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Théâtre

"L'Éveil du printemps" Sans fard pour mieux voir la pulsation des veines sous la peau

À nu. À cru comme on dit en cuisine lorsqu'on défait une orange de sa peau au fil d'un couteau. À cru comme en équitation où le corps de l'animal et du cavalier sont chair contre chair. "L'Éveil du printemps", mis en scène par Armel Roussel, écarte tout ce qui pourrait s'interposer entre la réalité de ce que raconte le texte de Wedekind et nous, mais également entre ce qui se dit dans la pièce et ce qui se joue physiquement. Il nous plonge dans la marmite du dramaturge.



© Pascal Gély.
© Pascal Gély.
C'est résolument et presque radicalement le point de vue des adolescents qui est exposé ici. Les ados, on le sait, n'ont pas exactement la même perception du monde que les adultes. Ils sont en crise (c'est ainsi qu'on nomme cet âge). Ils se jettent de plein fouet sur la rugosité du monde, pour éprouver sa résistance mais aussi pour expérimenter leurs propres limites, leurs propres perceptions, leur sensibilité, leurs forces, leurs faiblesses.

C'est l'âge des excès, des expériences, des défis. C'est surtout l'âge d'une sexualité explosive qui dynamite chaque heure et pointe sa curiosité dans tous les rapports. Face à cette force, le cadre moral inculqué depuis l'enfance explose. C'est ce tremblement de terre et cette métamorphose que tente de raconter la pièce de Wedekind, écrite en 1891, censurée pendant quinze ans pour cause d'obscénité.

L'obscénité n'est pas toujours là où l'ordre établit la place. Dans la mise en scène d'Armel Roussel, c'est au contraire dans les hontes et les cachoteries des adultes qu'elle s'étale dans toute sa fausseté. Le monde des enfants de 14 ans est ici glorifié dans une impudeur sans arrière-pensées, un débridement des sens qui, sur le plateau, se déroule comme un rituel libérateur, exacerbé, presque comme un rituel sacré.

© Pascal Gély.
© Pascal Gély.
Le sol est fait de terre battue d'un brun sombre, une lande où vont pousser les herbes du printemps et où vont s'enterrer les cadavres dans ce cycle naturel de la vie. Les corps sont faits de chair, de démangeaisons érotiques, d'étreintes troublantes. L'air est fait de musiques et de cris, de pluies fertiles et purifiantes, de brumes nocturnes où l'enfant devient homme et où l'homme devient animal. Toutes les dimensions ont été remplies de vie, de pulsions et de matières organiques pour troubler les sens des spectateurs.

Avec des comédiennes et des comédiens qui investissent des ongles aux cheveux leurs personnages avec une fougue et une générosité totale ; et avec une mise en scène au rythme magnifiquement soutenu par la musique du groupe Juicy, cet "Éveil du printemps" parvient à faire ressentir l'extraordinaire brutalité vécue par la jeunesse avec sa confrontation au suicide, au viol, à l'avortement dramatique, mais, dans le même temps, à nous donner une partie de sa lumineuse énergie originelle.

"L'Éveil du printemps"

© Pascal Gély.
© Pascal Gély.
Texte Frank Wedekind.
Adaptation et mise en scène : Armel Roussel.
Assistant à la mise en scène : Julien Jaillot.
Avec : Nadège Cathelineau, Romain Cinter, Thomas Dubot, Julien Frégé, Amandine Laval, Nicolas Luçon, Berdine Nusselder, Sophie Sénécaut, Lode Thiery, Uiko Watanabe, Judith Williquet
et le groupe Juicy (Julie Rens, Sasha Vovk) en alternance avec Elbi.
Lumières : Amélie Géhin.
Costumes : Coline Wauters.
Son : Pierre-Alexandre Lampert.
Maquillages : Urteza da Fonseca.
Collaboration artistique : Nathalie Borlée.
Durée : 2 h 30 sans entracte.
À partir de 14 ans.
Production [e]utopia[4] & Studio Théâtre National Wallonie-Bruxelles.

© Pascal Gély.
© Pascal Gély.
A été joué au Théâtre de la Tempête, Cartoucherie de Vincennes, Paris 12e, à partir du 27 février 2020 jusqu'à la fermeture du théâtre suite aux décisions gouvernementales visant à assurer la protection sanitaire face à l'épidémie Covid-19.
>> la-tempete.fr

Bruno Fougniès
Vendredi 20 Mars 2020

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"Le Chef-d'œuvre Inconnu" Histoire fascinante transcendée par le théâtre et le génie d'une comédienne

À Paris, près du quai des Grands-Augustins, au début du XVIIe siècle, trois peintres devisent sur leur art. L'un est un jeune inconnu promis à la gloire : Nicolas Poussin. Le deuxième, Franz Porbus, portraitiste du roi Henri IV, est dans la plénitude de son talent et au faîte de sa renommée. Le troisième, le vieux Maître Frenhofer, personnage imaginé par Balzac, a côtoyé les plus grands maîtres et assimilé leurs leçons. Il met la dernière main dans le plus grand secret à un mystérieux "chef-d'œuvre".

© Jean-François Delon.
Il faudra que Gilette, la compagne de Poussin, en qui Frenhofer espère trouver le modèle idéal, soit admise dans l'atelier du peintre, pour que Porbus et Poussin découvrent le tableau dont Frenhofer gardait jalousement le secret et sur lequel il travaille depuis 10 ans. Cette découverte les plongera dans la stupéfaction !

