La Revue du Spectacle, le magazine des arts de la scène et du spectacle vivant. Infos théâtre, chanson, café-théâtre, cirque, arts de la rue, agenda, CD, etc.



Augmenter la taille du texte
Diminuer la taille du texte
Partager
Théâtre

Les marionnettes à Charleville-Mézières… une constellation d’imaginaires et de talents inattendus

Festival Mondial des Théâtres de Marionnettes de Charleville-Mézières 2017

C'était à Charleville dans les rues qui grouillaient en cette fin d'été et au hasard des rencontres. La Revue du Spectacle a pu voir Guignol qui, grâce à Dychka et Compagnie, racontait, dans un livre à pantins, la vie de son créateur Laurent Mourguet.



"Une Carmen en Turakie" © Clément Caron.
"Une Carmen en Turakie" © Clément Caron.
Hathi, un éléphant des Indes rouge qui était passé par la Catalogne (Centre de Titelles de Lleida) déambulait avec grâce place Ducale, pendant que la Cie Histoire d’Eux dévoilait les secrets de la machine théâtrale de "L'illustre théâtre des frères Sabbattini" avec les "Aventures et mésaventures du baron de Münchaüsen". La Compagnie Areski présentait son théâtre de papier décalé, "Millefeuilles", avec des hop et des surprises (pop-up).

La Revue du Spectacle a particulièrement apprécié :
"Une Carmen en Turakie" par le Théâtre Turak.

C'est aux confins de la Turakie, ce pays qui n'existe pas, aux contacts de la Beurtaigne maritime, qu'a été faite une découverte archéologique sensationnelle, une inscription "ar men" accompagnée d'une galette sonore d'un certain Georges Bizet auteur d'une œuvre inconnue, "Carmen". L'énigme sera vite résolue et une reconstitution fidèle présentée au public.

"Une Carmen en Turakie" © Romain Étienne.
"Une Carmen en Turakie" © Romain Étienne.
Il est vrai que les savants Turaks ont quelques lacunes, ne connaissant pas le sens de certains mots, non plus les arènes, les toréadors ou certaines fadaises civilisationnelles.

La proposition scénique est désopilante. Foutraque, branque, acidulée dans le jeu, aventureuse dans les orchestrations, ludique dans les transitions, l'œuvre avance d'airs connus en airs connus, avec célérité, se jouant des anachronismes et des raccourcis . En terre de Turakie, cette Carmen raconte une histoire de passion, de tempête, de sable et de clair de lune.

Résolument optimiste pleine d'humour cette version se révèle, somme toute, étonnamment fidèle pour le spectateur habitué de ces mises en scène contemporaines qui jouent noblement avec le kitsch.

Cette Carmen est absolument i["turake"i], et le spectateur adore.

"Le Tarot des Parques" par la Cie Full Circle

Dans "Le Tarot des Parques", le spectateur quoi qu'il s'en défende est happé par la loterie du destin.

Deux officiantes tirent le tarot. Désinvoltes, ironiques, distraites, cyniques, fatalitaires, elles résolvent à leur manière les arcanes de cartes géantes au hasard du public.

Dans le cliquetis discret mécanique et monotone d'une roue du destin, sous la présence oppressante des Parques (ces trois divinités énigmatiques et toutes puissantes), dans le cadre d'un castelet mystérieux, elles illustrent de courts apologues, absurdes et sans morale.

"Le Tarot des Parques" © Cie Full Circle.
"Le Tarot des Parques" © Cie Full Circle.
Dans chaque histoire, interviennent des personnages traditionnels des fables ésopiques (animaux dominants et dominés) qui sont plongés dans une situation paradoxale. Les énigmes restent irrésolues sous le coup du Hasard sans la Nécessité. Sans le pourquoi ni le comment.

Le spectateur est confronté au fait marionnettique dans son arbitraire et son ironie. Rarement les masques, les manipulateurs et les marionnettes de table ont atteint un tel niveau dans l'apparition du surnaturel.

À cet égard, les masques ont une toute-puissance que ne peut atteindre une expression hologrammatique alors que les petites marionnettes qui portent des masques révèlent leur fragilité enfantine et toute humaine.

En s'emparant des codes du divinatoire, en jouant à cache-cache avec la réalité, ce spectacle donne le frisson du destin, ou de la fatalité : c'est selon. Il rejoint le mythe. Cela est des plus réjouissants. Et des plus bienfaisants.

"Sweet Home" © Théâtre La Licorne.
"Sweet Home" © Théâtre La Licorne.
"Sweet home, sans états d'âme" par le Théâtre La Licorne

Dans "Sweet home", il est question de la voisine du rez-de-chaussée : celle qui vit seule, recluse, jalouse de la lumière des étages supérieurs. Qui se sent humiliée. Celle qui voit tout, surveille tout et approfondit ses rancœurs, recuit ses vengeances, obsédée par une seule idée : gagner les étages supérieurs par tous les moyens, et qui, pour les assouvir, sourit en façade le jour. Elle est une angoisse pour voisins.

