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Théâtre

"Le Dépôt Amoureux" Ou l'art de revisiter de façon tout autant scientifique qu'humoristique le mystère de l'amour et du désamour

Associer avec justesse et inventivité une narration légèrement décalée - du fait de la transposition du traumatisme de la rupture amoureuse d'un patient nommé Noé dans le milieu hospitalier puis dans un centre de rééducation du cœur - et la danse, dont les chorégraphies exprimées peuvent nous mener, selon les interprétations de chacun, dans les méandres du cerveau où s'affrontent les sentiments opposés issus du chagrin d'amour, ou plus exactement de la maladie intitulée ici avec humour… le "Separatus Brutus", telle est la folle création théâtrale, ludique, dynamique et cocasse de la Cie Tout le monde n'est pas normal… Et on veut bien le croire !



© Festival Toi, moi and Co & Ema Martin.
© Festival Toi, moi and Co & Ema Martin.
Sur scène, un patient accoutré en mode opératoire d'un linge blanc et entouré de blouses tout aussi blanches qu'on imagine être celles d'une chirurgienne et de quelques autres personnels de santé. L'opéré, Noé, naufragé du cœur après avoir navigué sur l'arche du bonheur, a subi une rupture tout aussi cardiaque que mentale, maladie connue sous le nom évocateur - bien qu'à consonance latine - de "Separatus Brutus".

L'opération chirurgicale est représentée de façon abstraite par le retrait de filaments rouges dans le dos de notre dépité amoureux sous anesthésie. Énumération des actes pratiqués et des suites prévues, envisagés en usant de termes scientifiques propres à consolider la véracité de l'acte médical. C'est la première fois que Noé est atteint de ce mal. Dans son cas, l'annonce de la "fracturation" s'est faite sur l'oreiller avec malheureusement pour lui l'option "rester amoureux" ! Noé, rescapé, survivant, d'un naufrage sentimental.

Diagnostiquer, narrer comme s'il s'agissait d'une opération cardiaque, à cœur "en mal d'amour" ouvert. Après l'intervention vient le temps de la convalescence, direction un centre de rééducation du cœur faisant aussi office d'unité expérimentale de recherche sur le "Separatus Brutus". Dans ce lieu, véritable "dépôt amoureux", on imagine aisément un hangar dans lequel on retrouve des personnages errant comme des âmes en peine. Noé va donc y faire des rencontres nocturnes, issus de son imaginaire… ou pas !

© Festival Toi, moi and Co & Ema Martin.
© Festival Toi, moi and Co & Ema Martin.
Dans cet univers entre réalités et songes romanesques (ou funestes), il va être entouré d'individus un peu allumés qui, tous ensemble, extérioriseront leur mal-être par des expressions qualifiées de thérapeutiques comme la danse et la gestuelle. Dans cet équipage singulier, on découvre un prince charmant en mal de masculinité, une princesse en éternel (bouée de) sauvetage, une "pseudo" sorcière cherchant à percer le mystère de l'amour…

Et - cerise sur le gâteau ! - Solomon Itegrand Camarude, personnage féminin étrange, naviguant entre burlesque et douce folie, pourvoyeuse en alcools forts, représentant à la fois la solitude qui se noie dans les vapeurs éthyliques et le fantôme d'une "ex" devenu irrémédiablement inaccessible, mais qui vous accompagne longtemps. "Je suis la dealeuse d'insomnie." Tout ce petit monde, entre rêves et réalités, nous fait entrevoir la concrétisation possible d'un voyage dans le cerveau de Noé où seraient convoquées l'émotion, la virilité, la rationalité et la solitude.

Mais cette exploration, arrivant à son terme, se révèle riche en questionnements : peut-on partir - repartir ! - quand on guérit ? Quels sont les souvenirs que l'on garde ? Qu'est-ce qu'on préserve qui nous construit réellement ? Qu'est-ce qu'on jette ?, etc. Au bout de ce parcours, Noé part seul, mais virtuellement accompagné par Solomon(de), la "solitude", ayant aussi comme fonctions d'être la fournisseuse d'alcool, la dealeuse d'insomnie, tous accompagnements logiques d'une nouvelle vie sans "l'autre".

© Festival Toi, moi and Co & Ema Martin.
© Festival Toi, moi and Co & Ema Martin.
"Le Dépôt Amoureux" est une manière chirurgicale, quasi scientifique, de traiter la rupture amoureuse - avec "extraction des douleurs" et période obligatoire de convalescence -, usant de termes médicaux appropriés, mais sans se prendre réellement au sérieux, avec une certaine dérision et un humour décalée qui, du coup, permet de se poser, avec légèreté, sans se prendre la tête, des questions sur l'amour, le couple, etc., dont une, fondamentale, qui serait rébarbative dans un autre contexte : lorsqu'on passe de 2 à 1, que reste-t-il de nous ?

Une création réussie d'une jeune compagnie audacieuse composée de comédiennes et comédiens aux talents prometteurs… et la révélation d'une autrice, Camille Plazar, dotée d'une écriture précise, exploratrice et d'un verbe imaginatif, frôlant parfois avec succès avec les phrasés surréalistes !

Vu au Studio Hébertot le lundi 13 juin 2022 dans le cadre du Phénix Festival, 2e édition.

"Le Dépôt Amoureux"

© Festival Toi, moi and Co & Ema Martin.
© Festival Toi, moi and Co & Ema Martin.
Texte : Camille Plazar.
Mise en scène : Camille Plazar.
Avec : Noé Thomas Ailhaud, Victor Gabriel Arbessier, Lise Lorette Ducornoy, Simone Léa Schwartz, Solomon Anaïs Robbe.
Création lumière : Rémi Prin.
Musique originale : Julien Auclair.
Effets visuels : Valentin Béchade.
Crédits photos : Festival Toi, moi and Co & Ema Martin.
Par la Cie Tout le monde n'est pas normal.
Durée : 1 h.

Du 2 au 25 octobre 2022.
Du dimanche au mardi à 21 h.
Théâtre Les Déchargeurs, Salle Vicky Messica, Paris 1er, 01 42 36 00 50.
>> lesdechargeurs.fr

Gil Chauveau
Mercredi 21 Septembre 2022

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© PKL.
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© Pierre Gondard.
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