La Revue du Spectacle, le magazine des arts de la scène et du spectacle vivant. Infos théâtre, chanson, café-théâtre, cirque, arts de la rue, agenda, CD, etc.



Augmenter la taille du texte
Diminuer la taille du texte
Partager
Théâtre

FAB 2019 "Concours européen de la chanson philosophique" La philosophie mise en musique dans un dispositif à faire kiffer "l'euro-vision"

Massimo Furlan, performer suisse mâtiné d'Italien, était dans ses jeunes années fan de l'Eurovision, de ses paillettes éblouissantes et de ses bluettes sentimentales réunissant joyeusement sa famille autour du petit écran. Près d'un demi-siècle plus tard, c'est la grande avant-scène du Carré qui le projette sous les sunlights en splendide ordonnateur - flanqué d'une superbe créature en robe lamé - de deux soirées "enchantées" dédiées à une vision de notre Monde. Comme quoi divertissement populaire et réflexion de pointe peuvent rimer ensemble…



© Laure Ceillier et Pierre Nydegger.
© Laure Ceillier et Pierre Nydegger.
Reconstituant somptueusement le décorum kitsch du concours de l'Eurovision ayant à jamais impressionné ses premières émotions artistiques, le performer semble jubiler en détournant "sérieusement" le répertoire d'origine pour proposer un récital de onze chansons dont l'écriture a été confiée par ses soins à des philosophes, sociologues et autres chercheurs sachant penser le monde. L'interprétation de ces textes métaphoriques revient à des artistes costumés de manière délirante, projetés en direct par un vidéaste décuplant leur truculente présence scénique sur les notes d'un orchestre en live.

Quant au Jury réuni sur une singulière estrade roulante dénotant avec sa "notabilité", il est composé d'éminents professeurs d'université et sommités intellectuelles se prêtant avec grâce et bonheur au jeu de leur interprétation avant d'attribuer leur note. Le public - le genre l'impose - est sollicité en permanence afin de faire entendre également "sa voix" captée par un "votaton" chargé d'enregistrer le volume d'applaudissements attribué à chaque candidat.

© Laure Ceillier et Pierre Nydegger.
© Laure Ceillier et Pierre Nydegger.
Ainsi, ce marathon chanté et chorégraphié aborde-t-il - en toute simplicité (!) - les questions de la déshumanisation de la pensée, de l'errance de l'être et du non-être dans la quête amoureuse, des peuples arctiques pensant le monde comme un tout indivisible, du paradoxe mathématique de la flèche questionnant l'approche sensible de la connaissance, de nos fragilités à opposer aux dogmes fascistes du surhomme, des lucioles à voir briller dans le noir pour garder un peu d'espoir, du miroir sans tain tendu aux nostalgiques de l'ordre nouveau, de la ballade des voix oubliées, ou encore celle du "goût de l'autre" dans l'anthropophagie primitive supplantée par l'actuelle dévoration mondialiste…

Pour faire entendre cette pensée complexe mise en musique pop, les interprètes rivalisent d'originalités plastiques propres à rendre sensible l'approche des messages délivrés spectaculairement. Ainsi apparaissent-ils successivement parés d'une fourrure intégrale de loup, d'écorces d'arbre feuillu, de robe d'époque extravagante, de masques et peaux de bêtes d'anthropophages hilares, de tenues immaculées tachées de sang, d'un costume de Robocop, d'une tunique de statue grecque au visage marmoréen… Autant d'apparitions fabuleuses frappant l'imaginaire pour ouvrir grand les portes du monde des idées.

© Laure Ceillier et Pierre Nydegger.
© Laure Ceillier et Pierre Nydegger.
Ainsi, tambour battant et réflexion cheminant, la soirée festive bat-elle son plein dans une atmosphère de liesse populaire. Après chaque passage "à l'antenne" des artistes faisant leur show, les membres du jury juchés imperturbablement sur leur papamobile sont invités à délivrer à chaud ce que leur inspirent les mots chantés. Alors, sans jamais rien rabattre de leur expertise savante, ils se livrent eux aussi à une performance grand art.

