La Revue du Spectacle, le magazine des arts de la scène et du spectacle vivant. Infos théâtre, chanson, café-théâtre, cirque, arts de la rue, agenda, CD, etc.



Augmenter la taille du texte
Diminuer la taille du texte
Partager
Théâtre

Les Tombées de la Nuit ou l'itinéraire des rêveurs éveillés

Brouilleur de frontières, le festival des Tombées de la Nuit nous fait découvrir toutes sortes de créations. À côté de spectacles purement réflexifs gît l'onirique, qui offre un parcours merveilleux. Thomas Chaussebourg et la compagnie Circ'Ombelico y occupent une place de choix.



"Ma bête noire" © Nicolas Joubard
"Ma bête noire" © Nicolas Joubard
Sur le bitume de la dalle Kennedy, dans une alcôve improvisée du parc du Thabor, bien installé dans une loge de l'Opéra ou encore à l'intérieur du ventre d'un camion garé près du Liberté... Le spectateur du festival des Tombées de la Nuit fait l'expérience d'une topographie particulière de la ville de Rennes. Pour la dixième année, l'espace public, son rapport avec l'habitant et le simple marcheur est interrogé, sondé par des démarches artistiques variées. À travers une cinquantaine de spectacles dispersés à travers la cité, l'incongru jaillit du quotidien comme il est de mise avec l'art de rue. Mais ce dernier est loin d'être le seul mode d'exploration des lieux du quotidien : souvent, c'est le théâtre et la musique qui s'adaptent au bitume et non le contraire. Parfois, c'est la rue qui s'approprie des salles ou toutes sortes d'autres lieux.

"Ma bête noire" © Nicolas Joubard
"Ma bête noire" © Nicolas Joubard
Une volière géante, ouverte sur le devant, avec au centre un canapé de cuir. Planté au milieu du parc du Thabor, dans un recoin peu visible, ce décor abrite "Ma bête noire" du danseur et chorégraphe français Thomas Chaussebourg. À moins de connaître l'artiste, la présence dans le cercle d'un cheval nous fait attendre un numéro de voltige équestre. Manqué. D'ailleurs, l'animal évolue librement, sans harnachement et même sans contact physique avec l'homme qui, dans le même espace, entame une chorégraphie désarticulée, succession de chutes et de sursauts. Au détour d'un geste désespéré, d'un rapprochement au départ à peine perceptible des deux créatures, la trame d'un récit apparaît. Minimaliste, sans autres paroles que celles de "L'Imprudence" d'Alain Baschung. La douleur, la mélancolie exprimée par le danseur entrent en dialogue avec les déplacements de la bête. Mettant en second plan la performance, la présence du subconscient, de la part noire de l'homme, se matérialise sur la piste. Reste à savoir laquelle des deux ombres est le démon de l'autre...

"Ma bête noire" © Nicolas Joubard
"Ma bête noire" © Nicolas Joubard
Après les grands espaces, l'exiguïté. Une quarantaine de place à peine dans un camion installé près du Liberté, salle de concert bien connue de la population rennaise. Là encore, la compagnie belge Circ'Ombelico déjoue tous les pronostics possibles. Peu de traces du sensationnel, voire de l'épique que la nature de la salle pouvait laisser présager. L'air absorbée par l'écharpe qu'elle s'applique à tricoter, une jeune femme fait face à un homme qui, lui, semble franchement s'ennuyer. D'emblée, le règne de l'intime s'impose. Mais d'un intime dénué de tout réalisme, représenté sous un jour grotesque. Avec ses mimiques de clowns, le couple met en place un cirque du quotidien où les acrobaties sont mises au service d'un discours muet sur les difficultés à gérer l'espace domestique.

"Ma bête noire" © Nicolas Joubard
"Ma bête noire" © Nicolas Joubard
Bien sûr, de nombreuses formes proposées ne parviennent pas à aller au-delà de la réflexion qui les motive. Mise en question du lien spectateur/acteur, de la relation entre le quotidien et le spectacle, jeu avec l'horizon d'attente du public : ces ficelles, trop souvent employées, gâchent bon nombre de propositions. La "performance chorégraphique" du danseur et chorégraphe catalan Jordi Galli, par exemple, qui se limite à la construction d'une structure de bois et de cordes. Long et complexe, le procédé repose tout entier sur la curiosité de l'observateur. Il la déçoit, sans rien apporter d'autre qu'une interrogation rebattue sur la nature et les limites du théâtre.

