La Revue du Spectacle, le magazine des arts de la scène et du spectacle vivant. Infos théâtre, chanson, café-théâtre, cirque, arts de la rue, agenda, CD, etc.



Augmenter la taille du texte
Diminuer la taille du texte
Partager
Théâtre

"L'Île d'Or"… Un théâtre rêvé !

Dans une vaste fresque où tragédies, régions et langues du monde s'entrecroisent, Mnouchkine propose la suite de "La chambre d'Inde" (jouée de 2016 à 2018) où le rêve, avec le nô, tient lieu de mise en scène avec ses idéaux politiques.



© Michèle Laurent.
© Michèle Laurent.
Un téléphone sonne dans le public. Deux kurokos arrivent à la recherche du coupable. Qui se trouve sur scène dans son lit et à qui le précieux sésame est donné. C'est Cornélia (Hélène Cinque) que nous avions déjà vu dans "La chambre d'Inde".

L'île d'Or ? Laissons raconter Hélène Cixous… "Mais qu'est-ce que l'or ? Pour nos personnages défenseurs du Bonheur, ce n'est pas l'or des mines et des banques, c'est l'or de l'hospitalité, l'or innocent, hors coffre, l'or des banquets de l'amitié, le bon or qui va permettre la Fête de la Guérison à venir, de l'intelligence ranimée". C'est ce besoin de partir vers un ailleurs, si vrai car il a été complètement imaginé, comme quand "… on était malade, hier, vous vous souvenez - de la bêtise, de la médiocrité, comme on était mondialement malade, de la lâcheté, de l'empoisonnement de la vérité, des minables trafiquants des consciences et des sciences, de la complicité des pouvoirs avec toutes les forces de destruction, du délabrement volontaire de la langue, de la chute vertigineuse des lumières dans l'entonnoir des ténèbres !".

© Michèle Laurent.
© Michèle Laurent.
"En fait, je cherchais mon île. Je ne voulais pas du monde tel qu'il était. Je désirais un endroit où le monde se transforme et soit transformable" (l'Art du présent, 2016). Ces paroles prononcées en 2002 par Mnouchkine font directement écho à sa création où fonctionne tout un microcosme avec ses protagonistes, ses combats et ses libertés permettant, selon Hélène Cixous, "d'observer le monde depuis cet observatoire sublime qu'est le Japon".

"L'Île d'Or" est la suite de "La chambre d'Inde" (jouée en 2016, 2017 et 2018) où nous retrouvons Cornélia dans l'incarnation de Mnouchkine en position allongée dans son lit. On y trouve aussi cette même construction de scènes, de tableaux autour d'un humour toujours très présent. La question que Cornélia se posait dans "La chambre d'Inde" était de savoir ce qu'est le théâtre.

Là, une réponse y est apportée. Il est création, voire recréation du monde avec ses valeurs politiques comme toujours chez Mnouchkine. Il n'y a pas que l'archipel, on se retrouve par exemple aussi dans le désert avec un camion et un chameau perdus dans les méandres tragiques du conflit israélo-palestinien. Le rêve permet cette contraction des distances et des univers. Dans celui-ci, Freud (1856-1939) avait expliqué qu'il n'y avait ni logique, ni notion de temps.

© Michèle Laurent.
© Michèle Laurent.
Aussi, sur scène, de très jolis tableaux se suivent où l'équipe municipale de Kanemujima, marionnettistes, policiers, kurokos, pêcheurs et amants apparaissent sans avoir parfois de continuité dramaturgique. Ou plutôt si ! C'est celle du théâtre avec sa légèreté, sa gravité, sa poésie et ses combats ! Tous ses ingrédients construisent la trame du spectacle et s'emboîtent comme des pièces dans un puzzle pour former un tout. Le changement des décors est aussi un autre moment de la représentation qui donne du rythme.

Même si enfant, Mnouchkine rêvait d'aller en Chine, rêve brisé depuis par un refus de visa, c'est le Japon qui a nourri sa passion des planches jusqu'à en devenir une source d'inspiration, car c'est là-bas dans un quartier d'Asakusa, comme elle le raconte, "et sur cette scène minuscule, j'ai vu devant moi ce que devait être le théâtre et l'acteur". Au travers du Japon, le nô est aussi utilisé dans les pas de danse, les déplacements, les vers. Ses masques font aussi le lien avec le rêve en donnant des traits peu précis aux visages.

© Michèle Laurent.
© Michèle Laurent.
Les décors sont somptueux, larges, grands ouverts même quand cela se déroule dans une pièce. L'humour s'immisce jusqu'aux costumes où la nudité est "habillée" par de longs collants couleur "peau" qui recouvrent tout le corps dans deux scènes. Dans celle-là, chez les hommes, le pénis, construit comme un costume, est très visible de par sa nature donnant un aspect humoristique aux deux "Français", ces personnages toujours à poil et nommés comme tel.

