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Théâtre

"Hépatik Girl" Une épopée auto-immune virtuose et sans pareille ou "comment faire de l'or avec de la boue"

Dans le corps de Claire, trois maladies auto-immunes et inflammatoires ont élu domicile autour d'un même organe : le foie. La vie est une fête ! Encore plus lorsque Claire souhaite obtenir un prêt immobilier : elle doit prouver aux assurances qu'elle est en pleine forme, ne tombera pas malade et ne mourra jamais.



© Marie Charbonnier.
© Marie Charbonnier.
Et s'il y "avait en nous quelque chose de cette jeune femme !", comme le dit la chanson. Certes, ce n'est pas de Tennessee Williams dont il est question ici, mais d'une jeune fille devenue femme, Claire, et il est probable que chacun et chacune d'entre nous pourra se reconnaître dans les aventures médico-administratives soulevées par ce "seule en scène" époustouflant. Si tant est que le long fleuve pas toujours tranquille de la vie nous y ait confronté nous aussi, un tant soit peu !

Au cours de ce seule en scène, quelques émotions particulières pointeront le bout de leur nez et pourront, selon notre sensibilité, être accompagnées sans doute de quelques larmes, mais le tout sera balayé bien vite par des rebondissements taillés au cordeau, millimétrés et remarquablement orchestrés par la mise en scène de Tatiana Gousseff. Sans parler du texte, interprété de façon exceptionnelle par la comédienne Marie-Claire Neveu. Il va sans dire que son jeu virtuose et virevoltant prédomine largement sur l'ensemble du spectacle. Comédienne à nos yeux bien trop méconnue. Elle qui en est pourtant à son deuxième "seule en scène" et qui a même obtenu le soutien de Pascal Légitimus pour la direction artistique du premier : "Nina, des tomates et des bombes".

© Marie Charbonnier.
© Marie Charbonnier.
Elle en a du talent cette jeune comédienne qui ne cesse de nous étonner, elle qui revendiquait déjà dans son spectacle précédent un théâtre engagé dans lequel elle rencontrait Fathawi, un migrant Érythréen, se liait d'amitié avec Pchela, une abeille russe en perdition, appelait le Président de la République, la "Science Infuse" et les Puissants pour nous ouvrir les yeux et nous faire réfléchir !

Selon nous, il n'y a pas de limites au geste théâtral. Toute source d'inspiration peut y être portée, car comme le disait Bertolt Brecht : "l'affaire du théâtre est de divertir et cette affaire lui confère toujours sa dignité particulière".

De la dignité, il y en a dans ce deuxième spectacle de Marie-Claire Neveu : celle de proposer au spectateur une immersion intime XXL dans son corps abîmé et d'en plaisanter avec brio. "Diagnostiquée à 14 ans d'une maladie du foie, mon rapport à mon corps a nécessairement été chamboulé tout comme celui de mon rapport à la mort, à l'alimentation, à la médecine, au monde, à la Terre" (sic).

Mais le travail d'orfèvrerie d'écriture et de scénographie mené de pair avec l'autrice et metteuse en scène Tatiana Gousseff n'a pas ramené le propos de la pièce à la seule "cause" autobiographique de la comédienne. Loin de là…

© Marie Charbonnier.
© Marie Charbonnier.
Car une simple autobiographie aurait été possible, mais Marie-Claire Neveu est une artiste et défend la cause créatrice avant tout. Il n'est qu'à considérer aussi son single "Tsunami" sorti en 2021, clip ô combien bouleversant sur la vie comme elle va, ce que l'on peut en faire et les choix qui vont de pair. Parce que bien souvent, il faut choisir !

Dans ce spectacle, "Claire-Marie-Claire" n'use ni de sensiblerie, ni de revendications personnelles larmoyantes exacerbées. Tout simplement parce que c'est le show qui prédomine. Et l'humour aussi ! Bien présent comme une forme de détachement nécessaire.

Ce show dont le spectateur se demandera à coup sûr quel a bien pu en être le premier pas !
Ça n'a pas dû être simple d'écrire un tel spectacle, mais connaissant l'énergie pluridisciplinaire de la comédienne, il est probable que les choses ont dû malgré tout se bâtir lentement, mais sûrement. La preuve est là : un spectacle mené de main de maître à plusieurs niveaux, altruiste, délicat, ouvert sur le monde et ses méandres de plus en plus compliqués. Un texte semblable à un nid de puces ou à des pop-corn en préparation qui nous tiennent éveillés et ne nous lâchent pas une seconde.

"Dans les maladies complexes et invisibles, les anticorps ne savent plus distinguer les cellules ennemies dans un organe". Ceci est un fait qui pourrait bien ne pas être source de création, mais là où le duo Marie-Claire Neveu/Tatiana Gousseff fonctionne à merveille, c'est dans le fait d'avoir justement dosé l'acte créateur et la part autobiographique pour dire, hurler qu'il est plus que temps d'agir et "que les êtres humains ne savent plus distinguer les comportements qui menacent leur survie".