Avec humour et profondeur, ce "Concours européen de la chanson philosophique", vécu comme une parenthèse enchantée, fait la nique au désenchantement du monde. Il est à prendre comme un salutaire retour aux sources renouant avec les émotions partagées des concours de l'Eurovision… tout en donnant à chacun l'impression, "l'air de rien", de devenir subitement plus intelligent au contact de ces chansons à textes décryptées par des intellectuels affables, passeurs de messages universels. "Penser c'est être ensemble pour faire Monde, une société qui ne pense pas est une société malade…" (Massimo Furlan dans le texte).

Trois heures durant, les langues et les genres se mêlent portés par une vitalité artistique faisant écho au vœu d'une Europe utopique et joyeuse, unifiée autour de valeurs où seuls les mots exclusion et exploitation seraient frappés d'obsolescence programmée. Le public s'abandonnant au plaisir populaire du show chanté ne s'y est d'ailleurs pas trompé : séduit d'emblée par le rite festif, il a applaudi à tout rompre les sous-textes délivrés.

"Concours européen de la chanson philosophique"

© Laure Ceillier et Pierre Nydegger.
© Laure Ceillier et Pierre Nydegger.
Dans le cadre du Festival des Arts de Bordeaux.
Concept, mise en scène et scénographie : Massimo Furlan.
Concept et dramaturgie : Claire de Ribaupierre.
Assistante : Nina Negri.
Textes des chansons : Leon Engler (Allemagne), Jean Paul Van Bendegem (Belgique flamande), Vinciane Despret (Belgique wallonne), Santiago Alba Rico (Espagne), Philippe Artières (France), Michela Marzano (Italie), Kristupas Sabolius (Lituanie), Ande Somby (Norvège), José Bragança de Miranda (Portugal), Mladen Dolar (Slovénie), Mondher Kilani (Suisse).
Avec : Massimo Furlan, Nina Negri (co-présentatrice).
Et les étudiants(es) et les enseignants de l'HEMU (Haute École de Musique Vaud Valais Fribourg) : Davide De Vita, Dylan Monnard (chant, en alternance) Dominique Hunziker, Lynn Maring (chant, en alternance) Mathieu Nuzzo, François Cuennet (claviers, en alternance) Arno Cuendet, Martin Burger (guitare, en alternance) Jocelin Lipp, Mimmo Pisino (basse, en alternance), Hugo Dordor, Steve Grant (batterie, en alternance).
Et la participation d'un jury différent de 4 penseurs(es) chaque soir.
Composition musique : Monika Ballwein (direction), Maïc Anthoine, Gwénolé Buord, Arno Cuendet, Davide De Vita, Lynn Maring, Bart Plugers, Karin Sever.
Direction musicale : Steve Grant, Mimmo Pisino.
Coordination et supervision musicale : Laurence Desarzens, Thomas Dobler, HEMU (Haute École de Musique Vaud Valais Fribourg).
Coach mouvement : Anne Delahaye.
Lumière et scénographie : Antoine Friderici.
Création vidéo : Jérôme Vernez.
Costumes : Séverine Besson.
Maquillages et perruques : Julie Monot.
Technique et construction du décor : Théâtre Vidy-Lausanne.
Durée : 2 h 15.

Le FAB se déroule du 4 au 20 octobre 2019.
>> fab.festivalbordeaux.com

A eu lieu les 8 et 9 octobre au Carré-Colonnes, Saint-Médard-en-Jalles (33).

