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Avignon 2025

•In 2025• "Nôt" Marlene Monteiro Freitas loin du conte, trop loin du compte… Un voyage au bout de la nuit ayant goût d'inachevé

Dire la perplexité ressentie au terme de cette ouverture pour le moins singulière de la 79ᵉ édition du Festival… Perplexité à mesurer à l'aulne des attentes certes démesurées liées au plaisir intense délivré par les précédentes créations de la chorégraphe originaire du Cap-Vert. Perplexité aussi face à ce titre inspiré par les mythiques "Mille et Une nuits" pris ici pour caution, leurs échos restant résolument obscurs… si ce n'est peut-être que ce qui est donné à voir et à entendre sur l'immense plateau du Palais des Papes pourrait se répéter encore et encore, de nuit en nuit avignonnaise… Ce qui sauve cependant cette performance – là, on retrouve l'empreinte de l'artiste –, c'est, outre l'implication au-dessus de tous soupçons des acteurs musiciens, l'esprit iconoclaste veillant sur l'ensemble.



© Christophe Raynaud de Lage.
© Christophe Raynaud de Lage.
Pourtant, le prélude, assuré cette fois-ci par un danseur noir en jupette blanche, faisant corps avec un aplomb dionysiaque avec les notes d'une musique tonique se détachant dans un cercle de lumière immaculée, avait l'air trop sage, nous mettant l'eau (sulfureuse) à la bouche… De même, après qu'eurent résonné malicieusement les trompettes de Maurice Jarre, l'intervention muette – au micro – d'un personnage grimaçant et se démenant en tous sens pour porter un message inaudible, intriguait à souhait. On se disait qu'on allait retrouver là le même dé-lire de la réalité que l'on avait tant aimé dans "Les Bacchantes" (2017) au sous-titre prometteur de "Prélude pour une purge". Mais là, point de purge du monde tel qu'il ne va pas, mais une longue juxtaposition de tableaux traversés certes par quelques saillies.

Une cohorte de personnages extraits de contrées oniriques hors sol, certains le visage dissimulé derrière le masque souriant d'une poupée, vont peupler le plateau animé par des musiques percussives et des chants opéra-tionnels. Pas glissés mécaniques, chiffons blancs agités lentement, ils vont s'adonner à d'incessantes allées et venues dont seuls eux connaitront (ou pas) la raison. Venant trouer ce défilé un brin répétitif, l'un d'eux, pris opportunément de spasmes stomacaux et intestinaux incoercibles, s'emploiera à expulser par deux de ses orifices les embarras travaillant ardemment les fondements de son être (ou pas être), cristallisant ainsi un regain manifeste d'intérêt.

© Christophe Raynaud de Lage.
© Christophe Raynaud de Lage.
Séquence à vertu scatologique propre à déconstruire les ordres établis qui se prolongera tout naturellement… jusqu'à faire profiter des précieux liquides un spectateur du premier rang invité à se délecter des matières (imaginaires) recueillies dans le vase de nuit. Mais comme le plaisir d'un théâtre communautaire l'exige, l'itinéraire de l'urne et de son précieux contenu (cf. le Saint Graal) se prolongera encore par l'ascension des travées afin qu'un maximum de spectateurs aient l'occasion de communier en avalant ce substitut d'hostie après que le crâne dégarni de certains l'eurent reçu en onction…

Le concert des gémissements et gargouillis pataphysiciens émis par l'impétrant et accompagnant le chemin des croisées traversières procurera son effet décongestionnant. Aucune régression – fût-elle fixée au stade primal du pipi-caca – n'étant interdite ici et étant à prendre comme signe d'une liberté (ré)créative sapant toutes bienséances convenues ; le mauvais goût étant laissé au théâtre bourgeois dont la vulgarité se situe sans conteste un cran au-dessus.

D'étranges condoléances auront lieu dans un coin du plateau. Des percussions, portées avec conviction par trois personnages, feront résonner leur rythme endiablé alors qu'un(e) autre interprète sans jambes (réhabilitation ipso facto du droit à être pleinement artiste en dehors de tous préjugés normatifs) s'emploiera dynamiquement à ramper sur le sol pour descendre ensuite d'un praticable.

