La Revue du Spectacle, le magazine des arts de la scène et du spectacle vivant. Infos théâtre, chanson, café-théâtre, cirque, arts de la rue, agenda, CD, etc.



Augmenter la taille du texte
Diminuer la taille du texte
Partager
Théâtre

"Le Beau Monde" Ou comment filer vers un futur fort lointain et redécouvrir notre présent pour en sourire

Dans un futur très lointain et incertain, et dans un lieu typique parfaitement conservé du début du XXIe siècle, deux jeunes comédiens et une jeune comédienne convoquent des bribes et des gestes séquentiels de notre époque présente. Ce rituel a lieu tous les soixante ans et c'est par la parole et l'oralité qu'ils retracent, à leur manière, sans queue ni tête, des instants de notre présent en 46 "séquences" distinctes en nous interrogeant subtilement sur notre mémoire collective et la nécessité de la transmission.



© Mohamed Charara.
© Mohamed Charara.
L'effervescence dernière du Festival d'Avignon ne nous avait pas permis d'assister à la représentation du "Beau Monde" à la Collection Lambert, lieu que nous apprécions pourtant particulièrement. Nous avons heureusement réparé ce manque au CentQuatre-Paris, le mardi 12 septembre, et ce, pour notre plus grand plaisir théâtral.

Dans cette salle de théâtre située dans le XIXe, il y a quelque chose qui nous a rappelé la Collection Lambert : une impression diffuse liée sans doute au blanc du grand espace où se déroule la pièce, à des galets mystérieux posés à même le sol jouxtant un micro à fil et un petit synthétiseur. Une ambiance "contemporaine" comme nous les aimons aussi, à peine le seuil de la salle franchi.

Les premiers instants de la pièce ne démentiront pas cette impression à travers lesquels les spectateurs sont directement convoqués, assis sur des gradins en bois brut, comme étant, eux aussi, projetés dans ce futur incertain afin de découvrir la préhistoire de notre XXe siècle définitivement jubilatoire.

© Mohamed Charara.
© Mohamed Charara.
Et si cette pièce nous disait finalement la capacité légendaire de l'être humain à ne pas voir ce qu'il vit au moment "T" à sa juste proportion ? À vivre les choses comme elles vont, comme elles nous sont finalement imposées, dictées, influencées de manière collective sans qu'individuellement, nous y puissions grand-chose ! Parce que le collectif l'emporte bien trop souvent sur l'individuel… Le tout avec l'injonction subtilement évoquée de garder ces "choses" en mémoire coûte que coûte ! Parce que la mémoire, c'est hautement capital, nécessaire, primordial. Le propos de la pièce, à bien y regarder, semble être précisément celui-là.

Pour Rémi Fortin, acteur associé au Nouveau Théâtre de Montreuil, à la tête aussi de sa propre Compagnie à Lille depuis dette année et à l'initiative de ce projet, cet état de faits est une évidence ! Se souvenir pour ne pas perdre, pour ne pas se perdre, pour poursuivre le long fleuve (in) tranquille de la Vie et de sa mosaïque multifacettes et polymorphe.

Arthur Amard, Rémi Fortion, et Blanche Ripoche, interprétant cet instant de théâtre – où l'anodin occupe une place ô combien grandiose –, sont en grande harmonie de jeu et de complicité. Accordons une mention toute particulière à Blanche Ripoche qui, à elle seule, concentre de façon remarquable ce qu'est la maîtrise du geste théâtral dans son sens le plus large. Sa partition, dans l'évocation culinaire listée des différents gâteaux qui sont les nôtres, est tout simplement percutante, bien loin d'une simple fantaisie hétéroclite visant à épater le spectateur ! Mais ses deux comparses ne sont pas en reste, loin de là. Tous deux excellent dans l'énergie, la sensibilité et l'originalité de leur jeu respectif.

L'ensemble de cette création 2021 est un bijou de détente récréative pour le spectateur, une oasis de fraîcheur créative et l'humour y tient une place essentielle qui octroie à l'ensemble un rare moment de spectacle.

À l'époque future du "Beau Monde", le théâtre et les larmes ont disparu, il faut réapprendre à donner un baiser sur la bouche, on se souvient des animaux de la forêt et des spectateurs d'un match de football (moments exceptionnels du spectacle), on convoque des personnes curieuses qui assistent aux retransmissions documentaires de l'ancien monde. Bref ! On (re)vit notre époque actuelle dans un mélange justement dosé de tendresse comique et saupoudré d'un brin de nostalgie.

"Comme beaucoup de gens de mon époque, je vis au quotidien avec l'idée sous-jacente, plus ou moins exprimable, que le monde que nous avons connu est en train de disparaître, de se déliter, que les gestes quotidiens et les imaginaires qui sont les nôtres sont des artefacts dont on parlera bientôt au passé, et avec peut-être un peu de mélancolie", Rémi Fortin.

