La Revue du Spectacle, le magazine des arts de la scène et du spectacle vivant. Infos théâtre, chanson, café-théâtre, cirque, arts de la rue, agenda, CD, etc.



Augmenter la taille du texte
Diminuer la taille du texte
Partager
Théâtre

"Les Damnés de la Terre"… Poésie de lutte et de dignité

"Les Damnés de la Terre", Le Tarmac, Paris

Jacques Allaire reprend ce livre culte de l’anticolonialisme dans une mise en scène superbe de sobriété. Les comédiens incarnent avec beaucoup de truculence l’œuvre de Frantz Fanon dans une très belle scénographie.



© Laurence Leblanc.
© Laurence Leblanc.
On en avait besoin, vraiment besoin d’entendre cette parole forte, brillante, poétique qui dénonce le colonialisme, qui dénonce la torture, qui dénonce le racisme, cette bêtise étoffée de peur irraisonnée habillée d’un manteau d’exclusion. On avait besoin de réentendre cette parole dans une actualité qui, depuis quelques années, fait le lit d’un racisme rampant.

Se remémorer cette parole : "Je suis noir et je vous emmerde !". La reprendre en cœur pour dire… Minute… Messieurs… elle est noire et nous vous emmerdons.

© Laurence Leblanc.
© Laurence Leblanc.
Ils sont six sur scène, superbe de présence, tous noirs de peau ou de maquillage, clin d’œil à "peau noire, masques blancs" (1952) du même auteur, Frantz Fanon. Grande figure intellectuelle de l’anticolonialisme, psychiatre de métier, il a pris part à la guerre d’Algérie au côté du FLN. "Les Damnés de la Terre" (1961) est devenu le crédo de la révolte anti-coloniale et de la dignité du révolté.

La voix des comédiens oscille entre différents états. À la fois vibrantes de dignité, de lutte et de combat, elles semblent être portées par la chaleur de la révolte et de la revendication. Sur scène, la politique devient poésie de combat. Les comédiens incarnent avec beaucoup de truculence le message politique de l’œuvre de Fanon.

© Laurence Leblanc.
© Laurence Leblanc.
Le jeu est sans tiédeur, jamais de colère feinte ou de révolte jouée. Les répliques sont portées avec beaucoup de naturel et de force. Le metteur en scène Jacques Allaire a su faire un choix très intelligent du texte. La scénographie est superbe dans les décors et les lumières. Une atmosphère s’y dégage, colorée par une lumière habillée de poussière.

Torture, colonialisme, racisme, les grands thèmes du livre sont traités. Les comédiens portent superbement la voix politique de l’auteur et incarnent, à tour de rôle, des personnes marquées par les atrocités de la guerre que Fanon avait côtoyées. L’élocution des comédiens cisaille à merveille la poésie de Fanon. Le texte, poésie de lutte et de combat, bruisse malheureusement encore avec éclat dans notre actualité.

Rare sont les œuvres politiques mises en scène au théâtre. Le challenge était de taille. Il est réussi. C’est à voir et à revoir.

"Les Damnés de la Terre"

© Laurence Leblanc.
© Laurence Leblanc.
D’après l’œuvre de Frantz Fanon.
Mise en scène : Jacques Allaire.
Stagiaire assistant à la mise en scène : Marcel Camilleri.
Scénographie : Jacques Allaire, Dominique Schmitt.
Avec Amine Adjina, Mohand Azzoug, Mounira Barbouch, Jean-Pierre Baro, Criss Niangouna, Lamya Regragui.
Lumière : Christophe Mazet.
Son : Guillaume Allory, Jacques Allaire.
Costumes : Wenda Wellard.
Stagiaire costumes : Emilie Paquet.
Accessoires : Dominique Schmitt, Guillaume Allory, Camille Artigues.
Durée : 1 h 50.

Du 5 novembre au 6 décembre 2013.
Mardi, mercredi, vendredi à 20 h, jeudi à 14 h 30 et à 20 h, samedi à 16 h.
Le Tarmac - Scène internationale francophone, Paris 20e, 01 43 64 80 80.
>> letarmac.fr

Safidine Alouache
Vendredi 29 Novembre 2013

Nouveau commentaire :

Théâtre | Danse | Concerts & Lyrique | À l'affiche | À l'affiche bis | Cirque & Rue | Humour | Festivals | Pitchouns | Paroles & Musique | Avignon 2017 | Avignon 2018 | Avignon 2019 | CédéDévédé | Trib'Une | RV du Jour | Pièce du boucher | Coulisses & Cie | Coin de l’œil | Archives | Avignon 2021 | Avignon 2022










À découvrir

"Salle des Fêtes" Des territoires aux terroirs, Baptiste Amann arpente la nature humaine

Après le choc de sa trilogie "Des Territoires", dont les trois volets furent présentés en un seul bloc de sept heures à Avignon lors du Festival In de 2021, le metteur en scène se tourne vers un autre habitat. Abandonnant le pavillon de banlieue où vivait la fratrie de ses créations précédentes, il dirige sa recherche d'humanités dans une salle des fêtes, lieu protéiforme où se retrouvent les habitants d'un village. Toujours convaincu que seul ce qui fait communauté peut servir de viatique à la traversée de l'existence.

