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Festivals

Festival confit ! Les rituels culinaires intimement associés aux problématiques questionnées par le théâtre

Du 20 au 25 mai s'est tenue la 3e édition du Festival confit ! à La Garance, Scène Nationale de Cavaillon (84). Un théâtre comestible qui met, avec beaucoup de talent et d'intelligence, l'alimentation partagée au cœur de la création artistique. Lors de cette nouvelle édition, "confit !" s'est frotté à de multiples questions : historiques, familiales, sociétales, environnementales… D'un rituel culinaire libanais ("Freekeh"), pour célébrer les personnes disparues, à la confection d'un dîner insolite ("Repas de mer"), en vue de se préparer à la fin du monde, les propositions artistiques se sont avérées aussi passionnantes que savoureuses.



"Freekeh" © Carl Halal.
"Freekeh" © Carl Halal.
Le Festival confit ! a vu le jour, il y a trois ans, avec l'arrivée de sa nouvelle directrice, Chloé Tournier, auparavant en charge de la programmation du MAIF Social Club, à Paris. Passionnée par le sujet, Chloé Tournier travaille depuis une vingtaine d'années sur les liens entre le théâtre et la cuisine. Ce fut d'ailleurs le sujet de son mémoire de fin d'études à Sciences-Po et également la thématique d'une exposition au MAIF Social Club, "Matières à mijoter". Si la directrice de la Scène Nationale de Cavaillon reconnaît la gourmandise comme l'une de ses qualités, il faut dire que ce projet artistico-culinaire a toute sa légitimité sur le territoire de Cavaillon.

Situé dans le département de Vaucluse, en région Provence-Alpes-Côte d'Azur, entre le Lubéron et les Alpilles, celui-ci est particulièrement marqué par les questions agricoles, historiquement, dans sa richesse passée, mais aussi dans ses infrastructures, ses paysages marqués par l'agriculture (oliviers, vignes, etc.). C'est encore aujourd'hui un territoire qui produit beaucoup. Cavaillon, capitale du melon, ça vous dit quelque chose ?

"Freekeh" © I. Fauvel.
"Freekeh" © I. Fauvel.
Pour Chloé Tournier, la matière alimentaire, en tant que matière artistique, permet de nouvelles dramaturgies, mais aussi des récits politiques autres et des esthétiques relationnelles différentes, ce que viennent confirmer les deux spectacles vus ce jour-là. L'alimentation n'est pas un temps convivial offert avant, pendant ou après la représentation, mais constitue ici l'essence même du spectacle.

Après "Lentilles au fenouil" et "Chaussons aux tomates", Hiba Najem signe, avec "Freekeh", la troisième performance de sa série culinaire. Accompagnée d'un accordéoniste, l'artiste raconte l'histoire de Souad, sa tante disparue, à travers le Freekeh, le plat préféré de la défunte. Quarante spectateurs sont ainsi conviés à explorer les traditions et le rituel entourant les quarante jours après la mort d'un proche. Ensemble, ils dressent la table et cuisinent le fameux Freekeh, ce plat traditionnel à base de blé vert auquel s'ajoutent des légumes, diverses épices, du fromage blanc, de la menthe sèche et de l'ail.

Ce blé, issu d'une variété très ancienne, possède un goût délicieusement fumé, car il a été récolté avant maturité et brûlé dans son écorce. Entre les effluves de blé, d'oignons, les mélodies orientales et la voix enregistrée de la défunte sur un répondeur téléphonique se tissent des liens entre passé et présent, mémoire et partage, artistes et spectateurs. L'expérience partagée devient support de rencontre.

La scénographie accompagne les trois temps du spectacle, un premier temps où, répartis en deux rangées, les spectateurs se font face, découvrant le récit d'Hiba ; un deuxième dans lequel chacun s'affaire en petits groupes dans les préparatifs (garnir la table de fleurs et de bougies, couper les légumes, préparer le fromage blanc, mettre le couvert…) ; et un troisième où le public, attablé, savoure le repas, riche de récits et de symboles.