© Mohamed Charara.
© Mohamed Charara.
Création collective réalisée à partir d'une série d'entretiens audio consistant à récolter ce dont quelques jeunes femmes et jeunes hommes pourraient se souvenir de leur existence, "Le Beau Monde" est un bijou d'inventivité dont il faut souligner à la fois l'absurdité du réel, la beauté de nos vies fragmentaires, une certaine nostalgie attendrissante ou encore la parole hautement nécessaire et magique, tout comme celle du théâtre.

"Nous voulons regarder notre monde et nos vies avec les yeux naïfs de nos lointains descendants. (…). Nous voulons mener à l'envers l'enquête qui mènera d'hypothétiques archéologues jusqu'à nous, et saluer la richesse de leurs erreurs. Nous voulons célébrer la transmission orale, ses lacunes et ses mouvements en un siècle où tout s'enregistre et se fige", Arthur Amard.

Courez vite au 104 assister aux 46 fragments de nos vies collectives (sur les 427 initialement prévus), jusqu'au 23 septembre à Paris et ailleurs ensuite, interprétés par une comédienne et deux comédiens en grâce, et vous ne verrez peut-être plus votre présent 2023 de la même manière !

"Le Beau Monde"

© Mohamed Charara.
© Mohamed Charara.
Création collective 2021 d'Arthur Amard, Rémi Fortin, Simon Gauchet et Blanche Ripoche.
Idée originale : Rémi Fortin.
Avec : Arthur Amard, Rémi Fortin et Blanche Ripoche.
Regard extérieur et scénographie : Simon Gauchet (metteur en scène et chorégraphe).
Assistante mise en scène : Thaïs Salmon-Goulet.
Musique : Arthur Amard.
Décors (gradin spectateurs) : Guénolé Jézéquel.
Regard costumes : Léa Gadbois-Lamer.
Céramiste : Elize Ducange.
Durée : 1 h 15.

Du 12 au 23 septembre 2023.
Du mardi au samedi à 20 h, dimanche à 17 h.
Le Cent Quatre, Atelier 11, Paris 19e, 01 53 35 53 00.
>> 104.fr

Tournée
Du 2 au 6 novembre 2023 : Maif social club, Paris.
Du 13 au 18 février 2024 : Le Trident - Scène nationale, Cherbourg-en-Cotentin (50).
Du 28 février au 2 mars 2024 : Scène nationale de Sénart, Tournée en décentralisation (77).
5 mars 2024 : Théâtre Châtillon Clamart, Châtillon (92).
26 et 27 mars 2024 : Théâtre Jean Vilar, Montpellier (34).
5 avril 2024 : Théâtre Louis Argon, Tremblay-en-France (95).
Du 3 au 5 mai 2024 : Scène Nationale de Sénart, Sénart (77).

Projet de l'École Parallèle Imaginaire >> ecoleparallele.com
Lauréat du prix "Impatience" 2022.

Brigitte Corrigou
Lundi 18 Septembre 2023

Nouveau commentaire :

Théâtre | Danse | Concerts & Lyrique | À l'affiche | À l'affiche bis | Cirque & Rue | Humour | Festivals | Pitchouns | Paroles & Musique | Avignon 2017 | Avignon 2018 | Avignon 2019 | CédéDévédé | Trib'Une | RV du Jour | Pièce du boucher | Coulisses & Cie | Coin de l’œil | Archives | Avignon 2021 | Avignon 2022 | Avignon 2023 | Avignon 2024 | À l'affiche ter




Numéros Papier

Anciens Numéros de La Revue du Spectacle (10)

Vente des numéros "Collectors" de La Revue du Spectacle.
10 euros l'exemplaire, frais de port compris.






À Découvrir

•Off 2024• "Mon Petit Grand Frère" Récit salvateur d'un enfant traumatisé au bénéfice du devenir apaisé de l'adulte qu'il est devenu

Comment dire l'indicible, comment formuler les vagues souvenirs, les incertaines sensations qui furent captés, partiellement mémorisés à la petite enfance. Accoucher de cette résurgence voilée, diffuse, d'un drame familial ayant eu lieu à l'âge de deux ans est le parcours théâtral, étonnamment réussie, que nous offre Miguel-Ange Sarmiento avec "Mon petit grand frère". Ce qui aurait pu paraître une psychanalyse impudique devient alors une parole salvatrice porteuse d'un écho libératoire pour nos propres histoires douloureuses.

© Ève Pinel.
9 mars 1971, un petit bonhomme, dans les premiers pas de sa vie, goûte aux derniers instants du ravissement juvénile de voir sa maman souriante, heureuse. Mais, dans peu de temps, la fenêtre du bonheur va se refermer. Le drame n'est pas loin et le bonheur fait ses valises. À ce moment-là, personne ne le sait encore, mais les affres du destin se sont mis en marche, et plus rien ne sera comme avant.