© Pierre Planchenault.
Si, dans "La vie mode d'emploi", Georges Perec avait imaginé l'existence des habitants d'un bâtiment haussmannien dont il aurait retiré la façade à un instant T, Baptiste Amann nous immerge dans la réalité auto-fictionnelle d'une communauté villageoise réunie à l'occasion de quatre événements rythmant les quatre saisons d'une année. Au fil de ces rendez-vous, ce sont les aspirations de chacun qui se confrontent à la réalité - la leur et celle des autres - révélant, au sens argentique d'une pellicule que l'on développe, des aspérités insoupçonnées.

Tout commence à l'automne avec l'exaltation d'un couple de jeunes femmes s'établissant à la campagne. Avec le montant de la vente de l'appartement parisien de l'une d'elles, écrivaine - appartement acquis grâce au roman relatant la maladie psychiatrique du frère qui les accompagne dans leur transhumance rurale -, elles viennent de s'installer dans une usine désaffectée flanquée de ses anciennes écluses toujours en service. Organisée par le jeune maire survient la réunion du conseil consultatif concernant la loi engagement et proximité, l'occasion de faire connaissance avec leur nouvelle communauté.

Yves Kafka
17/10/2022
Spectacle à la Une

"Qui a cru Kenneth Arnold ?" Une histoire à dormir… éveillé

Levant la tête vers le ciel, qui pourrait soutenir encore que le monde s'organise autour de la Terre centrale et immobile… depuis que Copernic et Galilée ont renversé magistralement la hiérarchie du système solaire, rejetant notre planète Terre - actrice décatie et déchue - au rang d'accessoire de l'étoile Soleil ? De même qui, de nos jours, pourrait être assez obtus pour affirmer que d'autres formes d'intelligences ne puissent exister dans l'univers… depuis que le GEIPAN (Groupe d'Études et d'Informations sur les Phénomènes Aérospatiaux Non-identifiés) a été scientifiquement créé pour démêler le vrai des infox entourant ces phénomènes ? Le collectif OS'O, la tête dans les étoiles (cf. "X", sa précédente création), s'empare de ce sujet ultrasensible pour apporter sa contribution… "hautement" artistique.

© Frédéric Desmesure.
Dans l'écrin du Studio de création du TnBA, une table avec, pour arrière-plan, un écran tendu plantent le décor de cette vraie fausse conférence sur les P.A.N. Mobilisant les ressources de la haute technologie - bricolée frénétiquement - un (vrai) acteur (faux) conférencier de haut vol, assisté d'une (vraie) actrice (fausse) scientifique coincée dans ses notes, et accompagné d'un (vrai) acteur complice, (faux) journaliste critique, incrusté dans les rangs du public, le maître ufologue va compiler les témoignages venus d'ici et d'ailleurs.

Sur le ton amusé des confidences, le conférencier introduit la session en livrant son étrange vision d'une nuit d'été où, à l'aube de ses quinze ans, à 23 h 23 précises, il fut témoin d'une apparition fulgurante alors qu'il promenait son chien sur une plage… Et, encore plus étranges, les deux heures qui suivirent et leur absence de souvenirs, comme s'il avait été "ravi à lui-même", enlevé par les passagers des soucoupes orange…

Suivent d'autres témoignages reposant eux sur des archives projetées. Ainsi, dans l'état du New Hampshire, du couple Betty et Barney Hill, témoignant "en gros plan" avoir été enlevé par des extraterrestres dans la nuit du 19 au 20 septembre 1961. Ainsi, au sud du Pérou, des géoglyphes de Nazca, photographies à l'appui montrant un système complexe de lignes géométriques seulement visibles du ciel… et ne pouvant avoir été tracées que par des extraterrestres…

Yves Kafka
09/02/2023
Spectacle à la Une

Dans "Nos jardins Histoire(s) de France #2", la parole elle aussi pousse, bourgeonne et donne des fruits

"Nos Jardins", ce sont les jardins ouvriers, ces petits lopins de terre que certaines communes ont commencé à mettre à disposition des administrés à la fin du XIXe siècle. Le but était de fournir ainsi aux concitoyens les plus pauvres un petit bout de terre où cultiver légumes, tubercules et fruits de manière à soulager les finances de ces ménages, mais aussi de profiter des joies de la nature. "Nos Jardins", ce sont également les jardins d'agrément que les nobles, les rois puis les bourgeois firent construire autour de leurs châteaux par des jardiniers dont certains, comme André Le Nôtre, devinrent extrêmement réputés. Ce spectacle englobe ces deux visions de la terre pour développer un débat militant, social et historique.

Photo de répétition © Cie du Double.
L'argument de la pièce raconte la prochaine destruction d'un jardin ouvrier pour implanter à sa place un centre commercial. On est ici en prise directe avec l'actualité. Il y a un an, la destruction d'une partie des jardins ouvriers d'Aubervilliers pour construire des infrastructures accueillant les JO 2024 avait soulevé la colère d'une partie des habitants et l'action de défenseurs des jardins. Le jugement de relaxe de ces derniers ne date que de quelques semaines. Un sujet brûlant donc, à l'heure où chaque mètre carré de béton à la surface du globe le prive d'une goutte de vie.

Trois personnages sont impliqués dans cette tragédie sociale : deux lycéennes et un lycéen. Les deux premières forment le noyau dur de cette résistance à la destruction, le dernier est tout dévoué au modernisme, féru de mode et sans doute de fast-food, il se moque bien des légumes qui poussent sans aucune beauté à ses yeux. L'auteur Amine Adjina met ainsi en place les germes d'un débat qui va opposer les deux camps.

Bruno Fougniès
23/12/2022