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Théâtre

"La Faute" La tempête Xinthia tue 29 habitants de La Faute-sur-Mer… La Faute au maire ?

Depuis leur prise de fonctions à la direction du Théâtre du Point du Jour, Angélique Clairand et Éric Massé ont choisi de développer une programmation résolument tournée vers des thématiques contemporaines : sujets d'actualités, théâtre documentaire et problématiques du XXIe siècle sont au centre de la plupart des spectacles proposés. Pour "La Faute", c'est le duo de direction qui est à la manœuvre de la conception, à la réalisation, en passant par le jeu.



© Jean-Louis Fernandez.
© Jean-Louis Fernandez.
L'idée de créer un spectacle sur les drames provoqués par la tempête Xinthia en 2010 est née par une nuit d'insomnie dans l'imaginaire d'Angélique Clairand. Après s'être arrêtée sur une scène du film "Parasite" lors de laquelle les occupants d'un sous-sol manquent de finir noyés, pris entre inondation et plafond, le souvenir s'est imposé en elle. Souvenir de cette tempête qui l'avait touchée de près puisque ses parents y avaient perdu la maison de rêve de toute leur existence. Cette maison était à La Faute-sur-Mer. Dans un lotissement niché derrière une digue, dans une cuvette, en dessous du niveau de l'eau. À "La Faute", dans la nuit du 27 février 2010, en 15 minutes, la "Cuvette" avait été noyée : on y avait retrouvé près d'une trentaine de morts.

La création de ce spectacle a commencé par une longue enquête auprès des victimes de ce drame : rescapés, endeuillés, traumatisés. Leurs témoignages furent longs et difficiles à accoucher. Angélique Clairand, Éric Massé, accompagné de François Hien appelé sur le projet pour en écrire le texte, parvinrent à accumuler nombre d'histoires, des brèves de vies défigurées par cette nuit où le ciel et l'océan déferlèrent sur le sommeil des habitants de ce quartier populaire aux maisons basses.

De cette matière, François Hien a façonné une vingtaine de personnages et construit une trame qui couvre quatre années. Celles-ci évoquent la vie des résidents de ce lotissement avant le drame, la nuit de tempête, puis les suites, les combats pour identifier les responsables, le procès. Et surtout, les conséquences invisibles : la culpabilisation des rescapés, les maladies qui en naissent, les traumatismes.

© Jean-Louis Fernandez.
© Jean-Louis Fernandez.
Mais aussi, les solidarités, fortes, ce besoin d'être ensemble, de lutter pour comprendre les raisons de ce drame et vivre encore après. Ce sera d'ailleurs un procès fleuve, avec plus d'une centaine de plaignants formant la partie civile et la condamnation du maire du village (et la responsabilité de l'État français) pour mise en danger de la vie d'autrui : sa responsabilité entière dans la construction de ce lotissement en zone inondable ne laisse pas ici place au doute.

La pièce suit le déroulement chronologique de la tempête et de ses conséquences. Axant son action sur une quinzaine de personnages (tous incarnés par les cinq interprètes) qui gravitent autour d'un couple, véritable moteur de ce besoin de savoir, qui bien avant la tempête avaient lancé l'alerte sur les faiblesses de la digue qui menaçaient ce quartier de La Faute-sur-Mer. Une alerte ignorée par la mairie et par de nombreux habitants.

La pièce est faite de scènes courtes, vives, des changements de rôle habiles (une simple veste que l'on enfile ou une béquille et un boitement suffisent à styliser les figures). Le décor de Jane Joyet est, lui aussi, ingénieux et beau. Une partie de celui-ci, conçu à partir de panneaux accrochés à des filins, flotte au-dessus du plateau. Il agit comme un ballet étrange, un élément presque vivant qui menace ou écrase, réduit ou ouvre l'espace.

Devoir de mémoire et quête de justice émanent de cette mise en scène qui cherche avec authenticité à englober le plus possible de témoignages. Même si l'abondance de ces derniers et des reconstitutions affaiblit parfois les tensions dramatiques de l'histoire, l'existence de ce spectacle est salutaire et nécessaire pour faire revivre les paroles et ne pas les oublier dans les archives du temps.

"La Faute"

© Jean-Louis Fernandez.
© Jean-Louis Fernandez.
Texte : François Hien.
Mise en scène : Angélique Clairand et Éric Massé.
Collaboration à la mise en scène : Héloïse Gaubert et Hervé Dartiguelongue.
Avec : Gilles Chabrier, Angélique Clairand, Ivan Hérisson, Nicole Mersey Ortega et Samira Sedira.
Scénographie : Jane Joyet .
Création lumière : Juliette Romens.
Création son : Nicolas Lespagnol-Rizzi.
Costumes : Laura Garnier.
Régie générale : Clémentine Pradier et Bastien Pétillard.
Construction et conception décors : Didier Raymond.
Création au Théâtre du Point du Jour le 30 septembre 2021.
Compagnie des Lumas.
Durée : 2 h 15.
À partir de 14 ans.