© Laure Ceillier et Pierre Nydegger.
© Laure Ceillier et Pierre Nydegger.
Tournée 2019/2020
1er et 2 novembre 2019 : Avant Garden, Trondheim (Norvège).
23 et 24 novembre 2019 : Festival de Otoño a Primavera, Madrid (Espagne).
23 et 24 janvier 2020 : Équilibre - Nuithonie, Villars-sur-Glâne (Suisse).
28 au 31 janvier : Les 2 Scènes - Scène nationale, Besançon (26).
6 et 7 février 2020 : Theatre Lliure, Barcelone (Espagne).
13 et 14 février 2020 : NT Gent, Gand (Belgique).
22 et 23 février 2020 : Emilia Romagna Teatro Fondazione - Teatro Stabile Pubblico Regionale, Modène (Italie).
27 au 29 février 2020 : MC93 Maison de la culture de la Seine-Saint-Denis, Bobigny (93).
6 et 7 mars 2020 : Théâtre Les Halles, Sierre (Suisse).
19 et 20 mars 2020 : Scène Nationale du Sud-Aquitain, Bayonne (64).

Yves Kafka
Mardi 15 Octobre 2019

Nouveau commentaire :

Théâtre | Danse | Concerts & Lyrique | À l'affiche | À l'affiche bis | Cirque & Rue | Humour | Festivals | Pitchouns | Paroles & Musique | Avignon 2017 | Avignon 2018 | Avignon 2019 | CédéDévédé | Trib'Une | RV du Jour | Pièce du boucher | Coulisses & Cie | Coin de l’œil | Archives | Avignon 2021 | Avignon 2022 | Avignon 2023 | Avignon 2024 | À l'affiche ter




Numéros Papier

Anciens Numéros de La Revue du Spectacle (10)

Vente des numéros "Collectors" de La Revue du Spectacle.
10 euros l'exemplaire, frais de port compris.






À Découvrir

•Off 2024• "Mon Petit Grand Frère" Récit salvateur d'un enfant traumatisé au bénéfice du devenir apaisé de l'adulte qu'il est devenu

Comment dire l'indicible, comment formuler les vagues souvenirs, les incertaines sensations qui furent captés, partiellement mémorisés à la petite enfance. Accoucher de cette résurgence voilée, diffuse, d'un drame familial ayant eu lieu à l'âge de deux ans est le parcours théâtral, étonnamment réussie, que nous offre Miguel-Ange Sarmiento avec "Mon petit grand frère". Ce qui aurait pu paraître une psychanalyse impudique devient alors une parole salvatrice porteuse d'un écho libératoire pour nos propres histoires douloureuses.

© Ève Pinel.
9 mars 1971, un petit bonhomme, dans les premiers pas de sa vie, goûte aux derniers instants du ravissement juvénile de voir sa maman souriante, heureuse. Mais, dans peu de temps, la fenêtre du bonheur va se refermer. Le drame n'est pas loin et le bonheur fait ses valises. À ce moment-là, personne ne le sait encore, mais les affres du destin se sont mis en marche, et plus rien ne sera comme avant.

En préambule du malheur à venir, le texte, traversant en permanence le pont entre narration réaliste et phrasé poétique, nous conduit à la découverte du quotidien plein de joie et de tendresse du pitchoun qu'est Miguel-Ange. Jeux d'enfants faits de marelle, de dinette, de billes, et de couchers sur la musique de Nounours et de "bonne nuit les petits". L'enfant est affectueux. "Je suis un garçon raisonnable. Je fais attention à ma maman. Je suis un bon garçon." Le bonheur est simple, mais joyeux et empli de tendresse.

Puis, entre dans la narration la disparition du grand frère de trois ans son aîné. La mort n'ayant, on le sait, aucune morale et aucun scrupule à commettre ses actes, antinaturelles lorsqu'il s'agit d'ôter la vie à un bambin. L'accident est acté et deux gamins dans le bassin sont décédés, ceux-ci n'ayant pu être ramenés à la vie. Là, se révèle l'avant et l'après. Le bonheur s'est enfui et rien ne sera plus comme avant.

