Au bout de la nuit de ce 18 juillet 2025, de ce marathon de quatre heures sans reprendre souffle, Milo Rau et Servane Dècle relèvent avec maestria ce défi "historique"… Ils ont su naviguer entre les deux écueils pour proposer une forme artistique captivante, questionnant avec pertinence la notion de monstre-humain, en évitant tout sensationnalisme.
Pour "représenter" la plaignante (Gisèle Pelicot), le principal accusé (Dominique Pelicot), les prévenus présents, les avocats de la défense et de la partie civile, les experts psychiatres, les membres d'association, des artistes sont invités, prenant place sur deux rangées de gradins et venant au micro interpréter leur partition. Faisant corps avec les vrais "acteurs du procès" dont ils endossent le costume, ils vont recomposer leurs trajectoires problématiques au travers de paroles réécrites puisant leurs sources dans des articles de journaux, communications de chercheurs ou autres écrits.
C'est Marie-Christine Barrault (la première des artistes à être appelée à la barre) qui brossera le décor du drame… Le Mont Ventoux que Dominique Pelicot (cycliste pratiquant) adorait gravir. De la fenêtre de la maison du couple, le mont célébré par Pétrarque offrait ses pentes raides que le poète, annonçant la Renaissance, aimait lui aussi gravir. L'actrice poursuit en lui associant Saint-Augustin qui lui prolongeait l'admiration naturelle des hommes pour la beauté des images par l'impérieuse nécessité de "se regarder soi-même"… On laissera aux psychanalystes le soin d'interpréter cette entame, riche d'échos avec le drame qui s'est joué dans cette maison heureuse, apparemment sans histoire.
Pour "représenter" la plaignante (Gisèle Pelicot), le principal accusé (Dominique Pelicot), les prévenus présents, les avocats de la défense et de la partie civile, les experts psychiatres, les membres d'association, des artistes sont invités, prenant place sur deux rangées de gradins et venant au micro interpréter leur partition. Faisant corps avec les vrais "acteurs du procès" dont ils endossent le costume, ils vont recomposer leurs trajectoires problématiques au travers de paroles réécrites puisant leurs sources dans des articles de journaux, communications de chercheurs ou autres écrits.
C'est Marie-Christine Barrault (la première des artistes à être appelée à la barre) qui brossera le décor du drame… Le Mont Ventoux que Dominique Pelicot (cycliste pratiquant) adorait gravir. De la fenêtre de la maison du couple, le mont célébré par Pétrarque offrait ses pentes raides que le poète, annonçant la Renaissance, aimait lui aussi gravir. L'actrice poursuit en lui associant Saint-Augustin qui lui prolongeait l'admiration naturelle des hommes pour la beauté des images par l'impérieuse nécessité de "se regarder soi-même"… On laissera aux psychanalystes le soin d'interpréter cette entame, riche d'échos avec le drame qui s'est joué dans cette maison heureuse, apparemment sans histoire.
Présentées sous forme de fragments (quarante), les scènes s'enchaînent créant un tourbillon de dépositions développant des points de vue s'ajoutant les uns aux autres, s'étayant ou se contredisant, créant un maelström propre à nous faire perdre le sens de l'équilibre pour mieux questionner le sens de ces dérives impensables… Comment des hommes de tous âges, de tous milieux socio-professionnels, certains mariés et pères de famille, des hommes aux histoires personnelles très différentes (si certains ont eu à subir des violences sexuelles dans leur jeunesse, d'autres ont été aimés avec bienveillance), certains encore accros aux sites pornos, d'autres pas, comment ces hommes ordinaires et si différents ont-ils pu tous sans exception accepter la proposition de Dominique Pelicot de leur offrir sa femme, livrée à eux à l'état inconscient sous l'effet de soumission chimique ?
Parmi ces témoignages, celui de la propre fille de l'inculpé qui raconte comment elle a découvert un tableau de son père représentant une femme nue – elle ? – accompagné de cette légende explicite : "L'emprise". Elle racontera aussi ses absences de mémoire incompréhensibles, le sentiment d'avoir, elle aussi, été sédatée et violée, les photos de nu retrouvées dans l'ordinateur prises à son insu sous la douche avec l'inscription "ma salope de fille" laissant peu de doutes… Et le père – joué par Philippe Torreton – lorsque le moment viendra niera en bloc ces accusations et témoignera, avec des accents perceptibles d'authenticité, de son amour indéfectible pour sa fille, quand bien même le traiterait-elle de chien…
Dominique Pelicot, un manipulateur pervers selon le témoignage d'un psychiatre ayant examiné l'inculpé, capable non seulement de manipulations intrafamiliales (et de nous, présents ce soir !), mais aussi d'avoir fait accroire aux autres prévenus que sa femme était consentante. Cela disculperait-il la cinquantaine d'hommes ayant "profité" (certains ayant reconnu les faits, mais pas les intentions, d'autres non se réfugiant dans un déni défensif) de l'aubaine ? Certainement pas, en a jugé la Cour, réfutant cet alibi irrecevable et condamnant tous les prévenus à des peines allant jusqu'à quinze ans d'emprisonnement, le principal accusé écopant pour sa part de vingt années de réclusion criminelle.