© Marie Charbonnier.
© Marie Charbonnier.
À sa manière, Marie-Claire Neveu est une Greta Thunberg engagée au discours peut-être moins radical – quoique ! -, mais infiniment plus artistique. Cette comédienne mériterait d'être aussi connue et médiatisée que la jeune femme suédoise, elle qui a tronqué son nez de clown et son chapeau melon pour une tenue de femme athlétique : débardeur de fitness et chaussures de randonnée ou plutôt de chantier. Des chaussures que nous chaussons, nous aussi, avec elle, parce que, dans ce nouveau spectacle, la comédienne et sa metteure en scène nous entraînent loin, très loin, et qu'avec Claire, nous avons envie d'arpenter les nombreux chantiers de construction de notre monde qui chancelle.

Vite ! Il faut faire vite !
On tombe malade, mais sait-on pourquoi ? Et si tout cela émanait d'un dérèglement plus global et plus vaste de la planète Terre ?

Courez vite assister à ce spectacle pour vous en faire une idée. Vous en sortirez certainement, vous aussi, prêts et prêtes à vous positionner à votre manière sur les starting-blocks tant la fougue et le talent de Marie-Claire Neveu saura vous séduire.

Le Théâtre, ça sert à ça aussi ! Surtout lorsqu'il est déployé avec une telle énergie communicative, artistiquement fine et soignée, emportant le spectateur dans différentes sphères diverses et variées, mais l'invitant à chaque fois à une noble réflexion : celle de notre survie.

"On peut changer une fois le foie de mille personnes, mais on ne peut pas changer mille fois celui d'une seule".

Bravo, mesdames. "Bravo"
"Il est joli ce mot. J'aime bien".

"Hépatik Girl Une épopée auto-immune"

© Marie Charbonnier.
© Marie Charbonnier.
Texte : Marie-Claire Neveu et Tatiana Gousseff.
Mise en scène : Tatiana Gousseff.
Avec : Marie-Claire Neveu.
Création lumière : Fred L'Indien.
Musique : Julien Pittet.
Chorégraphie : Laura Mazeaud
Voix Off : Renaud Castel, Thomas Espinera, Marie Gousseff, Tatiana Gousseff et Mélanie Peyre.
Production : Compagnie de l'Armoise.
À partir de 12 ans.
Durée : 1 h 15.

Du 5 au 28 novembre 2023.
Lundi à 19 h, mardi à 21 h 15 et dimanche à 17 h 30.
Théâtre de Belleville, Paris 11e,16, 01 48 06 72 34.
>> theatredebelleville.com

Le mardi 21 novembre : Bord de plateau "Malades (non) imaginaires. Ou comment notre santé est liée à notre planète".

© Marie Charbonnier.
© Marie Charbonnier.

Brigitte Corrigou
Mardi 7 Novembre 2023

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"L'Effet Papillon" Se laisser emporter au fil d'un simple vol de papillon pour une fascinante expérience

Vous pensez que vos choix sont libres ? Que vos pensées sont bien gardées dans votre esprit ? Que vous êtes éventuellement imprévisibles ? Et si ce n'était pas le cas ? Et si tout partait de vous… Ouvrez bien grands les yeux et vivez pleinement l'expérience de l'Effet Papillon !

© Pics.
Vous avez certainement entendu parler de "l'effet papillon", expression inventée par le mathématicien-météorologue Edward Lorenz, inventeur de la théorie du chaos, à partir d'un phénomène découvert en 1961. Ce phénomène insinue qu'il suffit de modifier de façon infime un paramètre dans un modèle météo pour que celui-ci s'amplifie progressivement et provoque, à long terme, des changements colossaux.

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C'est à partir de cette théorie que le mentaliste Taha Mansour nous invite à nouveau, en cette rentrée, à effectuer un voyage hors du commun. Son spectacle a reçu un succès notoire au Sham's Théâtre lors du Festival d'Avignon cet été dernier.

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"Le mystérieux est le plus beau sentiment que l'on peut ressentir", Albert Einstein. Et si le plus beau spectacle de mentalisme du moment, en cette rentrée parisienne, c'était celui-là ? Car Tahar Mansour y est fascinant à plusieurs niveaux, lui qui voulait devenir ingénieur, pour qui "Centrale" n'a aucun secret, mais qui, pourtant, a toujours eu une âme d'artiste bien ancrée au fond de lui. Le secret de ce spectacle exceptionnel et époustouflant serait-il là, niché au cœur du rationnel et de la poésie ?

