais on sent derrière ses mots une urgence, une impossibilité de se taire face au terrorisme islamique actuel. Et les questionnements cherchent tout au long de la pièce des réponses. Le rythme est saccadé par les rafales de Kalachnikov et les explosions, les changements de décors ne cessent de souligner l'incertitude même des perspectives, pendant tout le début de la pièce la mise en scène nous fait ressentir le malaise de ne pas savoir où l'on va. Une sensation qui retranscrit l'état de guerre. Cette guerre qui jette les hommes et les femmes dans des choix définitifs.

Tout ce que la tristesse, la profonde et inconsolable tristesse a de beau, de majestueux et de bouleversant, est là qui se soulève sous chaque pas des comédiens et sous les mots crus ou lyriques qui font l'écriture de Simon Abkarian.

Il n'y a rien de misérable, rien de pitoyable. L'homme dans ses folies fanatiques, ses cruautés est-il digne de pitié ? Rien d'amer non plus. Toujours résonne à la moindre occasion un hymne à la vie qui chante plus haut que le son des kalachnikovs.

"Le Dernier Jour du jeûne" est la première partie du diptyque intitulé "Au-delà des ténèbres" écrit et mis en scène par Simon Abkarian, actuellement à l'affiche au Théâtre du Soleil. La deuxième partie, "L'Envol des cigognes", se joue en alternance, les deux spectacles en intégrale les samedis et dimanches.

"L'Envol des cigognes"

© Antoine Agoudjian.
© Antoine Agoudjian.
Écriture et mise en scène : Simon Abkarian.
Collaboration artistique : Pierre Ziadé.
Avec : Simon Abkarian, Maral Abkarian, Ariane Ascaride, Serge Avédikian, Assaâd Bouab, Pauline Caupenne, Laurent Clauwaert, Délia Espinat Dief, Marie Fabre, Victor Fradet, Eric Leconte, Eliot Maurel, Océane Mozas, Chloé Réjon, Catherine Schaub-Abkarian , Igor Skreblin.
Lumière : Jean-Michel Bauer.
Son et Vidéo : Olivier Renet.
Décor : Noëlle Ginefri-Corbel.
Régie Générale : Pierre-Yves Froehlich.
Régie plateau : Laurent Clauwaert.
Accessoires : Philippe Jasko.
Costumes : Anne-Marie Giacalone.
Régie : Maral Abkarian.
Danse : Philippe Ducou.
Durée du spectacle : 3 h 30.

Du 5 septembre au 14 octobre 2018.
Du mercredi au vendredi à 19 h 30, en alternance.
"L'Envol des cigognes" : mercredis 12 et 26 septembre + mercredis 3 et 10 octobre + tous les jeudis.
"Le Dernier Jour du jeûne" : mercredis 5 et 19 septembre + tous les vendredis.
Version intégrale des deux spectacles : samedi à 16 h et dimanche à 13 h (entracte d'une heure entre les deux spectacles).
Théâtre du Soleil, Cartoucherie de Vincennes, Paris 12e, 01 43 74 24 08.
>> theatre-du-soleil.fr

Bruno Fougniès
Samedi 15 Septembre 2018

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© Audrey Bären.
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