La Revue du Spectacle, le magazine des arts de la scène et du spectacle vivant. Infos théâtre, chanson, café-théâtre, cirque, arts de la rue, agenda, CD, etc.



Augmenter la taille du texte
Diminuer la taille du texte
Partager
Théâtre

"Grammaire des mammifères" Étude in vivo de mammifères humains très ordinaires…

Si la grammaire se définit comme l'étude systématique des éléments constitutifs d'une langue, l'étude systémique d'échantillons humains constitutifs de notre belle espèce dicte tout naturellement son titre de "Grammaire des mammifères" à la performance présente… Sur un plateau en pleine effervescence, les huit jeunes comédien(ne)s du T° - CDN de Tours, chaud bouillants, gonflés à bloc par l'énergie créative insufflée par leurs gourous - le metteur en scène Jacques Vincey et son complice, le dramaturge Vanasay Khamphommala - vont se donner corps et âme, dynamitant l'idée d'un théâtre soporifique.



© Christophe Raynaud De Lage.
© Christophe Raynaud De Lage.
D'emblée, les spectateurs sont extirpés de leur zone de confort, l'accueil se déroulant hors salle, dans les coursives surplombant le TnBA. Là, mégaphone ou cône de chantier en bouche, les artistes, déjà en "dé-lire", vont tour à tour décliner leur pedigree dans un brouhaha enflant jusqu'à son paroxysme, avant de se conclure par leur profession de foi solennellement proclamée d'une seule voix : servir le texte qui leur survivra… Ce qu'ils feront, avec panache.

Sur un plateau accueillant en miroir les mêmes fauteuils en velours rouge que ceux de la salle, un aquarium et une jungle luxuriante vont planter le décor de ces ébats délurés - mais non insensés - de l'espèce à étudier s'exhibant à cor(ps) et à cri(s) dans son milieu naturel. Pas de véritable progression dramatique visant à relier les épisodes de cette observation éthologique, sinon un fil rouge, celui de l'extraordinaire inventivité des humains pour créer l'hilarité liée à leur stupidité ordinaire partagée en commun.

© Christophe Raynaud De Lage.
© Christophe Raynaud De Lage.
Qu'on en juge… Après une mise en bouche quasi hypnotique où, accompagné par des voix ensorceleuses énonçant des messages à contenu régressif, l'invité spectateur sera convié à un lâcher-prise susceptible de le déconditionner de ses "pré-jugés" sur l'espèce animale à laquelle pourtant il appartient (la race porcine), la batterie de tableaux - où le gentil grand-guignolesque le dispute à la charge corrosive - va déferler tel un tsunami imparable.

"Le protagoniste", sujet exposé aux yeux des autres protagonistes que nous sommes, acteurs de notre propre Comédie humaine, va être reniflé dans tous les sens afin de tenter de percer son mystère… Et l'étude débordera vite le plateau pour s'étendre à la salle entière, interpellée comme l'ensemble de créatures profitant de la cérémonie théâtrale pour échapper au désastre d'une existence terne, sans autre horizon que la mort qui l'attend.

Des saynètes surréalistes se bousculent, toutes exacerbant des aberrations comportementales grossies à l'envi, caricatures hilarantes ne faisant qu'épaissir le trait de caractéristiques très "humaines". Ainsi l'irrésistible pulsion libidinale explosant dans une copulation en vase clos décortiquée cliniquement en bord de scène. Ou encore les besoins d'un cadre agroalimentaire XXL, obsédé XXXL, s'échinant à traduire en acte sur le personnel féminin à portée de main sa propension à "niquer" filiales et autres organismes vivants (ou pas).

© Christophe Raynaud De Lage.
© Christophe Raynaud De Lage.
De même le tableau - réunissant l'auteur de la pièce, venu là pour aimer ses personnages, un docteur faisant irruption quasi nu sous son imposant manteau de fourrure, une éleveuse-industrielle de porcs, cul nu sous son tablier de travail (on se croirait pour un peu dans une scène du "Charme discret de la bourgeoisie" de Buñuel), une grand-maman au parler fleuri, une fille délurée - pointera sous un humour trash la liberté explosive d'un auteur et d'un metteur en scène faisant voler en éclats les codes de l'entre soi culturel bien élevé. Dire l'humain dans tous les recoins de sa splendeur dévoilée au grand jour des projecteurs.

"Le protagoniste" - car c'est bien lui le héros permanent de cette saga iconoclaste - prendra aussi la forme d'une femme standard courant les soldes pour s'approprier l'objet de son désir, objet qu'elle ne peut concevoir appartenir à une moche… sous peine de mort sociale immédiate. De précipité en précipité d'échantillons humains hauts en couleur, le soap opéra baroque nous catapulte vers une chute confrontant "une vraie humaine" aux personnages réifiant l'espèce pour mieux la donner à voir et à entendre, sans fard et sans retenue.