© Christophe Raynaud de Lage.
© Christophe Raynaud de Lage.
D'autres personnages, de manière compulsive et implacablement mécanique, retireront des couches successives de draps souillés de sang, pliés soigneusement avant d'être déposés religieusement à leurs pieds comme on le ferait de suaires christiques… Des tableaux surréalistes à l'envi, échos du Comte de Lautréamont – que l'on s'autorisera à plagier – "beau comme la rencontre fortuite sur un (plateau de théâtre)" d'éléments hétéroclites n'ayant aucun rapport entre eux si ce n'est leur banalité aveuglante porteuse d'un sens à découvrir.

Un cabinet des curiosités, des cris discordants, des silences assourdissants, faisant fi de tout ordre raisonnable, s'affranchissant avec une jouissance assumée des genres et frontières entravant tant la création artistique que les artistes qui la portent, et les spectatrices et spectateurs qui la partagent… L'intention était donc des plus louables et on ne peut que s'y retrouver…

Cependant était-ce suffisant pour créer les conditions de son partage sur un plateau aussi exigeant que la mythique Cour d'honneur ? Certes on appréciera le pied de nez adressé à tous les garants d'une tradition ordonnée, mais force est de constater que l'on reste rivé sur notre fauteuil, sans être happé par l'énergie que l'on voudrait nous faire partager. Un peu comme si ce voyage au bout de la nuit avignonnaise nous avait laissé sur le quai, spectateur déçu… de ne pas avoir pu y trouver notre compte.
◙ Yves Kafka

Vu le samedi 5 juillet 2025 dans la Cour d'honneur du palais des Papes, pour l'ouverture de la 79e édition du Festival d'Avignon (du 5 au 26 juillet 2025).

"Nôt"

© Christophe Raynaud de Lage.
© Christophe Raynaud de Lage.
Création 2025.
Conception et chorégraphie : Marlene Monteiro Freitas - Cap-Vert Portugal.
Avec : Marie Albert, Joãozinho da Costa, Miguel Filipe, Ben Green, Henri "Cookie" Lesguillier, Tomás Moital, Rui Paixão, Mariana Tembe.
Assistant chorégraphique : Francisco Rolo.
Conseil artistique : João Figueira, Martin Valdés-Stauber.
Scénographie : Yannick Fouassier, MMF.
Lumière et direction technique : Yannick Fouassier.
Costumes MMF : Marisa Escaleira.
Son : Rui Antunes.
Régie générale : Ana Luísa Novais.
Accessoire scénique spécial : Cláudio Silva.
Stagiaire scénographie : Emma Ait-Kaci.
Durée : 1 h 45.

Captation les 10 et 11 juillet, puis disponible sur france.tv.

•Avignon In 2025•
Les 5, 6, 8, 9, 10 et 11 juillet 2025.
Représenté à 22 h.
Cour d'honneur du Palais des papes, Avignon.
Billetterie en ligne
>> festival-avignon.com

Tournée
6 au 9 août 2025 : International Summer Festival Kampnagel, Hambourg (Allemagne).
14 et 15 août 2025 : Berliner Festpiele/Tanz in August, Berlin (Allemagne).
28 et 29 août 2025 : La Bâtie Festival, Genève (Suisse).
11 au 14 septembre 2025 : Culturgest, Lisbonne (Portugal).
19 et 20 septembre 2025 : Rivoli, Teatro Municipal, Porto (Portugal).
6 au 8 février 2026 : Onassis Stegi, Athènes (Grèce).
20 et 21 février 2026 : PACT Zollverein, Essen (Allemagne).
4 et 5 mars 2026 : Le Quartz, Brest (29).
25 au 28 mars 2026 : Parc de la Villette, Paris 19e.
22 et 23 avril 2026 : La Comédie, Clermont-Ferrand (63).
28 et 29 avril 2026 : MC2, Grenoble (38)
6 et 7 mai 2026 : Maison de la Danse, Lyon (69).
14 au 17 mai 2026 : Kunstenfestivaldesarts, Bruxelles (Belgique).

© Christophe Raynaud de Lage.
© Christophe Raynaud de Lage.

Yves Kafka
Lundi 7 Juillet 2025

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