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Festivals

FAB 2022 "Ukraine Fire" Concert explosif au cœur du brasier ukrainien, une poétique de la nécessaire révolte

Issues du Théâtre Dakh à Kiev, les Dakh Daughters - chanteuses, musiciennes, performeuses - irradient depuis plus de deux décennies le paysage artistique pour l'embraser de leur énergie surpuissante. Mais depuis le 24 février 2022, date de l'invasion de leur pays et de son cortège de crimes contre l'humanité, leur révolte est montée encore d'un cran, se muant en combat irréductible contre la barbarie dont est victime le peuple ukrainien. Avec leur art pour seule arme, ces guerrières au visage de clowns lunaires n'ont de cesse de faire résonner le cri de la liberté, cri ô combien salutaire pour dénoncer le génocide annoncé par le petit tsar russe.



© Pierre Planchenault.
© Pierre Planchenault.
Lorsque le rideau de scène barré de l'inscription "Arrêtez l'agression russe et le génocide en Ukraine !" se lève des tableaux morcelés de villes bombardées et d'habitants se terrant dans les sous-sols d'immeubles privés d'eau et d'électricité crèvent l'écran. Une comédienne en régie se fait alors le porte-voix de la fuite éperdue de ces femmes et enfants, tentant au milieu des cadavres et corps mutilés d'échapper aux massacres.

Contrastant avec le chaos en arrière-plan s'abattant sur l'Ukraine soumise à "une pluie de fer, de feu, d'acier, de sang", les Dakh Daughters font montre de la maîtrise impeccable de leurs postures et gestes mise au service d'un répertoire balayant un large spectre allant de la langueur des chants traditionnels aux accents précipités d'un rap furieux. Autant à leur aise dans les mouvements amples des cheminements mélancoliques que dans les rythmes fougueux d'un punk rock déjanté, ces musiciennes montées sur ressorts jouent avec un art consommé de leurs multi-instruments (contrebasse, clavier, percussions, etc.) ajoutant ainsi à leurs voix exceptionnelles des notes au pouvoir hypnotique.

© Pierre Planchenault.
© Pierre Planchenault.
Depuis ces jours de février 2014 où, sur la Place Maïdan de Kiev, elles ont mêlé leurs voix à celles des révolutionnaires de l'Euromaïdan (refus d'un accord scélérat avec la Russie privant les Ukrainiens d'un rapprochement avec l'Europe), les Dakh Daughters ont métamorphosé leur colère en manifeste activiste où poétique et politique confondent leurs sonorités communes.

Ainsi, une heure et demie durant, vont se succéder des tableaux musicaux où il est question d'aspiration au bonheur partagé, exprimé dans une poésie élégiaque au rythme lancinant, sur fond de malheurs collectifs explosant en séquences musicales effrénées. Visages hideux à la Goya, défilés hitlériens au pas de l'oie, bras tendus, croix gammées, servant de toile de fond à des paroles faussement ingénues - "l'homme est doué de raison… juste une chose m'échappe… pourquoi autant de mal sur terre ?", refrain répété à l'envi jusqu'à ce qu'il devienne assourdissant.

Ou encore fable à portée métaphorique de l'orpheline de guerre à qui l'on conseille de se marier et dont "la liberté se noie dans un puits profond", sur fond d'armées de corbeaux hantant les champs de bataille où l'on tue et viole. Avec, aussitôt en contrepoint, horizons d'attentes ô combien porteurs, les paroles roboratives de la promesse d'un ailleurs, d'un avenir libéré de l'oppresseur, toujours là comme antidote à la résignation. Aborder ensemble les rives d'un autre monde expurgé du monstre poutinien - "Je veux de nouvelles chansons, de nouvelles vies… de Paris à Sydney, on veut vivre, on veut aimer" - résonne dès lors comme un leitmotiv de combat.