Une fête des sens, sens dessus dessous. Une parenthèse délirante offrant un espace jouissif. Débarrassé de la gangue du politico-artistico correct nous respirons, à "visage découvert", un air de liberté régénérant.

Vu au TnBA, Salle Vauthier, le mercredi 1er décembre 2021.

"Grammaire des mammifères"

© Christophe Raynaud De Lage.
© Christophe Raynaud De Lage.
Création 2021.
Texte : William Pellier (chez Éditions Espaces 34, 2005).
Mise en scène : Jacques Vincey.
Avec la complicité de : Vanasay Khamphommala, dramaturge et chanteuse artiste compagnon·ne TnBA ; Thomas Lebrun, chorégraphe.
Assistante à la mise en scène : Blanche Adilon-Lonardoni.
Avec huit comédien·ne·s de l'ensemble artistique du CDN de Tours : Alexandra Blajovici, Garance Degos, Marie Depoorter, Cécile Feuillet, Romain Gy, Hugo Kuchel, Tamara Lipszyc, Nans Mérieux.
Scénographie : Mathieu Lorry-Dupuy assisté de Léonard Adrien Bougault.
Lumière : Diane Guérin.
Son : Alexandre Meyer.
Vidéo : Blanche Adilon Lonardoni, Maël Fusillier.
Costumes : Céline Perrigon.
Durée : 2 h 30.
Production Centre dramatique national de Tours - Théâtre Olympia.
Avec la participation du dispositif "Jeune Théâtre en Région Centre-Val de Loire".

Créé du 3 au 13 novembre 2021 Au Théâtre Olympia CDN de Tours.
Représenté du mercredi 1er au samedi 4 décembre au TnBA, Bordeaux.

Disponible en tournée à partir de juillet 2022, saisons 22/23 et 23/24.

© Christophe Raynaud De Lage.
© Christophe Raynaud De Lage.

Yves Kafka
Vendredi 10 Décembre 2021

Nouveau commentaire :

Théâtre | Danse | Concerts & Lyrique | À l'affiche | À l'affiche bis | Cirque & Rue | Humour | Festivals | Pitchouns | Paroles & Musique | Avignon 2017 | Avignon 2018 | Avignon 2019 | CédéDévédé | Trib'Une | RV du Jour | Pièce du boucher | Coulisses & Cie | Coin de l’œil | Archives | Avignon 2021 | Avignon 2022 | Avignon 2023 | Avignon 2024 | À l'affiche ter | Avignon 2025







À Découvrir

"Lilou et Lino Le Voyage vers les étoiles" Petit à petit, les chats deviennent l'âme de la maison*

Qu'il est bon de se retrouver dans une salle de spectacle !
Qu'il est agréable de quitter la jungle urbaine pour un moment de calme…
Qu'il est hallucinant de risquer encore plus sa vie à vélo sur une piste cyclable !
Je ne pensais pas dire cela en pénétrant une salle bondée d'enfants, mais au bruit du dehors, très souvent infernal, j'ai vraiment apprécié l'instant et le brouhaha des petits, âgés, de 3 à 8 ans.

© Delphine Royer.
Sur scène du Théâtre Essaïon, un décor représente une chambre d'enfant, celle d'une petite fille exactement. Cette petite fille est interprétée par la vive et solaire Vanessa Luna Nahoum, tiens ! "Luna" dans son prénom, ça tombe si bien. Car c'est sur la lune que nous allons voyager avec elle. Et les enfants, sages comme des images, puisque, non seulement, Vanessa a le don d'adoucir les plus dissipés qui, très vite, sont totalement captés par la douceur des mots employés, mais aussi parce que Vanessa apporte sa voix suave et apaisée à l'enfant qu'elle incarne parfaitement. Un modèle pour les parents présents dans la salle et un régal pour tous ses "mini" yeux rivés sur la scène. Face à la comédienne.

Vanessa Luna Nahoum est Lilou et son chat – Lino – n'est plus là. Ses parents lui racontent qu'il s'est envolé dans les étoiles pour y pêcher. Quelle étrange idée ! Mais la vie sans son chat, si belle âme, à la fois réconfortante, câline et surprenante, elle ne s'y résout pas comme ça. Elle l'adore "trop" son animal de compagnie et qui, pour ne pas comprendre cela ? Personne ce matin en tout cas. Au contraire, les réactions fusent, le verbe est bien choisi. Les enfants sont entraînés dans cette folie douce que propose Lilou : construire une fusée et aller rendre visite à son gros minet.

