La Revue du Spectacle, le magazine des arts de la scène et du spectacle vivant. Infos théâtre, chanson, café-théâtre, cirque, arts de la rue, agenda, CD, etc.



Augmenter la taille du texte
Diminuer la taille du texte
Partager
Théâtre

"Le Tartuffe" Instrument analytique pour l'étude de la composition et d'une décomposition de la cellule familiale

Sous l'influence des archets artistiques des musiciens du verbe et du mouvement que sont Serge Noyelle et Marion Coutris, le "Tartuffe" de Molière prend une nouvelle dimension, aux confins des fêlures familiales et des paradoxes existentiels des individus masculins et féminins qui composent une famille. Entrer avec vélocité et sans répit dans le labyrinthe de ces relations familiales, c'est ce que nous proposent les deux artistes créateurs du Théâtre des Calanques de Marseille. Une relecture décoiffante tant par le traitement du texte de Molière que par l'empreinte virtuose emplie de vivacité imprimée par une distribution homogène et talentueuse.



© Cordula Treml.
© Cordula Treml.
Introduction tonitruante, festive, sur un rythme échevelé, avec une énergie juvénile envahissant le plateau, comédiennes et comédiens jouant de leurs répliques avec une diction irréprochable. Le ton est donné, le parti pris d'une fringante dynamique, insufflée par une troupe portée par sa jeunesse et son enthousiasme, est indéniablement le choix fait par Serge Noyelle et Marion Coutris pour donner à voir et à entendre leur version du "Tartuffe" de Molière, pièce oscillant – déjà à l'origine –, dans un équilibre précaire, entre malicieuse parodie, humour espiègle et cynique tragédie.

Et si certaines lectures du texte purent donner des approches plus jésuites et/ou congréganistes, ici, c'est le microcosme familial qui est au centre des impostures perpétrées par Tartuffe l'usurpateur. Ainsi, en amont des malfaisances et des tartufferies du pseudo-homme de bien, les composantes de la bourgeoise famille, aux faiblesses déjà sous-jacentes, se mettent tour à tour en place pour exprimer leur fragile conviction et/ou détermination.

© Cordula Treml.
© Cordula Treml.
En premier lieu, c'est Madame Pernelle qui, tel un chien dans un jeu de quilles, contrarie avec violence l'ambiance de fête initiée en préambule. Interprétée par une Marion Coutris magistrale, à l'envahissante mais efficace gestuelle de sémaphore, celle-ci nous offre une prestation énergique, remarquable dans sa défense du modèle préconisé par ce prétendu dévot personnage qu'est Tartuffe. Les tirades qui suivent sont aiguisées, vives, presque musicales, dans des tempos bouillonnants, allant de l'allegro au prestissimo… sans faillir !

S'ensuit, dans une logique implacable, injonction, confrontation, soutien et tentative de réconciliation. Pour la première, c'est Marianne (Louison Bergman, maîtrisant une intelligente retenue tout en usant de subtiles nuances lui permettant de se montrer un peu plus ardente lors de discussions avec son amant Valère) promise par son père Orgon (Nino Djerbir) à Tartuffe (Lucas Bonetti). Elle exprimera, dans un premier temps, un simple émoi scandalisé. Pour la deuxième, c'est notamment la passe d'armes exemplaire entre Orgon et Dorine (Jeanne Noyelle) sur cet arrangement marital. Tous deux, brillants, s'affrontent en faisant montre d'une réelle maestria dans la gestion colorée de leurs échanges, laissant presque paraître un combat à fleurets mouchetés.

© Cordula Treml.
© Cordula Treml.
Et que dire de Camille Noyelle, étonnante, interprétant avec talent – en utilisant une palette d'émotions variée – le rôle d'Elmire… particulièrement exceptionnelle dans les faux-semblants du discours amoureux reçu de Tartuffe ou faussement émis à son intention. C'est là l'une des forces du "casting" opéré par Serge Noyelle et Marion Coutris : une distribution parfaitement équilibrée, très généreuse, jeune, limite espiègle, voire enjouée et impertinente. Tous sont crédibles, autant dans leurs excès que dans leurs théâtrales réserves. La distribution des rôles est cohérente, chacun portant son texte avec densité, concentration, tout en proposant une expression de leur personnage énergique et d'une grande vivacité.