Du 30 septembre au 11 octobre 2021.
Représentations à 20 h les 30 septembre, 1er, 6, 7, 8, 9 et 11 octobre 2021.
Théâtre du Point du Jour, Lyon 5e, 04 78 25 27 59.
>> pointdujourtheatre.fr

Bruno Fougniès
Lundi 4 Octobre 2021

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"L'Effet Papillon" Se laisser emporter au fil d'un simple vol de papillon pour une fascinante expérience

Vous pensez que vos choix sont libres ? Que vos pensées sont bien gardées dans votre esprit ? Que vous êtes éventuellement imprévisibles ? Et si ce n'était pas le cas ? Et si tout partait de vous… Ouvrez bien grands les yeux et vivez pleinement l'expérience de l'Effet Papillon !

© Pics.
Vous avez certainement entendu parler de "l'effet papillon", expression inventée par le mathématicien-météorologue Edward Lorenz, inventeur de la théorie du chaos, à partir d'un phénomène découvert en 1961. Ce phénomène insinue qu'il suffit de modifier de façon infime un paramètre dans un modèle météo pour que celui-ci s'amplifie progressivement et provoque, à long terme, des changements colossaux.

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Brigitte Corrigou
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La comédie musicale rock de Broadway enfin en France ! Récompensée quatre fois aux Tony Awards, Hedwig, la chanteuse transsexuelle germano-américaine, est-allemande, dont la carrière n'a jamais démarré, est accompagnée de son mari croate,Yithak, qui est aussi son assistant et choriste, mais avec lequel elle entretient des relations malsaines, et de son groupe, the Angry Inch. Tout cela pour retracer son parcours de vie pour le moins chaotique : Berlin Est, son adolescence de mauvais garçon, son besoin de liberté, sa passion pour le rock, sa transformation en Hedwig après une opération bâclée qui lui permet de quitter l'Allemagne en épouse d'un GI américain, ce, grâce au soutien sans failles de sa mère…

© Grégory Juppin.
Hedwig bouscule les codes de la bienséance et va jusqu'au bout de ses rêves.
Ni femme, ni homme, entre humour queer et confidences trash, il/elle raconte surtout l'histoire de son premier amour devenu l'une des plus grandes stars du rock, Tommy Gnosis, qui ne cessera de le/la hanter et de le/la poursuivre à sa manière.

"Hedwig and the Angry inch" a vu le jour pour la première fois en 1998, au Off Broadway, dans les caves, sous la direction de John Cameron Mitchell. C'est d'ailleurs lui-même qui l'adaptera au cinéma en 2001. C'est la version de 2014, avec Neil Patrick Harris dans le rôle-titre, qui remporte les quatre Tony Awards, dont celui de la meilleure reprise de comédie musicale.

Ce soir-là, c'était la première fois que nous assistions à un spectacle au Théâtre du Rouge Gorge, alors que nous venons pourtant au Festival depuis de nombreuses années ! Situé au pied du Palais des Papes, du centre historique et du non moins connu hôtel de la Mirande, il s'agit là d'un lieu de la ville close pour le moins pittoresque et exceptionnel.

Brigitte Corrigou
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Spectacle à la Une

"Zoo Story" Dans un océan d'inhumanités, retrouver le vivre ensemble

Central Park, à l'heure de la pause déjeuner. Un homme seul profite de sa quotidienne séquence de répit, sur un banc, symbole de ce minuscule territoire devenu son havre de paix. Dans ce moment voulu comme une trêve face à la folie du monde et aux contraintes de la société laborieuse, un homme surgit sans raison apparente, venant briser la solitude du travailleur au repos. Entrant dans la narration d'un pseudo-récit, il va bouleverser l'ordre des choses, inverser les pouvoirs et détruire les convictions, pour le simple jeu – absurde ? – de la mise en exergue de nos inhumanités et de nos dérives solitaires.

© Alejandro Guerrero.
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Les profils psychologiques des deux personnages sont subtilement élaborés, puis finement étudiés, analysés, au fil de la narration, avec une inversion, un basculement "dominant - dominé", s'inscrivant en douceur dans le déroulement de la pièce. La confrontation, involontaire au début, Peter se laissant tout d'abord porter par le récit de Jerry, devient plus prégnante, incisive, ce dernier portant ses propos plus sur des questionnements existentiels sur la vie, sur les injonctions à la normalité de la société et la réalité pitoyable – selon lui – de l'existence de Peter… cela sous prétexte d'une prise de pouvoir de son espace vital de repos qu'est le banc que celui-ci utilise pour sa pause déjeuner.

La rencontre fortuite entre ces deux humains est en réalité un faux-semblant, tout comme la prétendue histoire du zoo qui ne viendra jamais, Edward Albee (1928-2016) proposant ici une réflexion sur les dérives de la société humaine qui, au fil des décennies, a construit toujours plus de barrières entre elle et le vivant, créant le terreau des détresses ordinaires et des grandes solitudes. Ce constat fait dans les années cinquante par l'auteur américain de "Qui a peur de Virginia Woolf ?" se révèle plus que jamais d'actualité avec l'évolution actuelle de notre monde dans lequel l'individualisme a pris le pas sur le collectif.

Gil Chauveau
15/09/2023