Isabelle Lauriou
15/05/2025
Spectacle à la Une

"Un Chapeau de paille d'Italie" Une version singulière et explosive interrogeant nos libertés individuelles face aux normalisations sociétales et idéologiques

Si l'art de générer des productions enthousiastes et inventives est incontestablement dans l'ADN de la compagnie L'Éternel Été, l'engagement citoyen fait aussi partie de la démarche créative de ses membres. La présente proposition ne déroge pas à la règle. Ainsi, Emmanuel Besnault et Benoît Gruel nous offrent une version décoiffante, vive, presque juvénile, mais diablement ancrée dans les problématiques actuelles, du "Chapeau de paille d'Italie"… pièce d'Eugène Labiche, véritable référence du vaudeville.

© Philippe Hanula.
L'argument, simple, n'en reste pas moins source de quiproquos, de riantes ficelles propres à la comédie et d'une bonne dose de situations grotesques, burlesques, voire absurdes. À l'aube d'un mariage des plus prometteurs avec la très florale Hélène – née sans doute dans les roses… ornant les pépinières parentales –, le fringant Fadinard se lance dans une quête effrénée pour récupérer un chapeau de paille d'Italie… Pour remplacer celui croqué – en guise de petit-déj ! – par un membre de la gent équestre, moteur exclusif de son hippomobile, ci-devant fiacre. À noter que le chapeau alimentaire appartenait à une belle – porteuse d'une alliance – en rendez-vous coupable avec un soldat, sans doute Apollon à ses heures perdues.

N'ayant pas vocation à pérenniser toute forme d'adaptation académique, nos deux metteurs en scène vont imaginer que cette histoire absurde est un songe, le songe d'une nuit… niché au creux du voyage ensommeillé de l'aimable Fadinard. Accrochez-vous à votre oreiller ! La pièce la plus célèbre de Labiche se transforme en une nouvelle comédie explosive, électro-onirique ! Comme un rêve habité de nounours dans un sommeil moelleux peuplé d'êtres extravagants en doudounes orange.

Gil Chauveau
11/03/2024
Spectacle à la Une

"La vie secrète des vieux" Aimer même trop, même mal… Aimer jusqu'à la déchirure

"Telle est ma quête", ainsi parlait l'Homme de la Mancha de Jacques Brel au Théâtre des Champs-Élysées en 1968… Une quête qu'ont fait leur cette troupe de vieux messieurs et vieilles dames "indignes" (cf. "La vieille dame indigne" de René Allio, 1965, véritable ode à la liberté) avides de vivre "jusqu'au bout" (ouaf… la crudité revendiquée de leur langue émancipée y autorise) ce qui constitue, n'en déplaise aux catholiques conservateurs, le sel de l'existence. Autour de leur metteur en scène, Mohamed El Khatib, ils vont bousculer les règles de la bienséance apprise pour dire sereinement l'amour chevillé au corps des vieux.

© Christophe Raynaud de Lage.
Votre ticket n'est plus valable. Prenez vos pilules, jouez au Monopoly, au Scrabble, regardez la télé… des jeux de votre âge quoi ! Et surtout, ayez la dignité d'attendre la mort en silence, on ne veut pas entendre vos jérémiades et – encore moins ! – vos chuchotements de plaisir et vos cris d'amour… Mohamed El Khatib, fin observateur des us et coutumes de nos sociétés occidentales, a documenté son projet théâtral par une série d'entretiens pris sur le vif en Ehpad au moment de la Covid, des mouroirs avec eau et électricité à tous les étages. Autour de lui et d'une aide-soignante, artiste professionnelle pétillante de malice, vont exister pleinement huit vieux et vieilles revendiquant avec une belle tranquillité leur droit au sexe et à l'amour (ce sont, aussi, des sentimentaux, pas que des addicts de la baise).

Un fauteuil roulant poussé par un vieux très guilleret fait son entrée… On nous avertit alors qu'en fonction du grand âge des participant(e)s au plateau, et malgré les deux défibrillateurs à disposition, certain(e)s sont susceptibles de mourir sur scène, ce qui – on l'admettra aisément – est un meilleur destin que mourir en Ehpad… Humour noir et vieilles dentelles, le ton est donné. De son fauteuil, la doyenne de la troupe, 91 ans, Belge et ancienne présentatrice du journal TV, va ar-ti-cu-ler son texte, elle qui a renoncé à son abonnement à la Comédie-Française car "ils" ne savent plus scander, un vrai scandale ! Confiant plus sérieusement que, ce qui lui manque aujourd'hui – elle qui a eu la chance d'avoir beaucoup d'hommes –, c'est d'embrasser quelqu'un sur la bouche et de manquer à quelqu'un.

Yves Kafka
30/08/2024