La Revue du Spectacle, le magazine des arts de la scène et du spectacle vivant. Infos théâtre, chanson, café-théâtre, cirque, arts de la rue, agenda, CD, etc.



Augmenter la taille du texte
Diminuer la taille du texte
Partager
Festivals

FAB 2022 "Any attempt will end in crushed bodies and shattered bones" Le démenti par la danse : figures de résistance

"Toute tentative se terminera par des corps écrasés et des os brisés", c'est par ces termes d'une sauvagerie décomplexée que le président chinois Xi Jinping entend mâter toute velléité d'indépendance des habitants d'Hong Kong. Le Flamand Jan Martens, avec le langage qu'est le sien - la chorégraphie - lui répond au travers d'une pièce où les corps en mouvement font chorus pour faire front à la barbarie d'État. Les diversités d'âge, de genre et d'origine des dix-sept danseuses et danseurs résonnent comme de fabuleux pieds de nez adressés au(x) tyran(s) obsédé(s) par l'uniformisation des esprits et l'embrigadement des corps.



© Phile Deprez.
© Phile Deprez.
Sur le plateau arpenté en tous sens comme un échiquier "hors normes", les pas n'ont de cesse d'affirmer le tempo de la détermination sans faille de cet irrésistible "corps à corps" avec l'oppression. Les lignes au sol se croisent, s'entrecoupent, divergent, convergent, dans un entrelacs à donner le vertige. Les corps qui les parcourent s'effleurent sans jamais se heurter, complices de concert d'une même cérémonie millimétrée portée par les notes au pouvoir hypnotique du concerto pour clavecin d'Henryk Górecki.

Toutes les figures à opposer à la machinerie répressive sont explorées à l'envi, comme le ferait un entomologiste de l'Homo sapiens soucieux de répertorier les déplacements inventifs de colonies d'insectes humains mus par l'instinct de survie. De l'immobilité, traduisant la pause face à l'impensable à évaluer, à la mise en mouvements pluriels, une énergie vitale circule démultipliant par la force du groupe les ressources de résistance enfouies en chacun et chacune. En effet, si le mouvement d'ensemble est porté par le groupe solidaire, son interprétation est le fruit d'une liberté d'exécution assumée par chaque participant.

© Phile Deprez.
© Phile Deprez.
L'exact opposé des défilés militaires au pas de l'oie prisés par les dictateurs de tous poils où l'uniforme et le pas cadencé oblitèrent le sujet humain jusqu'à le fondre dans une masse uniforme. Là, des corps d'âges très différents (de moins de vingt ans à plus de soixante-dix), de cultures et d'origines plurielles, s'unissent sans rien perdre de leur individualité affirmée pour dire dans des chassés-croisés inventifs, ponctués par des pauses méditatives, leur refus de toute colonisation. Pas étonnant alors, au terme de cette heure et demie d'évolutions chorégraphiées, de s'apercevoir que chaque "visage de la liberté en marche" nous est devenu familier, ayant noué avec chacun d'entre eux une relation privilégiée.

Si l'on ajoute à la musique omniprésente d'Henryk Górecki, celle de Kae Tempest - l'aède contemporain de "The Line is a curve" qui envoûta de sa voix charmeuse la Cour d'Honneur lors de la clôture d'Avignon 2022 - et les mots puissants d'Ali Smith prononcés au micro, l'on comprend l'effet ensorceleur d'une telle "manifestation". Leurs échos amplifient non sans bonheur ceux des corps en mouvement parcourant infatigablement la figure d'un espace à reconquérir : une litanie, sans début ni fin, traversée par l'étonnante détermination de ceux qui restent debout face au tank compresseur de la Place Tian'anmen.

© Phile Deprez.
© Phile Deprez.
"Any attempt will end in crushed bodies and shattered bones" se vit comme un vibrant manifeste chorégraphié, un oratorio éclatant d'énergie vitale, à opposer de toute nécessité aux sinistres dirigeants "en mâle" de puissance. Chaque danseur incarnant la note singulière de cette partition collective, écrite et orchestrée par le catalyseur d'énergies qu'est Jan Martens. Chaque spectateur immergé dans les tableaux vivants devenant le chorégraphe de l'insoumission en marche.

Vu le vendredi 14 octobre 2022 au TnBA de Bordeaux, en partenariat avec La Manufacture CDCN, dans le cadre du FAB - Festival International des Arts de Bordeaux Métropole. A été représente les 14 et 15 octobre.