En préambule du malheur à venir, le texte, traversant en permanence le pont entre narration réaliste et phrasé poétique, nous conduit à la découverte du quotidien plein de joie et de tendresse du pitchoun qu'est Miguel-Ange. Jeux d'enfants faits de marelle, de dinette, de billes, et de couchers sur la musique de Nounours et de "bonne nuit les petits". L'enfant est affectueux. "Je suis un garçon raisonnable. Je fais attention à ma maman. Je suis un bon garçon." Le bonheur est simple, mais joyeux et empli de tendresse.

Puis, entre dans la narration la disparition du grand frère de trois ans son aîné. La mort n'ayant, on le sait, aucune morale et aucun scrupule à commettre ses actes, antinaturelles lorsqu'il s'agit d'ôter la vie à un bambin. L'accident est acté et deux gamins dans le bassin sont décédés, ceux-ci n'ayant pu être ramenés à la vie. Là, se révèle l'avant et l'après. Le bonheur s'est enfui et rien ne sera plus comme avant.

Gil Chauveau
14/06/2024
Spectacle à la Une

•Off 2024• Lou Casa "Barbara & Brel" À nouveau un souffle singulier et virtuose passe sur l'œuvre de Barbara et de Brel

Ils sont peu nombreux ceux qui ont une réelle vision d'interprétation d'œuvres d'artistes "monuments" tels Brel, Barbara, Brassens, Piaf et bien d'autres. Lou Casa fait partie de ces rares virtuoses qui arrivent à imprimer leur signature sans effacer le filigrane du monstre sacré interprété. Après une relecture lumineuse en 2016 de quelques chansons de Barbara, voici le profond et solaire "Barbara & Brel".

© Betül Balkan.
Comme dans son précédent opus "À ce jour" (consacré à Barbara), Marc Casa est habité par ses choix, donnant un souffle original et unique à chaque titre choisi. Évitant musicalement l'écueil des orchestrations "datées" en optant systématiquement pour des sonorités contemporaines, chaque chanson est synonyme d'une grande richesse et variété instrumentales. Le timbre de la voix est prenant et fait montre à chaque fois d'une émouvante et artistique sincérité.

On retrouve dans cet album une réelle intensité pour chaque interprétation, une profondeur dans la tessiture, dans les tonalités exprimées dont on sent qu'elles puisent tant dans l'âme créatrice des illustres auteurs que dans les recoins intimes, les chemins de vie personnelle de Marc Casa, pour y mettre, dans une manière discrète et maîtrisée, emplie de sincérité, un peu de sa propre histoire.

"Nous mettons en écho des chansons de Barbara et Brel qui ont abordé les mêmes thèmes mais de manières différentes. L'idée est juste d'utiliser leur matière, leur art, tout en gardant une distance, en s'affranchissant de ce qu'ils sont, de ce qu'ils représentent aujourd'hui dans la culture populaire, dans la culture en général… qui est énorme !"

Gil Chauveau
19/06/2024
Spectacle à la Une

•Off 2024• "Un Chapeau de paille d'Italie" Une version singulière et explosive interrogeant nos libertés individuelles…

… face aux normalisations sociétales et idéologiques

Si l'art de générer des productions enthousiastes et inventives est incontestablement dans l'ADN de la compagnie L'Éternel Été, l'engagement citoyen fait aussi partie de la démarche créative de ses membres. La présente proposition ne déroge pas à la règle. Ainsi, Emmanuel Besnault et Benoît Gruel nous offrent une version décoiffante, vive, presque juvénile, mais diablement ancrée dans les problématiques actuelles, du "Chapeau de paille d'Italie"… pièce d'Eugène Labiche, véritable référence du vaudeville.

© Philippe Hanula.
L'argument, simple, n'en reste pas moins source de quiproquos, de riantes ficelles propres à la comédie et d'une bonne dose de situations grotesques, burlesques, voire absurdes. À l'aube d'un mariage des plus prometteurs avec la très florale Hélène – née sans doute dans les roses… ornant les pépinières parentales –, le fringant Fadinard se lance dans une quête effrénée pour récupérer un chapeau de paille d'Italie… Pour remplacer celui croqué – en guise de petit-déj ! – par un membre de la gent équestre, moteur exclusif de son hippomobile, ci-devant fiacre. À noter que le chapeau alimentaire appartenait à une belle – porteuse d'une alliance – en rendez-vous coupable avec un soldat, sans doute Apollon à ses heures perdues.

N'ayant pas vocation à pérenniser toute forme d'adaptation académique, nos deux metteurs en scène vont imaginer que cette histoire absurde est un songe, le songe d'une nuit… niché au creux du voyage ensommeillé de l'aimable Fadinard. Accrochez-vous à votre oreiller ! La pièce la plus célèbre de Labiche se transforme en une nouvelle comédie explosive, électro-onirique ! Comme un rêve habité de nounours dans un sommeil moelleux peuplé d'êtres extravagants en doudounes orange.

Gil Chauveau
26/03/2024