Rita Tchenko est époustouflante. Cette comédienne illustre de manière exemplaire les chemins de la paranoïa. Grimée, maquillée, masquée, elle tient à distance le personnage dans son excès de caricature. La fiction est tellement affirmée qu'elle prend une dimension réelle et surnaturelle : une dimension de cauchemar.

Les objets de la vie courante prennent eux à rebours toute la charge émotive, tout l'affect. Avec "Sweet home", le Théâtre la Licorne, avec ses propositions d'objets et de marionnettes, inverse les propositions. De la personne humaine, elle fait poupée maléfique et offre à la matière brute l'approche d'une âme.

Le parcours du spectacle, dans sa rigueur, en devient pédagogique. Le public découvre les tenants d'un fait divers. C'est passionnant.

"Transit" © Théâtre pour 2 mains.
"Transit" © Théâtre pour 2 mains.
"Transit" par le Théâtre pour 2 mains

Lily a des bottes rouges et veut retrouver son père perdu dans les montagnes où il "conte" ses moutons sous forme de dessins. Que sa fille veut reproduire en vrai. Elle suit comme il se doit l'étoile du berger et affronte les vents, les peurs, la fatigue des montagnes, atteint les cimes et dépeint ses états d'âme.

La marionnette double de la manipulatrice (Cécile Doutey) s'aventure dans un univers de pendrillons de papier blanc qui subit des métamorphoses en continu.

Magnifique, l'artiste joue et peint en direct. Dans un mouvement fluide, son geste, et son trait rétroprojeté, s'inscrivent dans un récit filmique animé. L'escabeau du peintre, lui, devient abri, loup menaçant, arbre protecteur ou montagne lumineuse.

La fable envahit tout l'espace avec une force poétique et dramatique intense. Le public est heureux du destin de la petite Lily.

"Jaja ou la vie foutraque d'Alfred Jarry" par la Cie Zouak

"Jaja" par la Cie Zouak © DR.
"Jaja" par la Cie Zouak © DR.
Alban Thierry raconte la terrifique vie d'Alfred Jarry qui vécut à l'ombre de sa chouette et sous l'emprise des personnages, bien peu fréquentables, d'Ubu (qui dit merdre à toute occasion et décervelle à plaisir) en compagnie de mère Ubu (qui pousse au crime). Ce qui en fait des personnages éminemment mythiques.

La proposition scénique mêle jeu, marionnettes et projections animées. Le comédien montre un Jarry déjanté, aimant déconner en vélo et boire à plus soif l'absinthe.

Connaissant bien les mauvaises façons de Polichinelle (autre personnage plein de pétards), il tire avec une joie certaine le portrait d'un homme possédé par une vitalité toute rabelaisienne à la vie trop brève. C'est drôle et instructif.

Car le spectacle pointe, au-delà d'Ubu, une création littéraire intense qui ne se résume pas loin s'en faut aux seules variations de celui-ci.

Le "surmale" et "gestes et opinions du docteur Faustroll, pataphysicien" sont même promis dès leur création à un brillant avenir posthume.

Alban Thierry se révèle fin pataphysicien.

>> Théâtre Turak

>> Cie Full Circle

>> Théâtre La Licorne

>> Théâtre pour 2 mains

>> Cie Zouak

Jean Grapin
Mardi 26 Septembre 2017

Nouveau commentaire :

Théâtre | Danse | Concerts & Lyrique | À l'affiche | À l'affiche bis | Cirque & Rue | Humour | Festivals | Pitchouns | Paroles & Musique | Avignon 2017 | Avignon 2018 | Avignon 2019 | CédéDévédé | Trib'Une | RV du Jour | Pièce du boucher | Coulisses & Cie | Coin de l’œil | Archives | Avignon 2021 | Avignon 2022 | Avignon 2023 | Avignon 2024 | À l'affiche ter




Numéros Papier

Anciens Numéros de La Revue du Spectacle (10)

Vente des numéros "Collectors" de La Revue du Spectacle.
10 euros l'exemplaire, frais de port compris.






À Découvrir

•Off 2024• "Mon Petit Grand Frère" Récit salvateur d'un enfant traumatisé au bénéfice du devenir apaisé de l'adulte qu'il est devenu

Comment dire l'indicible, comment formuler les vagues souvenirs, les incertaines sensations qui furent captés, partiellement mémorisés à la petite enfance. Accoucher de cette résurgence voilée, diffuse, d'un drame familial ayant eu lieu à l'âge de deux ans est le parcours théâtral, étonnamment réussie, que nous offre Miguel-Ange Sarmiento avec "Mon petit grand frère". Ce qui aurait pu paraître une psychanalyse impudique devient alors une parole salvatrice porteuse d'un écho libératoire pour nos propres histoires douloureuses.

© Ève Pinel.
9 mars 1971, un petit bonhomme, dans les premiers pas de sa vie, goûte aux derniers instants du ravissement juvénile de voir sa maman souriante, heureuse. Mais, dans peu de temps, la fenêtre du bonheur va se refermer. Le drame n'est pas loin et le bonheur fait ses valises. À ce moment-là, personne ne le sait encore, mais les affres du destin se sont mis en marche, et plus rien ne sera comme avant.