"Any attempt will end in crushed bodies and shattered bones"

© Phile Deprez.
© Phile Deprez.
Chorégraphie : Jan Martens/GRIP & Dance On Ensemble.
Avec : Baptiste Cazaux Ty Boomershine, Truus Bronkhorst, Jim Buskens, Zoë Chungong, Piet Defrancq, Naomi Gibson, Kimmy Ligtvoet, Cherish Menzo, Steven Michel, Gesine Moog, Dan Mussett, Wolf Overmeire, Tim Persent, Courtney May Robertson, Laura Vanborm et Loeka Willems et, en alternance, Pierre Bastin, Georgia Boddez, Zora Westbroek et Lia Witjes-Poole.
Doublures : Abigail Aleksander, Simon Lelièvre, Solal Mariotte et Maisie Woodford.
Assistante artistique : Anne-Lise Brevers.
Création lumière : Jan Fedinger.
Assistant à la création de lumière : Vito Walter.
Création costumes : Cédric Charlier.
Assistants à la création de costumes : Alexandra Sebbag et Thibault Kuhn.
Regards extérieurs : Marc Vanrunxt, Renée Copraij, Rudi Meulemans et Siska Baeck.
Techniciens : Michel Spang et Valentijn Weyn, Bennert Vancottem.
Texte extrait de "Spring" d'Ali Smith avec la permission de Wylie Agency.

Musiques additionnelles : Henryk Górecki, Kae Tempest, Max Roach, Abbey Lincoln.
"Concerto pour Clavecin et Cordes Op 40" d'Henryk Mikolaj Górecki,
"People's Faces" de Kae Tempest and Dan Carey,
"Triptych:Prayer/Protest/Peace" de Maxwell Roach.
Durée : 1 h 30.

Tournée
11 février 2023 : Théâtre de Liège, Liège (Belgique).
10 mars 2023 : Maison de la Culture, Amiens (80).
Du 16 au 17 mars 2023 : Comédie de Caen, Hérouville-Saint-Clair (14).
Du 11 au 13 mai 2023 : Théâtre de la Ville (en partenariat avec La Villette), Paris 4e.

FAB - 7e Festival International des Arts de Bordeaux Métropole.
A eu lieu du 1er au 16 octobre 2022.
9 rue des Capérans, Bordeaux (33).
Billetterie : 06 63 80 01 48.
contact@festivalbordeaux.com

>> fab.festivalbordeaux.com

Yves Kafka
Samedi 22 Octobre 2022

Nouveau commentaire :

Théâtre | Danse | Concerts & Lyrique | À l'affiche | À l'affiche bis | Cirque & Rue | Humour | Festivals | Pitchouns | Paroles & Musique | Avignon 2017 | Avignon 2018 | Avignon 2019 | CédéDévédé | Trib'Une | RV du Jour | Pièce du boucher | Coulisses & Cie | Coin de l’œil | Archives | Avignon 2021 | Avignon 2022 | Avignon 2023 | Avignon 2024 | À l'affiche ter | Avignon 2025







À Découvrir

"Lilou et Lino Le Voyage vers les étoiles" Petit à petit, les chats deviennent l'âme de la maison*

Qu'il est bon de se retrouver dans une salle de spectacle !
Qu'il est agréable de quitter la jungle urbaine pour un moment de calme…
Qu'il est hallucinant de risquer encore plus sa vie à vélo sur une piste cyclable !
Je ne pensais pas dire cela en pénétrant une salle bondée d'enfants, mais au bruit du dehors, très souvent infernal, j'ai vraiment apprécié l'instant et le brouhaha des petits, âgés, de 3 à 8 ans.

© Delphine Royer.
Sur scène du Théâtre Essaïon, un décor représente une chambre d'enfant, celle d'une petite fille exactement. Cette petite fille est interprétée par la vive et solaire Vanessa Luna Nahoum, tiens ! "Luna" dans son prénom, ça tombe si bien. Car c'est sur la lune que nous allons voyager avec elle. Et les enfants, sages comme des images, puisque, non seulement, Vanessa a le don d'adoucir les plus dissipés qui, très vite, sont totalement captés par la douceur des mots employés, mais aussi parce que Vanessa apporte sa voix suave et apaisée à l'enfant qu'elle incarne parfaitement. Un modèle pour les parents présents dans la salle et un régal pour tous ses "mini" yeux rivés sur la scène. Face à la comédienne.

Vanessa Luna Nahoum est Lilou et son chat – Lino – n'est plus là. Ses parents lui racontent qu'il s'est envolé dans les étoiles pour y pêcher. Quelle étrange idée ! Mais la vie sans son chat, si belle âme, à la fois réconfortante, câline et surprenante, elle ne s'y résout pas comme ça. Elle l'adore "trop" son animal de compagnie et qui, pour ne pas comprendre cela ? Personne ce matin en tout cas. Au contraire, les réactions fusent, le verbe est bien choisi. Les enfants sont entraînés dans cette folie douce que propose Lilou : construire une fusée et aller rendre visite à son gros minet.