Quant aux différentes interventions de Gisèle Pelicot, interprétée avec sensibilité et aplomb par Ariane Ascaride, elles questionnent l'impensable d'un époux, vécu pendant cinquante années comme attentionné, et produisant un champ de ruines… même si sa volonté à elle demeure intacte, comme le montre le courage exemplaire dont elle fait preuve en refusant le huis clos afin d'exposer au grand jour la banalité du mal. Surmonter l'obscurité abyssale de son histoire pour exposer le viol conjugal en pleines lumières, pour que d'autres femmes puissent en être protégées. Donner du sens à l'horreur sans sombrer dans la haine improductive…
Parmi ces témoignages, celui de la propre fille de l'inculpé qui raconte comment elle a découvert un tableau de son père représentant une femme nue – elle ? – accompagné de cette légende explicite : "L'emprise". Elle racontera aussi ses absences de mémoire incompréhensibles, le sentiment d'avoir, elle aussi, été sédatée et violée, les photos de nu retrouvées dans l'ordinateur prises à son insu sous la douche avec l'inscription "ma salope de fille" laissant peu de doutes… Et le père – joué par Philippe Torreton – lorsque le moment viendra niera en bloc ces accusations et témoignera, avec des accents perceptibles d'authenticité, de son amour indéfectible pour sa fille, quand bien même le traiterait-elle de chien…
Dominique Pelicot, un manipulateur pervers selon le témoignage d'un psychiatre ayant examiné l'inculpé, capable non seulement de manipulations intrafamiliales (et de nous, présents ce soir !), mais aussi d'avoir fait accroire aux autres prévenus que sa femme était consentante. Cela disculperait-il la cinquantaine d'hommes ayant "profité" (certains ayant reconnu les faits, mais pas les intentions, d'autres non se réfugiant dans un déni défensif) de l'aubaine ? Certainement pas, en a jugé la Cour, réfutant cet alibi irrecevable et condamnant tous les prévenus à des peines allant jusqu'à quinze ans d'emprisonnement, le principal accusé écopant pour sa part de vingt années de réclusion criminelle.
Quant aux différentes interventions de Gisèle Pelicot, interprétée avec sensibilité et aplomb par Ariane Ascaride, elles questionnent l'impensable d'un époux, vécu pendant cinquante années comme attentionné, et produisant un champ de ruines… même si sa volonté à elle demeure intacte, comme le montre le courage exemplaire dont elle fait preuve en refusant le huis clos afin d'exposer au grand jour la banalité du mal. Surmonter l'obscurité abyssale de son histoire pour exposer le viol conjugal en pleines lumières, pour que d'autres femmes puissent en être protégées. Donner du sens à l'horreur sans sombrer dans la haine improductive…
… ce que ne pratique pas un certain féminisme punitiviste qui, s'il soutient avec détermination Gisèle Pelicot, condamne toute recherche analytique sur le sujet, apparentant l'exégèse critique de la masculinité à une concession néfaste. Créer une catégorie désocialisante – la nouvelle figure du monstre – pour la jeter à la vindicte populaire, est-ce progresser dans la voie du dévoilement des dimensions politiques du problème et de sa résolution ? Tel est le message porté par une chercheuse philosophe appelée à témoigner.
Au terme de ces "lectures spectaculaires" où ont été rejoués les moments clés du procès Pelicot, on sort bouleversé, la tête pleine de questions… Le violeur type échapperait-il à tout portrait-robot possible ? Serait-il un homme… comme les autres ? Ce qui signifierait que si tout homme abrite en lui un violeur potentiel, si ce n'est pas un effet de nature, mais de culture, le curseur du procès se déplacerait vers celui du patriarcat et du masculinisme ("mouvement réactionnaire, misogyne, androcentré, conservateur et antiféministe") qui en résulte ? Ce serait alors la superstructure idéologique diffusant le poison d'un patriarcat oppressif qui serait – au-delà de ceux coupables qui s'en sont fait les portefaix – qui serait au centre du procès ?