Quelle autre salle de spectacle aurait pu accueillir avec autant de justesse cette adaptation théâtrale de la célèbre nouvelle de Balzac ? Une petite salle grande comme un mouchoir de poche, chaleureuse et hospitalière malgré ses murs tout en pierres, bien connue des férus(es) de théâtre et nichée au cœur du Marais ?

Cela dit, personne ne nous avait dit qu'à l'Essaïon, on pouvait aussi assister à des séances de cinéma ! Car c'est pratiquement à cela que nous avons assisté lors de la générale de presse lundi 27 mars dernier tant le talent de Catherine Aymerie, la comédienne seule en scène, nous a emportés(es) et transportés(es) dans l'univers de Balzac. La force des images transmises par son jeu hors du commun nous a fait vire une heure d'une brillante intensité visuelle.

Pour peu que l'on foule de temps en temps les planches des théâtres en tant que comédiens(nes) amateurs(es), on saura doublement jauger à quel point jouer est un métier hors du commun !
C'est une grande leçon de théâtre que nous propose là la Compagnie de la Rencontre, et surtout Catherine Aymerie. Une très grande leçon !

Brigitte Corrigou
06/03/2024
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"L'Effet Papillon" Se laisser emporter au fil d'un simple vol de papillon pour une fascinante expérience

Vous pensez que vos choix sont libres ? Que vos pensées sont bien gardées dans votre esprit ? Que vous êtes éventuellement imprévisibles ? Et si ce n'était pas le cas ? Et si tout partait de vous… Ouvrez bien grands les yeux et vivez pleinement l'expérience de l'Effet Papillon !

© Pics.
Vous avez certainement entendu parler de "l'effet papillon", expression inventée par le mathématicien-météorologue Edward Lorenz, inventeur de la théorie du chaos, à partir d'un phénomène découvert en 1961. Ce phénomène insinue qu'il suffit de modifier de façon infime un paramètre dans un modèle météo pour que celui-ci s'amplifie progressivement et provoque, à long terme, des changements colossaux.

Par extension, l'expression sous-entend que les moindres petits événements peuvent déterminer des phénomènes qui paraissent imprévisibles et incontrôlables ou qu'une infime modification des conditions initiales peut engendrer rapidement des effets importants. Ainsi, les battements d'ailes d'un papillon au Brésil peuvent engendrer une tornade au Mexique ou au Texas !

C'est à partir de cette théorie que le mentaliste Taha Mansour nous invite à nouveau, en cette rentrée, à effectuer un voyage hors du commun. Son spectacle a reçu un succès notoire au Sham's Théâtre lors du Festival d'Avignon cet été dernier.

Impossible que quiconque sorte "indemne" de cette phénoménale prestation, ni que nos certitudes sur "le monde comme il va", et surtout sur nous-mêmes, ne soient bousculées, chamboulées, contrariées.

"Le mystérieux est le plus beau sentiment que l'on peut ressentir", Albert Einstein. Et si le plus beau spectacle de mentalisme du moment, en cette rentrée parisienne, c'était celui-là ? Car Tahar Mansour y est fascinant à plusieurs niveaux, lui qui voulait devenir ingénieur, pour qui "Centrale" n'a aucun secret, mais qui, pourtant, a toujours eu une âme d'artiste bien ancrée au fond de lui. Le secret de ce spectacle exceptionnel et époustouflant serait-il là, niché au cœur du rationnel et de la poésie ?

Brigitte Corrigou
08/09/2023
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"Deux mains, la liberté" Un huis clos intense qui nous plonge aux sources du mal

Le mal s'appelle Heinrich Himmler, chef des SS et de la Gestapo, organisateur des camps de concentration du Troisième Reich, très proche d'Hitler depuis le tout début de l'ascension de ce dernier, près de vingt ans avant la Deuxième Guerre mondiale. Himmler ressemble par son physique et sa pensée à un petit, banal, médiocre fonctionnaire.

© Christel Billault.
Ordonné, pratique, méthodique, il organise l'extermination des marginaux et des Juifs comme un gestionnaire. Point. Il aurait été, comme son sous-fifre Adolf Eichmann, le type même décrit par Hannah Arendt comme étant la "banalité du mal". Mais Himmler échappa à son procès en se donnant la mort. Parfois, rien n'est plus monstrueux que la banalité, l'ordre, la médiocrité.

Malgré la pâleur de leur personnalité, les noms de ces âmes de fonctionnaires sont gravés dans notre mémoire collective comme l'incarnation du Mal et de l'inimaginable, quand d'autres noms - dont les actes furent éblouissants d'humanité - restent dans l'ombre. Parmi eux, Oskar Schindler et sa liste ont été sauvés de l'oubli grâce au film de Steven Spielberg, mais également par la distinction qui lui a été faite d'être reconnu "Juste parmi les nations". D'autres n'ont eu aucune de ces deux chances. Ainsi, le héros de cette pièce, Félix Kersten, oublié.

Joseph Kessel lui consacra pourtant un livre, "Les Mains du miracle", et, aujourd'hui, Antoine Nouel, l'auteur de la pièce, l'incarne dans la pièce qu'il a également mise en scène. C'est un investissement total que ce comédien a mis dans ce projet pour sortir des nimbes le visage étonnant de ce personnage de l'Histoire qui, par son action, a fait libérer près de 100 000 victimes du régime nazi. Des chiffres qui font tourner la tête, mais il est le résultat d'une volonté patiente qui, durant des années, négocia la vie contre le don.

Bruno Fougniès
15/10/2023