Isabelle Lauriou
15/05/2025
Spectacle à la Une

"Un Chapeau de paille d'Italie" Une version singulière et explosive interrogeant nos libertés individuelles face aux normalisations sociétales et idéologiques

Si l'art de générer des productions enthousiastes et inventives est incontestablement dans l'ADN de la compagnie L'Éternel Été, l'engagement citoyen fait aussi partie de la démarche créative de ses membres. La présente proposition ne déroge pas à la règle. Ainsi, Emmanuel Besnault et Benoît Gruel nous offrent une version décoiffante, vive, presque juvénile, mais diablement ancrée dans les problématiques actuelles, du "Chapeau de paille d'Italie"… pièce d'Eugène Labiche, véritable référence du vaudeville.

© Philippe Hanula.
L'argument, simple, n'en reste pas moins source de quiproquos, de riantes ficelles propres à la comédie et d'une bonne dose de situations grotesques, burlesques, voire absurdes. À l'aube d'un mariage des plus prometteurs avec la très florale Hélène – née sans doute dans les roses… ornant les pépinières parentales –, le fringant Fadinard se lance dans une quête effrénée pour récupérer un chapeau de paille d'Italie… Pour remplacer celui croqué – en guise de petit-déj ! – par un membre de la gent équestre, moteur exclusif de son hippomobile, ci-devant fiacre. À noter que le chapeau alimentaire appartenait à une belle – porteuse d'une alliance – en rendez-vous coupable avec un soldat, sans doute Apollon à ses heures perdues.

N'ayant pas vocation à pérenniser toute forme d'adaptation académique, nos deux metteurs en scène vont imaginer que cette histoire absurde est un songe, le songe d'une nuit… niché au creux du voyage ensommeillé de l'aimable Fadinard. Accrochez-vous à votre oreiller ! La pièce la plus célèbre de Labiche se transforme en une nouvelle comédie explosive, électro-onirique ! Comme un rêve habité de nounours dans un sommeil moelleux peuplé d'êtres extravagants en doudounes orange.

Gil Chauveau
11/03/2024
Spectacle à la Une

"La vie secrète des vieux" Aimer même trop, même mal… Aimer jusqu'à la déchirure

"Telle est ma quête", ainsi parlait l'Homme de la Mancha de Jacques Brel au Théâtre des Champs-Élysées en 1968… Une quête qu'ont fait leur cette troupe de vieux messieurs et vieilles dames "indignes" (cf. "La vieille dame indigne" de René Allio, 1965, véritable ode à la liberté) avides de vivre "jusqu'au bout" (ouaf… la crudité revendiquée de leur langue émancipée y autorise) ce qui constitue, n'en déplaise aux catholiques conservateurs, le sel de l'existence. Autour de leur metteur en scène, Mohamed El Khatib, ils vont bousculer les règles de la bienséance apprise pour dire sereinement l'amour chevillé au corps des vieux.

© Christophe Raynaud de Lage.
Votre ticket n'est plus valable. Prenez vos pilules, jouez au Monopoly, au Scrabble, regardez la télé… des jeux de votre âge quoi ! Et surtout, ayez la dignité d'attendre la mort en silence, on ne veut pas entendre vos jérémiades et – encore moins ! – vos chuchotements de plaisir et vos cris d'amour… Mohamed El Khatib, fin observateur des us et coutumes de nos sociétés occidentales, a documenté son projet théâtral par une série d'entretiens pris sur le vif en Ehpad au moment de la Covid, des mouroirs avec eau et électricité à tous les étages. Autour de lui et d'une aide-soignante, artiste professionnelle pétillante de malice, vont exister pleinement huit vieux et vieilles revendiquant avec une belle tranquillité leur droit au sexe et à l'amour (ce sont, aussi, des sentimentaux, pas que des addicts de la baise).

Un fauteuil roulant poussé par un vieux très guilleret fait son entrée… On nous avertit alors qu'en fonction du grand âge des participant(e)s au plateau, et malgré les deux défibrillateurs à disposition, certain(e)s sont susceptibles de mourir sur scène, ce qui – on l'admettra aisément – est un meilleur destin que mourir en Ehpad… Humour noir et vieilles dentelles, le ton est donné. De son fauteuil, la doyenne de la troupe, 91 ans, Belge et ancienne présentatrice du journal TV, va ar-ti-cu-ler son texte, elle qui a renoncé à son abonnement à la Comédie-Française car "ils" ne savent plus scander, un vrai scandale ! Confiant plus sérieusement que, ce qui lui manque aujourd'hui – elle qui a eu la chance d'avoir beaucoup d'hommes –, c'est d'embrasser quelqu'un sur la bouche et de manquer à quelqu'un.

Yves Kafka
30/08/2024