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Théâtre

"Helsingor, Château d'Hamlet" Un condensé vertigineux de la célèbre pièce dans un lieu exceptionnel

Hamlet apprend par le spectre de son père défunt, roi du Danemark, que ce dernier a été assassiné par Claudius, son frère. Il simule alors la folie afin de rester au contact de la cour et, pour dénoncer l'assassin monté sur le trône, il organise une représentation du meurtre par des comédiens lors du remariage de sa mère, Gertrude.



© Melanie Dorey.
© Melanie Dorey.
Polonius met en garde sa fille Ophélie contre les avances d'Hamlet et espionne une conversation, mais il se fait surprendre et poignarder. Ophélie, de désespoir, se suicide. Hamlet combat en duel Laërte, le frère d'Ophélie. Tous deux sont mortellement blessés, mais avant de mourir, Hamlet parvient à tuer son frère.

C'est dans les années 2000, avec l'émergence de la compagnie britannique Punchdrunk, fondée par Félix Barret, que le mouvement du "théâtre immersif" s'est affirmé définitivement. Avant lui, des artistes comme Luca Ronconi ou encore André Engel œuvraient déjà dans ce sens, loin des murs des théâtres classiques et du confort des fauteuils en velours rouge. Dans le présent concept, le spectateur se retrouve plongé dans un monde dont il ne maîtrise pas les contours et dont il ignore les règles.

C'est autre chose ! Toute autre chose ! Une revisite, en quelque sorte, à la fois du texte, des enjeux de la dramaturgie, du jeu des comédiennes et des comédiens, ou encore de la place du public qui, d'une certaine mesure, devient "le héros du livre" qui se déroule sous ses yeux et peut, à sa guise, suivre dans le dédale du donjon, plutôt Hamlet, ou la reine Gertrude ou encore Ophélie.

Plus de quatrième mur, en ce soir de Générale immersive du 25 avril, mais "des" quatrièmes murs partout, tout au long de la représentation qui permettent notamment aux spectateurs de se déplacer où ils le souhaitent, sauf pour la scène finale, en extérieur, dans la somptueuse "cour au puits" pavée.

© Melanie Dorey.
© Melanie Dorey.
"Cette circulation du spectateur entre les scènes, aux côtés des personnages, est d'une nouveauté absolue. Cela ne gêne pas la compréhension, mais permet au contraire de revisiter l'œuvre d'une manière nouvelle, passionnante. C'est un travail énorme pour le metteur en scène et les interprètes, mais pour le public, c'est jouissif", précise Magali Léris.

À nos yeux, il est quand même largement préférable de connaître l'histoire d'Hamlet si l'on veut appréhender un tant soit peu le spectacle, car le spectateur peut en perdre le fil par moment. Le lieu est déroutant et peut, peut-être, supplanter parfois le jeu des actrices et acteurs. Ou en tout cas dérouter. Cela dit, la magie est là, à plusieurs niveaux, et l'expérience théâtrale qui se déroule au château de Vincennes en ce moment est à ne rater sous aucun prétexte : la tragédie du spectre du Danemark vous embarque dans des couloirs labyrinthiques somptueux, vous fait grimper les dizaines de marches du donjon, fouler de magnifiques tapis d'époque et surtout assister à une proximité inégalée avec les comédiennes et comédiens.

L'adaptation de la pièce "Hamlet" par Léonard Matton est ici exceptionnelle. Nous avions beaucoup regretté de ne pas avoir pu assister à son adaptation du texte "Le Fléau, mesure pour mesure" de Shakespeare aussi, aux colonnes de Buren en septembre 2023, et pour rien au monde, nous n'aurions raté celle-ci !

Ce jeudi 25 avril, c'est Gaël Giraudeau qui interprétait le rôle d'Hamlet. Accordons-lui une mention toute particulière tant son jeu est captivant et éblouissant. Les autres interprètes ne sont pas en reste dont on sent très nettement leur plaisir d'être là aux côtés des spectateurs qu'ils frôlent, qu'ils bousculent parfois, aux oreilles desquelles ils hurlent de rage ou de douleur.

