La Revue du Spectacle, le magazine des arts de la scène et du spectacle vivant. Infos théâtre, chanson, café-théâtre, cirque, arts de la rue, agenda, CD, etc.



Augmenter la taille du texte
Diminuer la taille du texte
Partager
Théâtre

"Ivanov"... Une non-comédie dans l'antichambre du drame... Tension de l'art et de l'éphémère

"Ivanov", Théâtre de l'Odéon, Paris

La pièce Ivanov se présente comme une comédie décrivant des scènes de la vie rurale. Il est question d'une contrée peuplée de personnages hauts en couleurs, très chiches, pingres et sans vergogne. Leur tradition leur impose la chasse à la dot, le rapprochement des parcelles agricoles et la beuverie générale lors des épousailles...



Ivanov © Thierry Depagne
Ivanov © Thierry Depagne
C'est une société mue par une insondable bêtise à fort taux de bonne conscience ou de cynisme, et à fort risque d'altercations jalouses, de regards envieux et de médisances systématiques. De fausses semblances.

Ainsi Ivanov est-il au centre des conversations. Objet de moquerie ou de compassion. Ivanov ? C'est celui qui a fait un beau mariage envié et qui porte maintenant le fardeau de son échec, sa ruine et la disparition de sa femme trop aimante qui meurt au petit feu de la tuberculose. Ivanov qui paraît insensible, qui se croit tellement coupable qu'il en disparaît. Ivanov, inadapté, incompris, exclu. La pièce a l'humour grinçant et farcesque.

Mais l'œuvre théâtrale du jeune médecin qu'est alors Tchekhov est tellement précise dans ses dialogues et observation des comportements que l'effet comique est déplacé.

L'ensemble renvoie à une forme d'enquête sociale et médicale quasi scientifique. Un cas de comédie "tragédissime"* par laquelle l'auteur, tenant l'équilibre, pesant le pour et le contre, confie au lecteur spectateur d'établir le diagnostic du cas.

Ivanov © Thierry Depagne
Ivanov © Thierry Depagne
Dans la mise en scène stylisée de Luc Bondy, Ivanov est toujours présent sur scène, comme invisible aux autres, mais détenant pour le spectateur un étonnant pouvoir d'attraction. Micha Lescot, long échalas qui se déplie et se referme, dont l'intensité de jeu ne fait que croître au long de la représentation, montre l'air de rien qu'il est courant de tout, voit tout, entend des bribes de tout. Ivanov est comme au spectacle de sa propre déchéance. Accablé. Complexe.

Par contraste les autres personnages semblent brossés à grands traits, sans zones d'ombre, traités comme des silhouettes croquées hâtivement. Ce parti pris très exigeant pour les comédiens évite tout effet mélodramatique ou tragique ou farcesque. Le spectateur voit avec les yeux d'Ivanov. Il observe la montée du trouble du personnage et dresse les portraits de ses voisins insensés. Autant de croquis, autant d'inventaires de la bêtise avant d'en rire, avant d'en pleurer. Autant d'éclats de réel.

Ivanov © Thierry Depagne
Ivanov © Thierry Depagne
La mise en scène montre toute sa cohérence quand Ivanov, retrouvant l'énergie et l'espoir d'un renouveau dans de nouvelles amours, s'éclipse avant de faire de nouveau un beau mariage. À cette occasion, il singe puis épouse les formes et les conventions de la joie dans l'ivresse commune. Ivanov, le temps d'un instant, parvient à s'intégrer. Le théâtre de l'esprit rejoignant le théâtre de la vie, Ivanov (et avec lui le spectateur) vit un instant de théâtre pur, un état de grâce éphémère au cours duquel, comme en un précipité... Ivanov se voit conforme au rôle qui lui est assigné et n'a d'autre solution, pour effacer sa consternation et la fatalité de l'immobilité qui s'offre à lui, que de disparaître.

Parvenue à ce point crucial, à cet instant de vérité non abouti, Ivanov est une non-comédie dans l'antichambre du drame, là où la puissance de l'amour ne sonne pas. Tension de l'art et de l'éphémère.

*Sic ! Stanislavski.