La mise en scène imprime parfois une partition plus chorégraphique avec une large utilisation du plateau et beaucoup de déplacements aux élans aériens, suggestion référencée de quelques pas de danse. De temps à autre, c'est le burlesque qui fait une furtive apparition, notamment dans l'un des derniers échanges entre Orgon et sa mère. La scénographie, quant à elle, est écrite dans une élégante sobriété avec une imposante table – sur laquelle aucun banquet n’aura lieu, symbole probable d’une réunification familiale à venir – au presque centre et, de part et d’autre, un canapé à jardin et un fauteuil à cour.

© Cordula Treml.
© Cordula Treml.
Tout concourt ici à nous révéler une version contemporaine du "Tartuffe" de Molière où une jeune troupe de comédiennes et comédiens nous transmet, avec générosité et fougue, toute la puissance et la vitalité de cette pièce qui reste en connexion avec nos dérives familiales actuelles et une actualité riche en drames. Bien sûr, face aux tartufferies et impostures exprimées, chacun définira celles qui le concernent ou qui le mettent en perspective au regard de nos tragédies présentes. C'est sans aucun doute là l'une des plus belles réussites de la proposition de Marion Coutris et Serge Noyelle.

"Le Tartuffe"

© Cordula Treml.
© Cordula Treml.
Texte : Molière.
Mise en scène : Serge Noyelle.
Scénographie Serge Noyelle et Marion Coutris.
Dramaturgie : Marion Coutris.
Avec : Louison Bergman, Lucas Bonetti, Marion Coutris, Nino Djerbir, Julien Florès, Robin Mannella, Romain Noury, Camille Noyelle, Jeanne Noyelle, Guilhem Saly.
Régisseur général : Bernard Faradji.
Régisseur lumière : Richard Psourtseff.
Régisseuse plateau : Louna Boissaye.
Direction de production Benoit Kasolter.
Production : Théâtre des Calanques.

Les 26 et 27 janvier, du 1er au 3 février 2024.
Tous les jours à 20 h 30.
Théâtre des Calanques, Marseille 8e, 04 91 75 64 59.
>> theatredescalanques.com

© Cordula Treml.
© Cordula Treml.
Les soirs de représentations, une navette gratuite part de Castellane à 19 h 15, sur réservation.

Gil Chauveau
Mercredi 31 Janvier 2024

Nouveau commentaire :

Théâtre | Danse | Concerts & Lyrique | À l'affiche | À l'affiche bis | Cirque & Rue | Humour | Festivals | Pitchouns | Paroles & Musique | Avignon 2017 | Avignon 2018 | Avignon 2019 | CédéDévédé | Trib'Une | RV du Jour | Pièce du boucher | Coulisses & Cie | Coin de l’œil | Archives | Avignon 2021 | Avignon 2022 | Avignon 2023 | Avignon 2024 | À l'affiche ter




Numéros Papier

Anciens Numéros de La Revue du Spectacle (10)

Vente des numéros "Collectors" de La Revue du Spectacle.
10 euros l'exemplaire, frais de port compris.






À Découvrir

•Off 2024• "Mon Petit Grand Frère" Récit salvateur d'un enfant traumatisé au bénéfice du devenir apaisé de l'adulte qu'il est devenu

Comment dire l'indicible, comment formuler les vagues souvenirs, les incertaines sensations qui furent captés, partiellement mémorisés à la petite enfance. Accoucher de cette résurgence voilée, diffuse, d'un drame familial ayant eu lieu à l'âge de deux ans est le parcours théâtral, étonnamment réussie, que nous offre Miguel-Ange Sarmiento avec "Mon petit grand frère". Ce qui aurait pu paraître une psychanalyse impudique devient alors une parole salvatrice porteuse d'un écho libératoire pour nos propres histoires douloureuses.

© Ève Pinel.
9 mars 1971, un petit bonhomme, dans les premiers pas de sa vie, goûte aux derniers instants du ravissement juvénile de voir sa maman souriante, heureuse. Mais, dans peu de temps, la fenêtre du bonheur va se refermer. Le drame n'est pas loin et le bonheur fait ses valises. À ce moment-là, personne ne le sait encore, mais les affres du destin se sont mis en marche, et plus rien ne sera comme avant.

En préambule du malheur à venir, le texte, traversant en permanence le pont entre narration réaliste et phrasé poétique, nous conduit à la découverte du quotidien plein de joie et de tendresse du pitchoun qu'est Miguel-Ange. Jeux d'enfants faits de marelle, de dinette, de billes, et de couchers sur la musique de Nounours et de "bonne nuit les petits". L'enfant est affectueux. "Je suis un garçon raisonnable. Je fais attention à ma maman. Je suis un bon garçon." Le bonheur est simple, mais joyeux et empli de tendresse.