"Ici, les parcours se déroulent en temps réel dans un espace à six dimensions : une salle du trône, trois chambres, une chapelle, un jardin d'hiver cimetière. L'espace du pouvoir, l'espace de la religion, l'espace de l'intime et les espaces de la tragédie. L'histoire se déroule sur plusieurs mois. L'action débute à la nuit tombée pour ne plus s'arrêter jusqu'à la fin. Plusieurs intrigues se jouent simultanées et s'entrecroisent sans une narration "en arborescence". Les multiples points de vue entraînent le spectateur dans la tragédie esthétique et métaphysique d'Elseneur, renommée du nom original de la cité danoise : Helsingor".

"Être ou ne pas être", la fameuse réplique de la pièce de Shakespeare résonne de manière flamboyante en ce moment au château de Vincennes, sous la houlette professionnelle hautement expérimentée de Léonard Matton, et fait vivre aux spectateurs une expérience théâtrale unique.

"On peut parler de spectacle organique du fait que l'adaptation se forge sur une intuition en "4D", l'espace et le temps s'imbriquent, la respiration de l'ensemble des scènes, de chaque personnage, des sons, des musiques, des mouvements (…). Le théâtre n'est pas un art poli : c'est l'art des bacchanales, et je ne souhaite rien tant que retrouver dans mes spectacles cette puissance épique séculaire", indique encore Léonard Matton.

Le pari est hautement gagné, cher Léonard. Le spectateur est envoûté, sous le charme d'une pièce monumentale qu'il pourrait bien en plus redécouvrir ou appréhender différemment, voire en être subjugué.

"Helsingor, Château d'Hamlet"

© Melanie Dorey.
© Melanie Dorey.
Création immersive d'après "Hamlet" de William Shakespeare.
Adaptation et traduction : Léonard Matton.
Mises en espaces : Léonard Matton.
Collaboration artistique, dramaturgie : Camille Delpech.
Avec (en alternance ) : Anthony Falkowsky ou Thomas Gendronneau, Roch-Antoine Albaladéjo ou Loïc Brabant, Zazie Delem ou Claire Mirande, Benjamin Brenière, Gaël Giraudeau ou Stanislas Roquette, Cédric Carlier ou Laurent Labruyère, Mathias Marty ou Matthieu Protin​, Jérôme Ragon ou Hervé Rey, Camille Delpech ou Marjorie Dubus, Dominique Bastien ou Jean-Loup Horwitz, Michel Chalmeau ou Jacques Poix-Terrier.
Régie lumières : Mohammed Mokkaddemini, Ugo Perez, Chloé Roger.
Création univers sonore : Enzo di Meo, Clément Hubert, Claire Mahieux.
Création musicale : Claire Mahieux.
Conception costumes : Jérôme Ragon, Mathilde Canonne, Antoine Rabier.
Maître d'armes : Pierre Berçot.
Décors et accessoires : A2R Compagnie - Antre de Rêves.
Par la Compagnie Emersion (fondée en 2022).
Durée : 1 h 20.

Du 26 avril au 25 mai 2024.
Tous les jours à 20 h 30. Relâche : le lundi.
Château de Vincennes, Centre des monuments nationaux (CMN).
Entrée face au 18, avenue de Paris, Vincennes (94).
>> emersionprod.com

Ce spectacle a été créé en juin 2018 et s'est joué jusqu'en décembre 2018 au "Secret" à Paris 5ᵉ, une ancienne usine de 1200 m², et y a réuni plus de 10 000 spectateurs.
Au Château de Vincennes, il s'agit d'une reprise jouée aussi en 2019 et en 2021.
>> Réservations uniquement en ligne

À noter pour les futurs festivaliers d'Avignon 2024 que la pièce "Le Fléau, mesure pour mesure" se jouera au Fort-Saint-André, CMN de Villeneuve-lez-Avignon du 9 au 13 juillet 2024.
Puis au Domaine National du Palais Royal (CMN) à Paris du 14 août au 7 septembre 2024.

Brigitte Corrigou
Mardi 7 Mai 2024

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