Cela leur donne un sentiment colonial ridicule de toute-puissance mise à nu. Le téléphone portable est aussi l'autre élément du spectacle. Il relie les uns aux autres et met en relation Cornélia avec son réel. Il est passé de main en main durant toute la représentation un peu comme un réveil et un appel vers l'autre même si l'imagination joue les chefs d'orchestre et commande les tableaux.

Différentes langues, comme dans "La chambre d'Inde", cohabitent. Et le français est châtié avec les verbes finissant chaque réplique, dite sans emphase et coulant naturellement. Le final de la scène fait une dernière place au nô avec l'ensemble de la troupe. Comme un appel vers un ailleurs où une autre réalité, fruit de l'imagination, se construit avec poésie.

"L'Île d'Or"

© Michèle Laurent.
© Michèle Laurent.
Kanemu-Jima.
D'Hélène Cixous.
Une création collective du Théâtre du Soleil
 "en harmonie" avec Hélène Cixous.
Mise en scène : Ariane Mnouchkine.
Musique : Jean-Jacques Lemêtre.
Avec : Sébastien Brottet-Michel, Hélène Cinque, Omid Rawendah, Juliana Carneiro da Cunha, Nirupama Nityanandan, Maurice Durozier, Georges Bigot, Judit Jancso, Vincent Mangado, Dominique Jambert, Alice Milléquant, Farid Gul Ahmad, Samir Abdul Jabbar Saed, Andréa Marchant, Alice Borsari, Duccio Bellugi-Vannuccini, Sayed Ahmad Hashimi, Shaghayegh Beheshti, Thérèse Spirli, Julia Marini, Martial Jacques, Seietsu Onochi, Reza Rajabi, Taher Akbar Baig, Arman Saribekyan, Eve Doe Bruce, Shafiq Kohi, Agustin Letelier, Ya-Hui Liang, Xevi Ribas, Miguel Nogueira, Vijayan Panikkaveettil.
>> Générique complet du spectacle
Durée : 3 h 15 avec l'entracte.

© Michèle Laurent.
© Michèle Laurent.
Du 9 au 27 novembre 2022.
Du mercredi au vendredi à 20 h, plus le mardi 22 à 20 h, samedi et dimanche à 14 h.
Théâtre de la Cité - CDN Toulouse Occitanie, Toulouse (31), 05 34 45 05 05.
>> theatre-cite.com

Reprise à partir du 9 décembre 2022.
Du mercredi au vendredi à 19 h 30, samedi à 15 h, dimanche à 13 h 30.
Théâtre du Soleil, Cartoucherie de Vincennes, Paris 12e, 01 43 74 24 08.
>> theatre-du-soleil.fr

© Michèle Laurent.
© Michèle Laurent.

Safidin Alouache
Vendredi 4 Novembre 2022

Nouveau commentaire :

Théâtre | Danse | Concerts & Lyrique | À l'affiche | À l'affiche bis | Cirque & Rue | Humour | Festivals | Pitchouns | Paroles & Musique | Avignon 2017 | Avignon 2018 | Avignon 2019 | CédéDévédé | Trib'Une | RV du Jour | Pièce du boucher | Coulisses & Cie | Coin de l’œil | Archives | Avignon 2021 | Avignon 2022 | Avignon 2023 | Avignon 2024 | À l'affiche ter




Numéros Papier

Anciens Numéros de La Revue du Spectacle (10)

Vente des numéros "Collectors" de La Revue du Spectacle.
10 euros l'exemplaire, frais de port compris.






À Découvrir

•Off 2024• "Mon Petit Grand Frère" Récit salvateur d'un enfant traumatisé au bénéfice du devenir apaisé de l'adulte qu'il est devenu

Comment dire l'indicible, comment formuler les vagues souvenirs, les incertaines sensations qui furent captés, partiellement mémorisés à la petite enfance. Accoucher de cette résurgence voilée, diffuse, d'un drame familial ayant eu lieu à l'âge de deux ans est le parcours théâtral, étonnamment réussie, que nous offre Miguel-Ange Sarmiento avec "Mon petit grand frère". Ce qui aurait pu paraître une psychanalyse impudique devient alors une parole salvatrice porteuse d'un écho libératoire pour nos propres histoires douloureuses.

© Ève Pinel.
9 mars 1971, un petit bonhomme, dans les premiers pas de sa vie, goûte aux derniers instants du ravissement juvénile de voir sa maman souriante, heureuse. Mais, dans peu de temps, la fenêtre du bonheur va se refermer. Le drame n'est pas loin et le bonheur fait ses valises. À ce moment-là, personne ne le sait encore, mais les affres du destin se sont mis en marche, et plus rien ne sera comme avant.