© Pierre Planchenault.
© Pierre Planchenault.
Récit de vie d'une grand-mère au visage buriné n'ayant connu que les détresses des guerres et psalmodiant son malheur - "oh mon destin où t'en es-tu allé ?" - jusqu'à saturation des sons de la batterie s'emballant furieusement. À la rage musicale, succède le regard résolu de la batteuse campée solidement sur ses jambes et plongeant ses yeux dans ceux du public : "l'amour surmontera, c'est tout". Détermination palpable jusqu'au message final où, drapées dans un étendard ukrainien fièrement arboré, ces femmes puissantes incarnent superbement l'espoir de tout un peuple solidaire.

Si "l'engagement" sans concession des Dakh Daughters nous percute autant, c'est justement parce qu'il puise ses ressources dans des formes artistiques pleinement maîtrisées. Y compris dans l'utilisation de mosaïques d'images extraites de l'actualité à vif, documents faisant effraction en fond de scène à la manière d'éclats déchirant la mémoire collective toujours encline aux petits arrangements avec l'horreur. Ainsi transcendée dans une "représentation" artistique, l'abomination de l'invasion décrétée par le Président russe est donnée à voir sous l'angle d'un précipité parlant à nos sens autant qu'à notre raison.

Puissent les échos d'"Ukraine Fire" demeurer durablement en nous, à l'unisson de ceux du poème "Liberté" écrit aux heures sombres de l'occupation allemande par Paul Éluard.

Vu le mardi 4 octobre au Carré de Saint-Médard-en-Jalles, dans le cadre du FAB, Festival International des Arts de Bordeaux Métropole.
50 % des recettes de cette soirée ont été reversées à l'Aide médicale et caritative France-Ukraine.

"Ukraine Fire"

© Pierre Planchenault.
© Pierre Planchenault.
Création 2022 des Dakh Daughters.
Spectacle en ukrainien sur-titré en français.
Direction artistique : Vlad Troitskyi.
Dakh Daughters : Nataliia Halanevych, Ruslana Khazipova, Solomiia Melnyk, Anna Nikitina, Nataliia Zozul.
Avec la participation de la comédienne : Tetyana Troistka.
Création lumières, mapping vidéo : Mariia Volkova.
Son : Simon Auffret et Masksym Taran.
Durée : 1 h 30.

Tournée
7 octobre 2022 : Festival Le Grand Soufflet, Le Canal, Redon (35).
13 10 2022 : Festival Nuits de Champagne, Théâtre de la Madeline, Troyes (10).

FAB - 7e Festival International des Arts de Bordeaux Métropole.
Du 1er au 16 octobre 2022.
9 rue des Capérans, Bordeaux (33).
Billetterie : 06 63 80 01 48.
contact@festivalbordeaux.com

>> fab.festivalbordeaux.com

Yves Kafka
Lundi 10 Octobre 2022

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"L'Effet Papillon" Se laisser emporter au fil d'un simple vol de papillon pour une fascinante expérience

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© Pics.
Vous avez certainement entendu parler de "l'effet papillon", expression inventée par le mathématicien-météorologue Edward Lorenz, inventeur de la théorie du chaos, à partir d'un phénomène découvert en 1961. Ce phénomène insinue qu'il suffit de modifier de façon infime un paramètre dans un modèle météo pour que celui-ci s'amplifie progressivement et provoque, à long terme, des changements colossaux.

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C'est à partir de cette théorie que le mentaliste Taha Mansour nous invite à nouveau, en cette rentrée, à effectuer un voyage hors du commun. Son spectacle a reçu un succès notoire au Sham's Théâtre lors du Festival d'Avignon cet été dernier.