"Ivanov"

Ivanov © Thierry Depagne
Ivanov © Thierry Depagne
D'anton Tchekhov.
D'après la première version d'Anton Tchekhov et la traduction d'Antoine Vitez (malheureusement indisponible en librairie).
Mise en scène : Luc Bondy.
Version scénique : Macha Zonina, Daniel Loayza, Luc Bondy.
Avec : Marcel Bozonnet, Christiane Cohendy, Victoire Du Bois, Ariel Garcia Valdès, Laurent Grévill, Marina Hands, Yannik Landrein, Roch Leibovici, Micha Lescot, Chantal Neuwirth, Nicolas Peduzzi, Dimitri Radochévitch, Fred Ulysse, Marie Vialle.
Musiciens (en alternance) : Philippe Borecek (accordéon), Philippe Arestan (violon) et Sven Riondet (accordéon), Alain Petit (violon).
Invités : Nikolitsa Angelakopoulou, Quentin Laugier, Missia Piccoli, Antoine Quintard, Victoria Sitjà.
Décor : Richard Peduzzi.
Costumes : Moidele Bickel.
Lumières : Bertrand Couderc.
Musique : Martin Schütz.
Maquillages/coiffures : Cécile Kretschmar.
Collaborateurs artistiques à la mise en scène : Jean-Romain Vesperini, Marie-Louise Bischofberger.
Conseiller artistique : Geoffrey Layton.
Durée : 3 h 20 avec un entracte.

29 janvier au 1er mars 2015 et 7 avril au 3 mai 2015.
Mardi au samedi à 20 h, dimanche à 15 h.
Relâche le lundi et 1er mai.
Relâche exceptionnelle le jeudi 30 avril.
Théâtre de l'Odéon, Paris 6e, 01 44 85 40 40.
>> theatre-odeon.eu

Jean Grapin
Samedi 7 Février 2015

Nouveau commentaire :

Théâtre | Danse | Concerts & Lyrique | À l'affiche | À l'affiche bis | Cirque & Rue | Humour | Festivals | Pitchouns | Paroles & Musique | Avignon 2017 | Avignon 2018 | Avignon 2019 | CédéDévédé | Trib'Une | RV du Jour | Pièce du boucher | Coulisses & Cie | Coin de l’œil | Archives | Avignon 2021 | Avignon 2022










À découvrir

"Salle des Fêtes" Des territoires aux terroirs, Baptiste Amann arpente la nature humaine

Après le choc de sa trilogie "Des Territoires", dont les trois volets furent présentés en un seul bloc de sept heures à Avignon lors du Festival In de 2021, le metteur en scène se tourne vers un autre habitat. Abandonnant le pavillon de banlieue où vivait la fratrie de ses créations précédentes, il dirige sa recherche d'humanités dans une salle des fêtes, lieu protéiforme où se retrouvent les habitants d'un village. Toujours convaincu que seul ce qui fait communauté peut servir de viatique à la traversée de l'existence.

© Pierre Planchenault.
Si, dans "La vie mode d'emploi", Georges Perec avait imaginé l'existence des habitants d'un bâtiment haussmannien dont il aurait retiré la façade à un instant T, Baptiste Amann nous immerge dans la réalité auto-fictionnelle d'une communauté villageoise réunie à l'occasion de quatre événements rythmant les quatre saisons d'une année. Au fil de ces rendez-vous, ce sont les aspirations de chacun qui se confrontent à la réalité - la leur et celle des autres - révélant, au sens argentique d'une pellicule que l'on développe, des aspérités insoupçonnées.

Tout commence à l'automne avec l'exaltation d'un couple de jeunes femmes s'établissant à la campagne. Avec le montant de la vente de l'appartement parisien de l'une d'elles, écrivaine - appartement acquis grâce au roman relatant la maladie psychiatrique du frère qui les accompagne dans leur transhumance rurale -, elles viennent de s'installer dans une usine désaffectée flanquée de ses anciennes écluses toujours en service. Organisée par le jeune maire survient la réunion du conseil consultatif concernant la loi engagement et proximité, l'occasion de faire connaissance avec leur nouvelle communauté.