En préambule du malheur à venir, le texte, traversant en permanence le pont entre narration réaliste et phrasé poétique, nous conduit à la découverte du quotidien plein de joie et de tendresse du pitchoun qu'est Miguel-Ange. Jeux d'enfants faits de marelle, de dinette, de billes, et de couchers sur la musique de Nounours et de "bonne nuit les petits". L'enfant est affectueux. "Je suis un garçon raisonnable. Je fais attention à ma maman. Je suis un bon garçon." Le bonheur est simple, mais joyeux et empli de tendresse.

Puis, entre dans la narration la disparition du grand frère de trois ans son aîné. La mort n'ayant, on le sait, aucune morale et aucun scrupule à commettre ses actes, antinaturelles lorsqu'il s'agit d'ôter la vie à un bambin. L'accident est acté et deux gamins dans le bassin sont décédés, ceux-ci n'ayant pu être ramenés à la vie. Là, se révèle l'avant et l'après. Le bonheur s'est enfui et rien ne sera plus comme avant.

Gil Chauveau
14/06/2024
Spectacle à la Une

•Off 2024• Lou Casa "Barbara & Brel" À nouveau un souffle singulier et virtuose passe sur l'œuvre de Barbara et de Brel

Ils sont peu nombreux ceux qui ont une réelle vision d'interprétation d'œuvres d'artistes "monuments" tels Brel, Barbara, Brassens, Piaf et bien d'autres. Lou Casa fait partie de ces rares virtuoses qui arrivent à imprimer leur signature sans effacer le filigrane du monstre sacré interprété. Après une relecture lumineuse en 2016 de quelques chansons de Barbara, voici le profond et solaire "Barbara & Brel".

© Betül Balkan.
Comme dans son précédent opus "À ce jour" (consacré à Barbara), Marc Casa est habité par ses choix, donnant un souffle original et unique à chaque titre choisi. Évitant musicalement l'écueil des orchestrations "datées" en optant systématiquement pour des sonorités contemporaines, chaque chanson est synonyme d'une grande richesse et variété instrumentales. Le timbre de la voix est prenant et fait montre à chaque fois d'une émouvante et artistique sincérité.

On retrouve dans cet album une réelle intensité pour chaque interprétation, une profondeur dans la tessiture, dans les tonalités exprimées dont on sent qu'elles puisent tant dans l'âme créatrice des illustres auteurs que dans les recoins intimes, les chemins de vie personnelle de Marc Casa, pour y mettre, dans une manière discrète et maîtrisée, emplie de sincérité, un peu de sa propre histoire.

"Nous mettons en écho des chansons de Barbara et Brel qui ont abordé les mêmes thèmes mais de manières différentes. L'idée est juste d'utiliser leur matière, leur art, tout en gardant une distance, en s'affranchissant de ce qu'ils sont, de ce qu'ils représentent aujourd'hui dans la culture populaire, dans la culture en général… qui est énorme !"

Gil Chauveau
19/06/2024
Spectacle à la Une

•Off 2024• "Un Chapeau de paille d'Italie" Une version singulière et explosive interrogeant nos libertés individuelles…

… face aux normalisations sociétales et idéologiques

Si l'art de générer des productions enthousiastes et inventives est incontestablement dans l'ADN de la compagnie L'Éternel Été, l'engagement citoyen fait aussi partie de la démarche créative de ses membres. La présente proposition ne déroge pas à la règle. Ainsi, Emmanuel Besnault et Benoît Gruel nous offrent une version décoiffante, vive, presque juvénile, mais diablement ancrée dans les problématiques actuelles, du "Chapeau de paille d'Italie"… pièce d'Eugène Labiche, véritable référence du vaudeville.

© Philippe Hanula.
L'argument, simple, n'en reste pas moins source de quiproquos, de riantes ficelles propres à la comédie et d'une bonne dose de situations grotesques, burlesques, voire absurdes. À l'aube d'un mariage des plus prometteurs avec la très florale Hélène – née sans doute dans les roses… ornant les pépinières parentales –, le fringant Fadinard se lance dans une quête effrénée pour récupérer un chapeau de paille d'Italie… Pour remplacer celui croqué – en guise de petit-déj ! – par un membre de la gent équestre, moteur exclusif de son hippomobile, ci-devant fiacre. À noter que le chapeau alimentaire appartenait à une belle – porteuse d'une alliance – en rendez-vous coupable avec un soldat, sans doute Apollon à ses heures perdues.

N'ayant pas vocation à pérenniser toute forme d'adaptation académique, nos deux metteurs en scène vont imaginer que cette histoire absurde est un songe, le songe d'une nuit… niché au creux du voyage ensommeillé de l'aimable Fadinard. Accrochez-vous à votre oreiller ! La pièce la plus célèbre de Labiche se transforme en une nouvelle comédie explosive, électro-onirique ! Comme un rêve habité de nounours dans un sommeil moelleux peuplé d'êtres extravagants en doudounes orange.

Gil Chauveau
26/03/2024