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Brigitte Corrigou
08/09/2023
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La comédie musicale rock de Broadway enfin en France ! Récompensée quatre fois aux Tony Awards, Hedwig, la chanteuse transsexuelle germano-américaine, est-allemande, dont la carrière n'a jamais démarré, est accompagnée de son mari croate,Yithak, qui est aussi son assistant et choriste, mais avec lequel elle entretient des relations malsaines, et de son groupe, the Angry Inch. Tout cela pour retracer son parcours de vie pour le moins chaotique : Berlin Est, son adolescence de mauvais garçon, son besoin de liberté, sa passion pour le rock, sa transformation en Hedwig après une opération bâclée qui lui permet de quitter l'Allemagne en épouse d'un GI américain, ce, grâce au soutien sans failles de sa mère…

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Hedwig bouscule les codes de la bienséance et va jusqu'au bout de ses rêves.
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"Hedwig and the Angry inch" a vu le jour pour la première fois en 1998, au Off Broadway, dans les caves, sous la direction de John Cameron Mitchell. C'est d'ailleurs lui-même qui l'adaptera au cinéma en 2001. C'est la version de 2014, avec Neil Patrick Harris dans le rôle-titre, qui remporte les quatre Tony Awards, dont celui de la meilleure reprise de comédie musicale.

Ce soir-là, c'était la première fois que nous assistions à un spectacle au Théâtre du Rouge Gorge, alors que nous venons pourtant au Festival depuis de nombreuses années ! Situé au pied du Palais des Papes, du centre historique et du non moins connu hôtel de la Mirande, il s'agit là d'un lieu de la ville close pour le moins pittoresque et exceptionnel.

Brigitte Corrigou
20/09/2023
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"Zoo Story" Dans un océan d'inhumanités, retrouver le vivre ensemble

Central Park, à l'heure de la pause déjeuner. Un homme seul profite de sa quotidienne séquence de répit, sur un banc, symbole de ce minuscule territoire devenu son havre de paix. Dans ce moment voulu comme une trêve face à la folie du monde et aux contraintes de la société laborieuse, un homme surgit sans raison apparente, venant briser la solitude du travailleur au repos. Entrant dans la narration d'un pseudo-récit, il va bouleverser l'ordre des choses, inverser les pouvoirs et détruire les convictions, pour le simple jeu – absurde ? – de la mise en exergue de nos inhumanités et de nos dérives solitaires.

© Alejandro Guerrero.
Lui, Peter (Sylvain Katan), est le stéréotype du bourgeois, cadre dans une maison d'édition, "détenteur" patriarcal d'une femme, deux enfants, deux chats, deux perruches, le tout dans un appartement vraisemblablement luxueux d'un quartier chic et "bobo" de New York. L'autre, Jerry (Pierre Val), à l'opposé, est plutôt du côté de la pauvreté, celle pas trop grave, genre bohème, mais banale qui fait habiter dans une chambre de bonne, supporter les inconvénients de la promiscuité et rechercher ces petits riens, ces rares moments de défoulement ou d'impertinence qui donnent d'éphémères et fugaces instants de bonheur.

Les profils psychologiques des deux personnages sont subtilement élaborés, puis finement étudiés, analysés, au fil de la narration, avec une inversion, un basculement "dominant - dominé", s'inscrivant en douceur dans le déroulement de la pièce. La confrontation, involontaire au début, Peter se laissant tout d'abord porter par le récit de Jerry, devient plus prégnante, incisive, ce dernier portant ses propos plus sur des questionnements existentiels sur la vie, sur les injonctions à la normalité de la société et la réalité pitoyable – selon lui – de l'existence de Peter… cela sous prétexte d'une prise de pouvoir de son espace vital de repos qu'est le banc que celui-ci utilise pour sa pause déjeuner.

La rencontre fortuite entre ces deux humains est en réalité un faux-semblant, tout comme la prétendue histoire du zoo qui ne viendra jamais, Edward Albee (1928-2016) proposant ici une réflexion sur les dérives de la société humaine qui, au fil des décennies, a construit toujours plus de barrières entre elle et le vivant, créant le terreau des détresses ordinaires et des grandes solitudes. Ce constat fait dans les années cinquante par l'auteur américain de "Qui a peur de Virginia Woolf ?" se révèle plus que jamais d'actualité avec l'évolution actuelle de notre monde dans lequel l'individualisme a pris le pas sur le collectif.

Gil Chauveau
15/09/2023