Le réel est-il soluble dans le théâtre ? Si l'on en croit cette expérience vécue dans cette nuit "historique" d'Avignon, on répondra manifestement que oui… En rajoutant aussitôt, afin de dissiper tout malentendu, qu'au lieu de disparaître, le réel en a été exalté.
◙ Yves Kafka
Vu le vendredi 18 juillet 2025 au Cloître des Carmes à Avignon.
Au terme de ces "lectures spectaculaires" où ont été rejoués les moments clés du procès Pelicot, on sort bouleversé, la tête pleine de questions… Le violeur type échapperait-il à tout portrait-robot possible ? Serait-il un homme… comme les autres ? Ce qui signifierait que si tout homme abrite en lui un violeur potentiel, si ce n'est pas un effet de nature, mais de culture, le curseur du procès se déplacerait vers celui du patriarcat et du masculinisme ("mouvement réactionnaire, misogyne, androcentré, conservateur et antiféministe") qui en résulte ? Ce serait alors la superstructure idéologique diffusant le poison d'un patriarcat oppressif qui serait – au-delà de ceux coupables qui s'en sont fait les portefaix – qui serait au centre du procès ?
Le réel est-il soluble dans le théâtre ? Si l'on en croit cette expérience vécue dans cette nuit "historique" d'Avignon, on répondra manifestement que oui… En rajoutant aussitôt, afin de dissiper tout malentendu, qu'au lieu de disparaître, le réel en a été exalté.
◙ Yves Kafka
Vu le vendredi 18 juillet 2025 au Cloître des Carmes à Avignon.
"Le Procès Pelicot"
Mise en scène : Milo Rau.
Recherche : Servane Dècle.
Assistante Dramaturgie : Nastia Griese.
Durée : 4 h.
Avec : Adama Diop, Alison Dechamps, Anne Lassalle, Ariane Ascaride, Ayoub Kallouchi, Camille Étienne, Caroline Gillet, Clara Hédouin, Corentin Legras, Cyrielle Voguet, Elios Noel, Elisabeth Saint-Jalmes, Eva Doumbia, Fatma Hamdoun, Florian Pâque, Françoise Nyssen, Hinda Abdelaoui, Julie Ménard, Kubra Khademi, Laurent Layet, Léopoldine Hummel, Lola Felouzis, Louise Brzezowska-Dudek, Makita Samba, Marie Coquille-Chambel, Marie Vialle, Marie-Christine Barrault, Maudie Cosset, Maxime Le Gac-Olanié, Nadège Cathelineau, Nina Beltaief, Philippe Torreton, Robin Renucci, Ruggero Franceschini, Safira Robens, Samuel Achache, Sara Louis.
Spectacle créé le 18 juin 2025 au Wiener Festwochen à Vienne (Autriche) et adapté pour le Festival d'Avignon le 18 juillet 2025.
•Avignon In 2025•
Représentation unique le vendredi 18 juillet 2025.
Représenté à 22 h. Soirée en hommage à Gisèle Pelicot.
Cloître des Carmes, Avignon.
Billetterie en ligne
>> festival-avignon.com
Recherche : Servane Dècle.
Assistante Dramaturgie : Nastia Griese.
Durée : 4 h.
Avec : Adama Diop, Alison Dechamps, Anne Lassalle, Ariane Ascaride, Ayoub Kallouchi, Camille Étienne, Caroline Gillet, Clara Hédouin, Corentin Legras, Cyrielle Voguet, Elios Noel, Elisabeth Saint-Jalmes, Eva Doumbia, Fatma Hamdoun, Florian Pâque, Françoise Nyssen, Hinda Abdelaoui, Julie Ménard, Kubra Khademi, Laurent Layet, Léopoldine Hummel, Lola Felouzis, Louise Brzezowska-Dudek, Makita Samba, Marie Coquille-Chambel, Marie Vialle, Marie-Christine Barrault, Maudie Cosset, Maxime Le Gac-Olanié, Nadège Cathelineau, Nina Beltaief, Philippe Torreton, Robin Renucci, Ruggero Franceschini, Safira Robens, Samuel Achache, Sara Louis.
Spectacle créé le 18 juin 2025 au Wiener Festwochen à Vienne (Autriche) et adapté pour le Festival d'Avignon le 18 juillet 2025.
•Avignon In 2025•
Représentation unique le vendredi 18 juillet 2025.
Représenté à 22 h. Soirée en hommage à Gisèle Pelicot.
Cloître des Carmes, Avignon.
Billetterie en ligne
>> festival-avignon.com