En préambule du malheur à venir, le texte, traversant en permanence le pont entre narration réaliste et phrasé poétique, nous conduit à la découverte du quotidien plein de joie et de tendresse du pitchoun qu'est Miguel-Ange. Jeux d'enfants faits de marelle, de dinette, de billes, et de couchers sur la musique de Nounours et de "bonne nuit les petits". L'enfant est affectueux. "Je suis un garçon raisonnable. Je fais attention à ma maman. Je suis un bon garçon." Le bonheur est simple, mais joyeux et empli de tendresse.

Puis, entre dans la narration la disparition du grand frère de trois ans son aîné. La mort n'ayant, on le sait, aucune morale et aucun scrupule à commettre ses actes, antinaturelles lorsqu'il s'agit d'ôter la vie à un bambin. L'accident est acté et deux gamins dans le bassin sont décédés, ceux-ci n'ayant pu être ramenés à la vie. Là, se révèle l'avant et l'après. Le bonheur s'est enfui et rien ne sera plus comme avant.

Gil Chauveau
14/06/2024
Spectacle à la Une

•Off 2024• Lou Casa "Barbara & Brel" À nouveau un souffle singulier et virtuose passe sur l'œuvre de Barbara et de Brel

Ils sont peu nombreux ceux qui ont une réelle vision d'interprétation d'œuvres d'artistes "monuments" tels Brel, Barbara, Brassens, Piaf et bien d'autres. Lou Casa fait partie de ces rares virtuoses qui arrivent à imprimer leur signature sans effacer le filigrane du monstre sacré interprété. Après une relecture lumineuse en 2016 de quelques chansons de Barbara, voici le profond et solaire "Barbara & Brel".

© Betül Balkan.
Comme dans son précédent opus "À ce jour" (consacré à Barbara), Marc Casa est habité par ses choix, donnant un souffle original et unique à chaque titre choisi. Évitant musicalement l'écueil des orchestrations "datées" en optant systématiquement pour des sonorités contemporaines, chaque chanson est synonyme d'une grande richesse et variété instrumentales. Le timbre de la voix est prenant et fait montre à chaque fois d'une émouvante et artistique sincérité.

On retrouve dans cet album une réelle intensité pour chaque interprétation, une profondeur dans la tessiture, dans les tonalités exprimées dont on sent qu'elles puisent tant dans l'âme créatrice des illustres auteurs que dans les recoins intimes, les chemins de vie personnelle de Marc Casa, pour y mettre, dans une manière discrète et maîtrisée, emplie de sincérité, un peu de sa propre histoire.

"Nous mettons en écho des chansons de Barbara et Brel qui ont abordé les mêmes thèmes mais de manières différentes. L'idée est juste d'utiliser leur matière, leur art, tout en gardant une distance, en s'affranchissant de ce qu'ils sont, de ce qu'ils représentent aujourd'hui dans la culture populaire, dans la culture en général… qui est énorme !"

Gil Chauveau
19/06/2024
Spectacle à la Une

•Off 2024• "Un Chapeau de paille d'Italie" Une version singulière et explosive interrogeant nos libertés individuelles…

… face aux normalisations sociétales et idéologiques

Si l'art de générer des productions enthousiastes et inventives est incontestablement dans l'ADN de la compagnie L'Éternel Été, l'engagement citoyen fait aussi partie de la démarche créative de ses membres. La présente proposition ne déroge pas à la règle. Ainsi, Emmanuel Besnault et Benoît Gruel nous offrent une version décoiffante, vive, presque juvénile, mais diablement ancrée dans les problématiques actuelles, du "Chapeau de paille d'Italie"… pièce d'Eugène Labiche, véritable référence du vaudeville.

© Philippe Hanula.
L'argument, simple, n'en reste pas moins source de quiproquos, de riantes ficelles propres à la comédie et d'une bonne dose de situations grotesques, burlesques, voire absurdes. À l'aube d'un mariage des plus prometteurs avec la très florale Hélène – née sans doute dans les roses… ornant les pépinières parentales –, le fringant Fadinard se lance dans une quête effrénée pour récupérer un chapeau de paille d'Italie… Pour remplacer celui croqué – en guise de petit-déj ! – par un membre de la gent équestre, moteur exclusif de son hippomobile, ci-devant fiacre. À noter que le chapeau alimentaire appartenait à une belle – porteuse d'une alliance – en rendez-vous coupable avec un soldat, sans doute Apollon à ses heures perdues.

N'ayant pas vocation à pérenniser toute forme d'adaptation académique, nos deux metteurs en scène vont imaginer que cette histoire absurde est un songe, le songe d'une nuit… niché au creux du voyage ensommeillé de l'aimable Fadinard. Accrochez-vous à votre oreiller ! La pièce la plus célèbre de Labiche se transforme en une nouvelle comédie explosive, électro-onirique ! Comme un rêve habité de nounours dans un sommeil moelleux peuplé d'êtres extravagants en doudounes orange.

Gil Chauveau
26/03/2024