Tel est le jeu : l'important nombre de créations présentées au festival a ses revers. Mais les tâtonnements, l'interrogation d'une pratique artistique sont des éléments sains, tant qu'ils finissent par être dépassés. Cela, Thomas Chaussebourg et la compagnie Circ'Ombelico le laissent présager...

Festival Les Tombées de la nuit

"Ma bête noire" © Nicolas Joubard
"Ma bête noire" © Nicolas Joubard
(Vu le 5 juillet 2011)

Du 5 au 9 juillet 2011.
13 square Lucien Rose, 35000 Rennes.
Renseignements : 02 99 32 56 56.
info@lestombéesdelanuit.com

"Ma bête noire" par Thomas Chaussebourg - spectacle équestre
Le 31 juillet à 17h
Château d'Avignon.
Domaine du Château d'Avignon
Route D'Arles, 13460 Saintes Maries de la Mer.
Téléphone : 04 90 97 58 60.

Anaïs Heluin
Lundi 11 Juillet 2011

Nouveau commentaire :

Théâtre | Danse | Concerts & Lyrique | À l'affiche | À l'affiche bis | Cirque & Rue | Humour | Festivals | Pitchouns | Paroles & Musique | Avignon 2017 | Avignon 2018 | Avignon 2019 | CédéDévédé | Trib'Une | RV du Jour | Pièce du boucher | Coulisses & Cie | Coin de l’œil | Archives | Avignon 2021 | Avignon 2022 | Avignon 2023 | Avignon 2024 | À l'affiche ter







À découvrir

"Le Chef-d'œuvre Inconnu" Histoire fascinante transcendée par le théâtre et le génie d'une comédienne

À Paris, près du quai des Grands-Augustins, au début du XVIIe siècle, trois peintres devisent sur leur art. L'un est un jeune inconnu promis à la gloire : Nicolas Poussin. Le deuxième, Franz Porbus, portraitiste du roi Henri IV, est dans la plénitude de son talent et au faîte de sa renommée. Le troisième, le vieux Maître Frenhofer, personnage imaginé par Balzac, a côtoyé les plus grands maîtres et assimilé leurs leçons. Il met la dernière main dans le plus grand secret à un mystérieux "chef-d'œuvre".

© Jean-François Delon.
Il faudra que Gilette, la compagne de Poussin, en qui Frenhofer espère trouver le modèle idéal, soit admise dans l'atelier du peintre, pour que Porbus et Poussin découvrent le tableau dont Frenhofer gardait jalousement le secret et sur lequel il travaille depuis 10 ans. Cette découverte les plongera dans la stupéfaction !

Quelle autre salle de spectacle aurait pu accueillir avec autant de justesse cette adaptation théâtrale de la célèbre nouvelle de Balzac ? Une petite salle grande comme un mouchoir de poche, chaleureuse et hospitalière malgré ses murs tout en pierres, bien connue des férus(es) de théâtre et nichée au cœur du Marais ?

Cela dit, personne ne nous avait dit qu'à l'Essaïon, on pouvait aussi assister à des séances de cinéma ! Car c'est pratiquement à cela que nous avons assisté lors de la générale de presse lundi 27 mars dernier tant le talent de Catherine Aymerie, la comédienne seule en scène, nous a emportés(es) et transportés(es) dans l'univers de Balzac. La force des images transmises par son jeu hors du commun nous a fait vire une heure d'une brillante intensité visuelle.

Pour peu que l'on foule de temps en temps les planches des théâtres en tant que comédiens(nes) amateurs(es), on saura doublement jauger à quel point jouer est un métier hors du commun !
C'est une grande leçon de théâtre que nous propose là la Compagnie de la Rencontre, et surtout Catherine Aymerie. Une très grande leçon !

