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"Illuminations", le fascinant voyage offert par les artistes de Resonance

Sorti en mai 2019, le second opus de Resonance, "Illuminations", envoûte avec un rare bonheur. Grâce à la complicité d’instrumentistes venus d’horizon différents réunis par le contre-ténor Samuel Cattiau et le guitariste Quentin Dujardin, les compositions par ces derniers de belles mélodies rehaussent des textes très anciens de choix.



Superbe enregistrement qui ne devrait pas passer inaperçu en toute justice, ces "Illuminations" ou "enluminures" dans la langue de Shakespeare célèbrent une union harmonieuse, celle d’un lieu remarquable, de la voix et celle d’instruments inattendus (le violoncelle, la guitare, le cornet à bouquin et les percussions) et de nouvelles mélodies composées pour des textes rares.

Le résultat, c’est ce CD de haute volée constamment passionnant avec ses climats, ses chants et ses poèmes d’époques et de nations variées. Un voyage (terme non métaphorique ici) magnifique qui abstrait l’auditeur de l’agitation du monde le temps de treize pièces (dont deux instrumentales avec l’improvisation de "Aube") composées par des trouvères d’aujourd’hui, Samuel Cattiau (une voix sublime dotée d’une grande agilité entre le baryton et le contreténor) et le guitariste Quentin Dujardin.

Une heure de musique à vivre comme un temps de méditation, d’envoûtement et même d’envol planant. Et ces "Illuminations" (un mot étymologiquement venu du latin "illuminare") mettent également en lumière avec leurs mélodies écrites à quatre mains le grand talent de six artistes dotés d’une si grande intelligence musicale au sein de cette formation qu’on les croirait tous réunis depuis très longtemps.

Chaque pièce met à l’honneur instruments et voix en une géométrie variable : tous réunis pour "Danza" ou "Pane del ciel", évoluant à deux ("Illuminations"), trois ("Tanta luce"), quatre ("Stay awhile") ou cinq ("Angel") dans un enregistrement superbement réalisé dans l’Abbaye de Noirlac (à quelques dizaines de kilomètres de Bourges) par les soins de Thierry Van Roy.

Il faut noter qu’il ne s’agit pas seulement de jouer avec l’impressionnante acoustique du lieu. Lier musique et patrimoine est un enjeu central dans le travail de Samuel Cattiau et Quentin Dujardin et ce, dès leur premier opus, "Resonance" sorti en 2016. Leurs tournées en France, en Europe et ailleurs ne se fait d’ailleurs que dans des lieux sacrés ou profanes habités par l’Histoire, temples, palais de maharadjah (en Inde) ou églises.

Ces "Illuminations" éclairent ainsi de beaux textes que Quentin Dujardin et Samuel Cattiau rhabillent de partitions subtiles aux lignes déliées. Ont été choisis des chants séfarades écrits par les Sephardim, ces descendants des Juifs chassés d’Espagne en 1492 ("Madre" ou "La Roza"), réfugiés pour beaucoup dans l’Empire Ottoman ou ailleurs dans le Bassin Méditerranéen, des laudes et chants romains du XVIIe siècle dus aux confréries chrétiennes, des airs de cour (comme celui de John Dowland "Stay awhile") ou encore des chansons et poèmes médiévaux sacrés ou profanes avec Johannes Ciconia ("Tanta luce") et Jehan de Lescurel ("Dame de valour") - entre autres.

Chaque pièce se révèle une belle réussite faisant la part belle à une vraie dramaturgie des instruments (sans oublier leurs phrasés artistes) comme à des modes de jeux, de chant, tessitures et de rythmes variés (jusqu’au sifflement dans "Stay awhile"). Citons le moment suspendu que représente "Illuminations" (piste 6) où s’entrelacent la voix aérienne à la diction pure de Samuel Cattiau et le cornet à bouquin magique de Doron David Sherwin - un cornettiste américain.

Le "Nocturne" improvisé à trois liant la guitare, les percussions et la voix est un autre de ces moments d’exception. Mais se remarquent aussi le violon parfois quasi tsigane de Léo Ullmann ("Se fiamma"), le violoncelle de caractère de Matthieu Saglio dans "Madre" et "Angel" (les deux artistes si beaux dans "Pane del ciel"). Matthieu Saglio n’est-il pas résident espagnol nous donnant sa version des Rasguedos flamencos ?

Indispensables aussi les percussions de l’artiste d’origine iranienne Bijan Chemirani dans ces hypnotiques "Matines" improvisées avec la guitare comme compagnon ou ce "Nocturne" déjà mentionné. La guitare de Quentin Dujardin fait décidément merveille à chaque fois dans ces alliances de timbres inouïes ; elle se fait inoubliable même dans "Pane del ciel" par exemple. Voici un CD vraiment indispensable (et un bel objet de surcroît) conçu par de vrais poètes.

● "Resonance - Illuminations"
Distribution : AVM Diffusion (Libraires), L'Autre distribution (Disquaires et Espaces culturels).
Production exécutive : Estrella et Agua music.
Coproduction : Abbaye de Noirlac, Centre Culturel de Rencontre.
Sortie : mai 2019.

Tournée :
20 septembre 2019 : Ancien Hospice d’Avrée, Tourcoing (59).
19 octobre 2019 : Église d’Étalle, Belgique.
26 et 27 octobre 2019 : Cathédrale de la Ville-Haute, Vaison-la-Romaine (84).


Christine Ducq
Mercredi 4 Septembre 2019

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© Jean-François Delon.
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