Brigitte Corrigou
08/09/2023
Spectacle à la Une

"Hedwig and the Angry inch" Quand l'ingratitude de la vie œuvre en silence et brise les rêves et le talent pourtant si légitimes

La comédie musicale rock de Broadway enfin en France ! Récompensée quatre fois aux Tony Awards, Hedwig, la chanteuse transsexuelle germano-américaine, est-allemande, dont la carrière n'a jamais démarré, est accompagnée de son mari croate,Yithak, qui est aussi son assistant et choriste, mais avec lequel elle entretient des relations malsaines, et de son groupe, the Angry Inch. Tout cela pour retracer son parcours de vie pour le moins chaotique : Berlin Est, son adolescence de mauvais garçon, son besoin de liberté, sa passion pour le rock, sa transformation en Hedwig après une opération bâclée qui lui permet de quitter l'Allemagne en épouse d'un GI américain, ce, grâce au soutien sans failles de sa mère…

© Grégory Juppin.
Hedwig bouscule les codes de la bienséance et va jusqu'au bout de ses rêves.
Ni femme, ni homme, entre humour queer et confidences trash, il/elle raconte surtout l'histoire de son premier amour devenu l'une des plus grandes stars du rock, Tommy Gnosis, qui ne cessera de le/la hanter et de le/la poursuivre à sa manière.

"Hedwig and the Angry inch" a vu le jour pour la première fois en 1998, au Off Broadway, dans les caves, sous la direction de John Cameron Mitchell. C'est d'ailleurs lui-même qui l'adaptera au cinéma en 2001. C'est la version de 2014, avec Neil Patrick Harris dans le rôle-titre, qui remporte les quatre Tony Awards, dont celui de la meilleure reprise de comédie musicale.

Ce soir-là, c'était la première fois que nous assistions à un spectacle au Théâtre du Rouge Gorge, alors que nous venons pourtant au Festival depuis de nombreuses années ! Situé au pied du Palais des Papes, du centre historique et du non moins connu hôtel de la Mirande, il s'agit là d'un lieu de la ville close pour le moins pittoresque et exceptionnel.

Brigitte Corrigou
20/09/2023
Spectacle à la Une

"Zoo Story" Dans un océan d'inhumanités, retrouver le vivre ensemble

Central Park, à l'heure de la pause déjeuner. Un homme seul profite de sa quotidienne séquence de répit, sur un banc, symbole de ce minuscule territoire devenu son havre de paix. Dans ce moment voulu comme une trêve face à la folie du monde et aux contraintes de la société laborieuse, un homme surgit sans raison apparente, venant briser la solitude du travailleur au repos. Entrant dans la narration d'un pseudo-récit, il va bouleverser l'ordre des choses, inverser les pouvoirs et détruire les convictions, pour le simple jeu – absurde ? – de la mise en exergue de nos inhumanités et de nos dérives solitaires.

© Alejandro Guerrero.
Lui, Peter (Sylvain Katan), est le stéréotype du bourgeois, cadre dans une maison d'édition, "détenteur" patriarcal d'une femme, deux enfants, deux chats, deux perruches, le tout dans un appartement vraisemblablement luxueux d'un quartier chic et "bobo" de New York. L'autre, Jerry (Pierre Val), à l'opposé, est plutôt du côté de la pauvreté, celle pas trop grave, genre bohème, mais banale qui fait habiter dans une chambre de bonne, supporter les inconvénients de la promiscuité et rechercher ces petits riens, ces rares moments de défoulement ou d'impertinence qui donnent d'éphémères et fugaces instants de bonheur.

Les profils psychologiques des deux personnages sont subtilement élaborés, puis finement étudiés, analysés, au fil de la narration, avec une inversion, un basculement "dominant - dominé", s'inscrivant en douceur dans le déroulement de la pièce. La confrontation, involontaire au début, Peter se laissant tout d'abord porter par le récit de Jerry, devient plus prégnante, incisive, ce dernier portant ses propos plus sur des questionnements existentiels sur la vie, sur les injonctions à la normalité de la société et la réalité pitoyable – selon lui – de l'existence de Peter… cela sous prétexte d'une prise de pouvoir de son espace vital de repos qu'est le banc que celui-ci utilise pour sa pause déjeuner.

La rencontre fortuite entre ces deux humains est en réalité un faux-semblant, tout comme la prétendue histoire du zoo qui ne viendra jamais, Edward Albee (1928-2016) proposant ici une réflexion sur les dérives de la société humaine qui, au fil des décennies, a construit toujours plus de barrières entre elle et le vivant, créant le terreau des détresses ordinaires et des grandes solitudes. Ce constat fait dans les années cinquante par l'auteur américain de "Qui a peur de Virginia Woolf ?" se révèle plus que jamais d'actualité avec l'évolution actuelle de notre monde dans lequel l'individualisme a pris le pas sur le collectif.

Gil Chauveau
15/09/2023