Puis, entre dans la narration la disparition du grand frère de trois ans son aîné. La mort n'ayant, on le sait, aucune morale et aucun scrupule à commettre ses actes, antinaturelles lorsqu'il s'agit d'ôter la vie à un bambin. L'accident est acté et deux gamins dans le bassin sont décédés, ceux-ci n'ayant pu être ramenés à la vie. Là, se révèle l'avant et l'après. Le bonheur s'est enfui et rien ne sera plus comme avant.

Gil Chauveau
14/06/2024
Spectacle à la Une

•Off 2024• Lou Casa "Barbara & Brel" À nouveau un souffle singulier et virtuose passe sur l'œuvre de Barbara et de Brel

Ils sont peu nombreux ceux qui ont une réelle vision d'interprétation d'œuvres d'artistes "monuments" tels Brel, Barbara, Brassens, Piaf et bien d'autres. Lou Casa fait partie de ces rares virtuoses qui arrivent à imprimer leur signature sans effacer le filigrane du monstre sacré interprété. Après une relecture lumineuse en 2016 de quelques chansons de Barbara, voici le profond et solaire "Barbara & Brel".

© Betül Balkan.
Comme dans son précédent opus "À ce jour" (consacré à Barbara), Marc Casa est habité par ses choix, donnant un souffle original et unique à chaque titre choisi. Évitant musicalement l'écueil des orchestrations "datées" en optant systématiquement pour des sonorités contemporaines, chaque chanson est synonyme d'une grande richesse et variété instrumentales. Le timbre de la voix est prenant et fait montre à chaque fois d'une émouvante et artistique sincérité.

On retrouve dans cet album une réelle intensité pour chaque interprétation, une profondeur dans la tessiture, dans les tonalités exprimées dont on sent qu'elles puisent tant dans l'âme créatrice des illustres auteurs que dans les recoins intimes, les chemins de vie personnelle de Marc Casa, pour y mettre, dans une manière discrète et maîtrisée, emplie de sincérité, un peu de sa propre histoire.

"Nous mettons en écho des chansons de Barbara et Brel qui ont abordé les mêmes thèmes mais de manières différentes. L'idée est juste d'utiliser leur matière, leur art, tout en gardant une distance, en s'affranchissant de ce qu'ils sont, de ce qu'ils représentent aujourd'hui dans la culture populaire, dans la culture en général… qui est énorme !"

Gil Chauveau
19/06/2024
Spectacle à la Une

•Off 2024• "Un Chapeau de paille d'Italie" Une version singulière et explosive interrogeant nos libertés individuelles…

… face aux normalisations sociétales et idéologiques

Si l'art de générer des productions enthousiastes et inventives est incontestablement dans l'ADN de la compagnie L'Éternel Été, l'engagement citoyen fait aussi partie de la démarche créative de ses membres. La présente proposition ne déroge pas à la règle. Ainsi, Emmanuel Besnault et Benoît Gruel nous offrent une version décoiffante, vive, presque juvénile, mais diablement ancrée dans les problématiques actuelles, du "Chapeau de paille d'Italie"… pièce d'Eugène Labiche, véritable référence du vaudeville.

© Philippe Hanula.
L'argument, simple, n'en reste pas moins source de quiproquos, de riantes ficelles propres à la comédie et d'une bonne dose de situations grotesques, burlesques, voire absurdes. À l'aube d'un mariage des plus prometteurs avec la très florale Hélène – née sans doute dans les roses… ornant les pépinières parentales –, le fringant Fadinard se lance dans une quête effrénée pour récupérer un chapeau de paille d'Italie… Pour remplacer celui croqué – en guise de petit-déj ! – par un membre de la gent équestre, moteur exclusif de son hippomobile, ci-devant fiacre. À noter que le chapeau alimentaire appartenait à une belle – porteuse d'une alliance – en rendez-vous coupable avec un soldat, sans doute Apollon à ses heures perdues.

N'ayant pas vocation à pérenniser toute forme d'adaptation académique, nos deux metteurs en scène vont imaginer que cette histoire absurde est un songe, le songe d'une nuit… niché au creux du voyage ensommeillé de l'aimable Fadinard. Accrochez-vous à votre oreiller ! La pièce la plus célèbre de Labiche se transforme en une nouvelle comédie explosive, électro-onirique ! Comme un rêve habité de nounours dans un sommeil moelleux peuplé d'êtres extravagants en doudounes orange.

Gil Chauveau
26/03/2024