Brigitte Corrigou
06/03/2024
Spectacle à la Une

"L'Effet Papillon" Se laisser emporter au fil d'un simple vol de papillon pour une fascinante expérience

Vous pensez que vos choix sont libres ? Que vos pensées sont bien gardées dans votre esprit ? Que vous êtes éventuellement imprévisibles ? Et si ce n'était pas le cas ? Et si tout partait de vous… Ouvrez bien grands les yeux et vivez pleinement l'expérience de l'Effet Papillon !

© Pics.
Vous avez certainement entendu parler de "l'effet papillon", expression inventée par le mathématicien-météorologue Edward Lorenz, inventeur de la théorie du chaos, à partir d'un phénomène découvert en 1961. Ce phénomène insinue qu'il suffit de modifier de façon infime un paramètre dans un modèle météo pour que celui-ci s'amplifie progressivement et provoque, à long terme, des changements colossaux.

Par extension, l'expression sous-entend que les moindres petits événements peuvent déterminer des phénomènes qui paraissent imprévisibles et incontrôlables ou qu'une infime modification des conditions initiales peut engendrer rapidement des effets importants. Ainsi, les battements d'ailes d'un papillon au Brésil peuvent engendrer une tornade au Mexique ou au Texas !

C'est à partir de cette théorie que le mentaliste Taha Mansour nous invite à nouveau, en cette rentrée, à effectuer un voyage hors du commun. Son spectacle a reçu un succès notoire au Sham's Théâtre lors du Festival d'Avignon cet été dernier.

Impossible que quiconque sorte "indemne" de cette phénoménale prestation, ni que nos certitudes sur "le monde comme il va", et surtout sur nous-mêmes, ne soient bousculées, chamboulées, contrariées.

"Le mystérieux est le plus beau sentiment que l'on peut ressentir", Albert Einstein. Et si le plus beau spectacle de mentalisme du moment, en cette rentrée parisienne, c'était celui-là ? Car Tahar Mansour y est fascinant à plusieurs niveaux, lui qui voulait devenir ingénieur, pour qui "Centrale" n'a aucun secret, mais qui, pourtant, a toujours eu une âme d'artiste bien ancrée au fond de lui. Le secret de ce spectacle exceptionnel et époustouflant serait-il là, niché au cœur du rationnel et de la poésie ?

Brigitte Corrigou
08/09/2023
Spectacle à la Une

"Deux mains, la liberté" Un huis clos intense qui nous plonge aux sources du mal

Le mal s'appelle Heinrich Himmler, chef des SS et de la Gestapo, organisateur des camps de concentration du Troisième Reich, très proche d'Hitler depuis le tout début de l'ascension de ce dernier, près de vingt ans avant la Deuxième Guerre mondiale. Himmler ressemble par son physique et sa pensée à un petit, banal, médiocre fonctionnaire.

© Christel Billault.
Ordonné, pratique, méthodique, il organise l'extermination des marginaux et des Juifs comme un gestionnaire. Point. Il aurait été, comme son sous-fifre Adolf Eichmann, le type même décrit par Hannah Arendt comme étant la "banalité du mal". Mais Himmler échappa à son procès en se donnant la mort. Parfois, rien n'est plus monstrueux que la banalité, l'ordre, la médiocrité.

Malgré la pâleur de leur personnalité, les noms de ces âmes de fonctionnaires sont gravés dans notre mémoire collective comme l'incarnation du Mal et de l'inimaginable, quand d'autres noms - dont les actes furent éblouissants d'humanité - restent dans l'ombre. Parmi eux, Oskar Schindler et sa liste ont été sauvés de l'oubli grâce au film de Steven Spielberg, mais également par la distinction qui lui a été faite d'être reconnu "Juste parmi les nations". D'autres n'ont eu aucune de ces deux chances. Ainsi, le héros de cette pièce, Félix Kersten, oublié.

Joseph Kessel lui consacra pourtant un livre, "Les Mains du miracle", et, aujourd'hui, Antoine Nouel, l'auteur de la pièce, l'incarne dans la pièce qu'il a également mise en scène. C'est un investissement total que ce comédien a mis dans ce projet pour sortir des nimbes le visage étonnant de ce personnage de l'Histoire qui, par son action, a fait libérer près de 100 000 victimes du régime nazi. Des chiffres qui font tourner la tête, mais il est le résultat d'une volonté patiente qui, durant des années, négocia la vie contre le don.

Bruno Fougniès
15/10/2023