"En partageant un plat qui était cher à ma tante, confie Hiba, j'espère lui rendre hommage ainsi qu'à toutes les personnes qui ne sont plus présentes avec nous depuis quarante jours, quarante semaines ou quarante ans. Ma tante était une femme joyeuse qui aimait la vie et aimait profiter de sa beauté plutôt que de se concentrer sur sa tragédie. Je m'inspire d'elle pour célébrer sa mort en une fête."

"Repas de Mer" © Olympe Tits.
"Repas de Mer" © Olympe Tits.
Avec "Repas de mer", l'alimentation véhicule les questions environnementales sous un angle inclusif. Cuisiner pour se préparer à la fin du monde, ou plutôt pour prendre soin du monde de demain, telle est l'invitation de la compagnie belge Laika. "Peut-on sauver la planète depuis sa cuisine ?", Se demande la narratrice-comédienne. Atteinte d'écoanxiété, alors qu'elle s'apprête à devenir mère, elle cherche des solutions pour juguler ses préoccupations planétaires. Sa quête commence par la mer, un paysage qui lui est familier et dont elle est originaire. Fuyant la vie urbaine, elle nous emmène, dans un voyage sensoriel, le long des plages et des falaises, nous raconte ses rencontres avec des cueilleuses d'algues…

Installés autour d'elle, sur deux niveaux, dans une structure circulaire, quelque quatre-vingt spectateurs écoutent son récit (en néerlandais, surtitré en français), expérimentent différents types d'algues et des recettes innovantes entièrement végétales : du beurre marin, des chips de chêne de mer, de la mousse de poisson sans poisson, des coquilles de pleurotes de panicaut, des sushis farcis de tapenade de betteraves rouges, de riz de quinoa et de courgette jaune… le tout accompagné d'un kéfir marin (à base de spiruline forcément). En dessert, de délicieux brownies de patates douces, de baies d'argousier et de pépites de chocolat pur – les recettes de Laika sont à retrouver sur le site de la compagnie.

"Repas de Mer" © Marie-Pierre Bourdier.
"Repas de Mer" © Marie-Pierre Bourdier.
Le repas est tout sauf passif, car la future mère nous invite à sentir, toucher, goûter, couper, broyer, malaxer… C'est une véritable expérience culinaire que la jeune femme dispense avec humour et une pointe de suspense. Ses plats s'avèrent incroyables et sans doute bien plus efficaces qu'un discours sur l'avenir de la planète.

Cette édition du festival confit ! a également vu le lancement du projet de recherche "A tavola !" ("À table !" en italien, NDLR), porté par l'artiste complice Floriane Facchini. L'idée de ce projet est de croiser les regards de chercheurs, d'artistes, d'agriculteurs et d'élus des collectivités territoriales pour transformer les pratiques des uns et des autres, agriculteurs et consommateurs, afin de préserver la biodiversité. Tout au long du processus qui s'étalera sur deux ans, des performances culinaires ("les Mises en Bouche") seront proposées et un banquet artistico-culinaire-scientifique parachèvera l'aventure en mai 2027.

Rendez-vous donc en mai 2026 pour la 4e édition du festival confit ! et pour un premier point sur le projet "A tavola !".
◙ Isabelle Fauvel

"Freekeh" © I. Fauvel.
"Freekeh" © I. Fauvel.
Festival confit !
Cette 3e édition s'est déroulé du 20 au 25 mai 2025.
Proposé par La Garance - Scène nationale, Cavaillon (84).
>> lagarance.com

"Freekeh"
Conception : Hiba Najem.
Mise en scène et performance : Hiba Najem.
Création musicale et musique sur scène : Samah Boulmouna.
Coproduction La Garance.
Durée : 1 h 15.
À partir de 12 ans.

"Repas de mer"
Texte : Sien Vanmaele.
Mise en scène : Jo Roets.
Avec : Annelotte van Aarst.
Concept sensoriel : Peter De Bie et Sien Vanmaele,
Musique : Jason Dousselaere.
Scénographie : Studio Kuurjeus et Peter De Bie.
Costumes : Manuela Lauwers.
Dramaturgie Mieke Versyp.
Cuisine : Sara Sampelayo Helena Verbeeck et Annelotte Van Aarst.
Éclairage : Thomas Stevens.
À partir de 10 ans.
Durée : 1 h 40.

Isabelle Fauvel
Vendredi 30 Mai 2025

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