Gil Chauveau
14/06/2024
Spectacle à la Une

•Off 2024• Lou Casa "Barbara & Brel" À nouveau un souffle singulier et virtuose passe sur l'œuvre de Barbara et de Brel

Ils sont peu nombreux ceux qui ont une réelle vision d'interprétation d'œuvres d'artistes "monuments" tels Brel, Barbara, Brassens, Piaf et bien d'autres. Lou Casa fait partie de ces rares virtuoses qui arrivent à imprimer leur signature sans effacer le filigrane du monstre sacré interprété. Après une relecture lumineuse en 2016 de quelques chansons de Barbara, voici le profond et solaire "Barbara & Brel".

© Betül Balkan.
Comme dans son précédent opus "À ce jour" (consacré à Barbara), Marc Casa est habité par ses choix, donnant un souffle original et unique à chaque titre choisi. Évitant musicalement l'écueil des orchestrations "datées" en optant systématiquement pour des sonorités contemporaines, chaque chanson est synonyme d'une grande richesse et variété instrumentales. Le timbre de la voix est prenant et fait montre à chaque fois d'une émouvante et artistique sincérité.

On retrouve dans cet album une réelle intensité pour chaque interprétation, une profondeur dans la tessiture, dans les tonalités exprimées dont on sent qu'elles puisent tant dans l'âme créatrice des illustres auteurs que dans les recoins intimes, les chemins de vie personnelle de Marc Casa, pour y mettre, dans une manière discrète et maîtrisée, emplie de sincérité, un peu de sa propre histoire.

"Nous mettons en écho des chansons de Barbara et Brel qui ont abordé les mêmes thèmes mais de manières différentes. L'idée est juste d'utiliser leur matière, leur art, tout en gardant une distance, en s'affranchissant de ce qu'ils sont, de ce qu'ils représentent aujourd'hui dans la culture populaire, dans la culture en général… qui est énorme !"

Gil Chauveau
19/06/2024
Spectacle à la Une

•Off 2024• "Un Chapeau de paille d'Italie" Une version singulière et explosive interrogeant nos libertés individuelles…

… face aux normalisations sociétales et idéologiques

Si l'art de générer des productions enthousiastes et inventives est incontestablement dans l'ADN de la compagnie L'Éternel Été, l'engagement citoyen fait aussi partie de la démarche créative de ses membres. La présente proposition ne déroge pas à la règle. Ainsi, Emmanuel Besnault et Benoît Gruel nous offrent une version décoiffante, vive, presque juvénile, mais diablement ancrée dans les problématiques actuelles, du "Chapeau de paille d'Italie"… pièce d'Eugène Labiche, véritable référence du vaudeville.

© Philippe Hanula.
L'argument, simple, n'en reste pas moins source de quiproquos, de riantes ficelles propres à la comédie et d'une bonne dose de situations grotesques, burlesques, voire absurdes. À l'aube d'un mariage des plus prometteurs avec la très florale Hélène – née sans doute dans les roses… ornant les pépinières parentales –, le fringant Fadinard se lance dans une quête effrénée pour récupérer un chapeau de paille d'Italie… Pour remplacer celui croqué – en guise de petit-déj ! – par un membre de la gent équestre, moteur exclusif de son hippomobile, ci-devant fiacre. À noter que le chapeau alimentaire appartenait à une belle – porteuse d'une alliance – en rendez-vous coupable avec un soldat, sans doute Apollon à ses heures perdues.

N'ayant pas vocation à pérenniser toute forme d'adaptation académique, nos deux metteurs en scène vont imaginer que cette histoire absurde est un songe, le songe d'une nuit… niché au creux du voyage ensommeillé de l'aimable Fadinard. Accrochez-vous à votre oreiller ! La pièce la plus célèbre de Labiche se transforme en une nouvelle comédie explosive, électro-onirique ! Comme un rêve habité de nounours dans un sommeil moelleux peuplé d'êtres extravagants en doudounes orange.

Gil Chauveau
26/03/2024