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Danse

"La leçon"… Décalée et toute en couleur !

Après "Les chaises ?" et "M. & Mme Rêve", le couple Pietragalla-Derouault renoue avec l'œuvre d'Eugène Ionesco. Dans une mise en scène où les chorégraphies alimentent les dialogues théâtraux, le verbe devient dansé et est porté par celles-ci en redessinant la création du dramaturge roumano-français dans un rapport, à l'autre et à l'espace, vif, mais tout en nuances.



© Pascal Elliott.
© Pascal Elliott.
Voilà une scénographie aux couleurs sombres, mais avec des chorégraphies éclatantes autour de sept danseurs dont Marie (Solène Ernaux Messina), le professeur (Julien Derouault) et l'élève (Caroline Jaubert), les trois protagonistes de "La leçon" (1951) de Ionesco (1909-1994). Cette pièce est jouée, avec "La cantatrice chauve", au théâtre de la Huchette depuis le 16 février 1957. Toujours d'actualité, car mettant en lumière savoir et autorité, elle peut avoir plusieurs grilles de lecture. Celle du couple Pietragalla-Derouault fait du corps un médium d'expressivité en appui de la voix pour incarner les différentes figures de l'autorité et de l'asservissement.

Les chorégraphies intègrent du chant entonné en chœur. Nous sommes ainsi au carrefour de trois arts qui crée une dynamique de groupe dans laquelle chaque artiste se lie à l'autre dans un rapport autant physique qu'oral, l'oralité étant scandée par des répliques théâtrales ou des chants faisant de la voix un élément à différentes tonalités où se mêlent la domination, la souffrance et l'entêtement.

Cette gamme d'émotions est recouverte d'un voile chorégraphique où les corps, tendus, se libèrent d'une tension, mais où la discipline et les propos d'un maître d'école les ploient aussi dans une souplesse et des torsions multiples. L'ensemble se retrouve dans des positions autant droites, allongées, assises, qu'en diagonale ou en cercle. Les courbures et les angles cohabitent dans des mouvements qui se disputent à la parole. Les membres supérieurs se plissent, les troncs se courbent et se tendent.

© Pascal Elliott.
© Pascal Elliott.
Les interprètes jaillissent, se regroupent, s'étirent. On sort, on entre comme dans un vaudeville dont la vivacité et le dynamisme sont empruntés. La tension est continuelle par la voix qui devient un baromètre rythmique où les mots lancés tapent comme sur un tambour. Le groupe reste compact comme une galaxie où, de temps en temps, certaines étoiles, comme le professeur, l'élève et Marie, sortent pour en revenir.

Torsions et contorsions alternent à l'image des relations névrotiques entre les différents protagonistes. Le ton rudement professoral parfois est transformé en gestuelles amples dans un rythme rapide et presque tourbillonnant. Il n'y a pas de moment de pause, tout est en mouvement.

Au centre, Julien Derouault est comme un chef d'orchestre, le tronc souvent redressé. Sa prestation très physique le pose comme le chef du plateau où, sous le couvert de répliques lancées comme des ordres, une trame corporelle très dynamique s'exécute. La dramaturgie d'Eugène Ionesco est respectée même si une partie de la pièce a dû être amputée afin d'avoir un équilibre entre danse et théâtre.

Ça saute, ça tombe avec les bras hauts levés et les mains ouvertes, les danseurs, en tension, se courbent pour se déployer ensuite. En cercle, en file indienne, cela avance comme une armée tout à la fois disciplinée et poétique. Massif, dominateur, le professeur s'impose corporellement avec l'esthétique du danseur. Avec la fermeté de l'autorité et la tyrannie d'un sachant autocratique, Julien Derouault incarne toutes ces figures. Sa voix questionne, interpelle, répète. Nous sommes dans un savoir professoral, en dehors de toute réflexion, faisant de l'élève une simple marionnette.

C'est beau et coloré avec une très belle mise en scène qui laisse voir un tournoiement chorégraphique où les voix font écho à une dynamique corporelle en respectant le fameux adage "faire corps avec son esprit". Un pur délice.

"La leçon"

D'après l'œuvre originale d'Eugène Ionesco.
Pièce pour 7 danseurs.
Conception et chorégraphie : Marie-Claude Pietragalla et Julien Derouault.
Avec : Julien Derouault, Caroline Jaubert, Solène Ernaux Messina, Amélie Lampidecchia, Carla Béral, Robin Sallat, Antonin Vanlangendonck.
Conception visuelle et scénographie 3D : Christophe Rendu.
Lumière : Alexis David.
Costumes : Marie-Claude Pietragalla.
Production Théâtre du Corps.
Durée : 1 h 15.

Du 14 octobre au 3 décembre 2022.
Vendredi et samedi à 19 h, dimanche à 14 h 30, en alternance avec "La Femme Qui Danse".
Théâtre de la Madeleine, Paris 8e, 01 42 65 07 09.
>> theatre-madeleine.com

Safidin Alouache
Jeudi 17 Novembre 2022

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© Pics.
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© Grégory Juppin.
Hedwig bouscule les codes de la bienséance et va jusqu'au bout de ses rêves.
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Central Park, à l'heure de la pause déjeuner. Un homme seul profite de sa quotidienne séquence de répit, sur un banc, symbole de ce minuscule territoire devenu son havre de paix. Dans ce moment voulu comme une trêve face à la folie du monde et aux contraintes de la société laborieuse, un homme surgit sans raison apparente, venant briser la solitude du travailleur au repos. Entrant dans la narration d'un pseudo-récit, il va bouleverser l'ordre des choses, inverser les pouvoirs et détruire les convictions, pour le simple jeu – absurde ? – de la mise en exergue de nos inhumanités et de nos dérives solitaires.

© Alejandro Guerrero.
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La rencontre fortuite entre ces deux humains est en réalité un faux-semblant, tout comme la prétendue histoire du zoo qui ne viendra jamais, Edward Albee (1928-2016) proposant ici une réflexion sur les dérives de la société humaine qui, au fil des décennies, a construit toujours plus de barrières entre elle et le vivant, créant le terreau des détresses ordinaires et des grandes solitudes. Ce constat fait dans les années cinquante par l'auteur américain de "Qui a peur de Virginia Woolf ?" se révèle plus que jamais d'actualité avec l'évolution actuelle de notre monde dans lequel l'individualisme a pris le pas sur le collectif.

Gil Chauveau
15/09/2023