Yves Kafka
17/10/2022
Spectacle à la Une

"Qui a cru Kenneth Arnold ?" Une histoire à dormir… éveillé

Levant la tête vers le ciel, qui pourrait soutenir encore que le monde s'organise autour de la Terre centrale et immobile… depuis que Copernic et Galilée ont renversé magistralement la hiérarchie du système solaire, rejetant notre planète Terre - actrice décatie et déchue - au rang d'accessoire de l'étoile Soleil ? De même qui, de nos jours, pourrait être assez obtus pour affirmer que d'autres formes d'intelligences ne puissent exister dans l'univers… depuis que le GEIPAN (Groupe d'Études et d'Informations sur les Phénomènes Aérospatiaux Non-identifiés) a été scientifiquement créé pour démêler le vrai des infox entourant ces phénomènes ? Le collectif OS'O, la tête dans les étoiles (cf. "X", sa précédente création), s'empare de ce sujet ultrasensible pour apporter sa contribution… "hautement" artistique.

© Frédéric Desmesure.
Dans l'écrin du Studio de création du TnBA, une table avec, pour arrière-plan, un écran tendu plantent le décor de cette vraie fausse conférence sur les P.A.N. Mobilisant les ressources de la haute technologie - bricolée frénétiquement - un (vrai) acteur (faux) conférencier de haut vol, assisté d'une (vraie) actrice (fausse) scientifique coincée dans ses notes, et accompagné d'un (vrai) acteur complice, (faux) journaliste critique, incrusté dans les rangs du public, le maître ufologue va compiler les témoignages venus d'ici et d'ailleurs.

Sur le ton amusé des confidences, le conférencier introduit la session en livrant son étrange vision d'une nuit d'été où, à l'aube de ses quinze ans, à 23 h 23 précises, il fut témoin d'une apparition fulgurante alors qu'il promenait son chien sur une plage… Et, encore plus étranges, les deux heures qui suivirent et leur absence de souvenirs, comme s'il avait été "ravi à lui-même", enlevé par les passagers des soucoupes orange…

Suivent d'autres témoignages reposant eux sur des archives projetées. Ainsi, dans l'état du New Hampshire, du couple Betty et Barney Hill, témoignant "en gros plan" avoir été enlevé par des extraterrestres dans la nuit du 19 au 20 septembre 1961. Ainsi, au sud du Pérou, des géoglyphes de Nazca, photographies à l'appui montrant un système complexe de lignes géométriques seulement visibles du ciel… et ne pouvant avoir été tracées que par des extraterrestres…

Yves Kafka
09/02/2023
Spectacle à la Une

Dans "Nos jardins Histoire(s) de France #2", la parole elle aussi pousse, bourgeonne et donne des fruits

"Nos Jardins", ce sont les jardins ouvriers, ces petits lopins de terre que certaines communes ont commencé à mettre à disposition des administrés à la fin du XIXe siècle. Le but était de fournir ainsi aux concitoyens les plus pauvres un petit bout de terre où cultiver légumes, tubercules et fruits de manière à soulager les finances de ces ménages, mais aussi de profiter des joies de la nature. "Nos Jardins", ce sont également les jardins d'agrément que les nobles, les rois puis les bourgeois firent construire autour de leurs châteaux par des jardiniers dont certains, comme André Le Nôtre, devinrent extrêmement réputés. Ce spectacle englobe ces deux visions de la terre pour développer un débat militant, social et historique.

Photo de répétition © Cie du Double.
L'argument de la pièce raconte la prochaine destruction d'un jardin ouvrier pour implanter à sa place un centre commercial. On est ici en prise directe avec l'actualité. Il y a un an, la destruction d'une partie des jardins ouvriers d'Aubervilliers pour construire des infrastructures accueillant les JO 2024 avait soulevé la colère d'une partie des habitants et l'action de défenseurs des jardins. Le jugement de relaxe de ces derniers ne date que de quelques semaines. Un sujet brûlant donc, à l'heure où chaque mètre carré de béton à la surface du globe le prive d'une goutte de vie.

Trois personnages sont impliqués dans cette tragédie sociale : deux lycéennes et un lycéen. Les deux premières forment le noyau dur de cette résistance à la destruction, le dernier est tout dévoué au modernisme, féru de mode et sans doute de fast-food, il se moque bien des légumes qui poussent sans aucune beauté à ses yeux. L'auteur Amine Adjina met ainsi en place les germes d'un débat qui va opposer les deux camps.

Bruno Fougniès
23/12/2022