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Théâtre

Entre surcharge et sobriété, les Francos balancent

Les Francophonies en Limousin, Limoges, Haute-Vienne

Écriture simple, brutale, ou récit labyrinthique ? Pour dire la violence, la littérature francophone oscille entre ces deux pôles. Parfait observatoire de l'évolution des thèmes et du langage de la dramaturge africaine, les Francophonies en Limousin soulèvent chaque année leur lot de questions. En cette 28e édition, la pièce-phare de Dieudonné Niangouna, "Le Socle des vertiges", pose avec force la question du bien-fondé de la complexité, voire de l'opacité, dans le théâtre africain. Une autre création, "Les Larmes du ciel d'août" d'après Aristide Tamagda, au style abrupt, vient alimenter la réflexion. Au final ressort une impression mitigée, faite d'autant de fulgurances que d'ennui.



Nul doute, le théâtre du continent africain est traversé par la modernité, et ce depuis deux bonnes décennies. "Le socle des vertiges" et "Les Larmes du ciel d'août" en témoignent, par la différence de leurs styles littéraires, de leurs mises en scène et scénographies. Pourtant, commencer par observer les divergences, les points de rupture entre les deux pièces n'est pas la meilleure stratégie à adopter. Car si les formes divergent, le fond, quant à lui, présente une certaine constante. Pas au niveau de l'intrigue, bien sûr, mais de la violence qui, semble-t-il, n'a jamais vraiment cessé de hanter ce théâtre depuis son émergence.

Un éventail de violences

"Les Larmes du ciel d'août" © Patrick Fabre/28e Francophonies en Limousin.
"Les Larmes du ciel d'août" © Patrick Fabre/28e Francophonies en Limousin.
"Le Socle des vertiges" dessine deux histoires individuelles, celle de Fido et Roger, deux frères du "quartier des Crâneurs" à Brazzaville tourmentés par les mêmes problèmes : une femme, Diane, et une quête identitaire sans fin. Comme très souvent chez le Congolais Dieudonné Niangouna, les personnages se fondent dans le contexte environnant, jusqu'à perdre tout contour, toute personnalité fixe. L'arrivée de la démocratie, dans les années quatre-vingt-dix, entraîne les visages dans un violent tourbillon. Pour trouver le calme qui, en principe, succède à la tempête, une seule solution : partir à la recherche du passé, tenter d'en démêler les fils qui tissent le présent.

C'est ce que s'attachent à faire les deux protagonistes, afin de comprendre le drame qui les a anéantis et qui, au bout d'un long récit fragmenté, nous est révélé. "Aujourd'hui, de retour, et mon père, et Diane, et le bébé, je ne sais pas... Le bébé, Diane, et mon père, les trois, comme un tas, couchés, morts, à mes pieds, les corps emmêlés et les bras enlacés, le père, la belle-fille, et le petit-fils...". Si la langue de Niangouna, riche en néologismes et slamée plutôt que parlée, renouvelle la fréquente narration des heurts de l'Histoire africaine, on ne s'éloigne guère de l'incessant ressassement propre au théâtre africain depuis ses origines.

La pièce "Les Larmes du ciel d'août", elle, n'a plus grand chose de commun avec cette violence-là. Quoique, à travers une histoire empruntée au quotidien, le passé troublé du Burkina Faso puisse être distingué. Une métaphore, en somme, du pays d'Aristide Tarnagda, susceptible de faire sens n'importe où. Car c'est un rapport humain qui est mis en scène : l'affrontement entre deux femmes opposées par leur niveau social et leur éducation, mais rassemblées par la maternité. La plus aisée tend la main à l'autre, enceinte et abandonnée par son compagnon. Dépouillé à l'extrême, le texte renforce l'universalité de la pièce.

L'excès : source de fulgurances et d'ennui

"Socle des vertiges" © Patrick Fabre/28e Francophonies en Limousin.
"Socle des vertiges" © Patrick Fabre/28e Francophonies en Limousin.
Qu'il parte en un flux dense ou qu'il s'égrène mot à mot, le langage est une des sources majeures de la violence. Celui du "Socle des vertiges", truffé de références historiques pointues et de termes obscurs, exige du spectateur une attention soutenue, ce qui au bout de 2 h 30 frôle l'insupportable. Par bonheur, l'alternance de passages alambiqués et de monologues rustres, souvent grossiers, permet de rester alerte assez longtemps. Mais pas assez, hélas, pour échapper à l'ennui. Sans doute l'auteur et metteur en scène Dieudonné Niangouna fait-il un tour de trop dans le manège qui nous balance sans cesse entre perplexité et éclairs de compréhension. Une erreur d'autant plus dommageable que la mise en scène pêche au même endroit. Si bien que l'esthétique de l'excès mise en œuvre dès l'ouverture laisse place à un excès gonflé au point de ne laisser à l'esthétique qu'une place mineure.

Tout avait pourtant bien commencé, grâce à un subtil décalage entre le récit et l'action scénique. Alors que les protagonistes et le contexte sont exposés, se déroule une scène silencieuse de fabrique. L'air pressé, sans doute pour que l'histoire puisse enfin débuter. Tout au long de la représentation perdure un certain onirisme, mais l'espace qui, au départ, séparait le texte de la scène se réduit. Ce jusqu'à ce que l'un devienne pure illustration de l'autre. Des hommes qui courent sur place, frénétiques, des vidéos d'animaux dépecés ou encore des rumbas congolaises détraquées... Trop explicites, ces éléments surchargent l'ensemble.

"Socle des vertiges" © Patrick Fabre/28e Francophonies en Limousin.
"Socle des vertiges" © Patrick Fabre/28e Francophonies en Limousin.
Certains instants, pourtant, échappent à la cacophonie. Quelques brillants monologues ou ingénieuses trouvailles scénographiques, les plus sobres. "Les Larmes du ciel d'août" viennent cependant nous mettre en garde : la simplicité ne doit pas être un idéal, seul son bon dosage importe. Tenu par deux actrices, Ados Ndombasi et Maguy, un monologue redondant s'adresse à une femme invisible. Pour lui demander de partir au début, puis pour lui livrer son histoire. Le tout sur une scène nue, baignée d'une lumière diffuse. Contrairement au jeu des six acteurs du "Socle des vertiges" qui souffre parfois d'inexactitude, celui des comédiennes des "Larmes" est tout à fait juste. Ce qui n'épargne pas aux spectateurs de rester sur leur faim, tant la teneur de la pièce est maigre.

Au final, on constate une absence de nuances dans ces deux spectacles, par ailleurs non dénués de qualités. Un reste, probablement, de la revendication identitaire à l'origine des dramaturgies africaines. L'évident travail esthétique sensible lors de cette édition des Francophonies en Limousin est pourtant encourageant : peut-être ne faudra-t-il pas grand chose pour atteindre les fulgurances et éviter l'ennui.

Tournée de "Les Larmes du ciel d'août" :
>> Mardi 11 et mercredi 12 octobre 2011 à la Criée à Marseille, dans le cadre du festival actOral11.
>> Du mercredi 9 novembre au dimanche 4 décembre 2011 au Théâtre Nanterre Amandiers.
>> Mercredi 4, jeudi 5 et vendredi 6 avril 2012 au Théâtre de Saint-Quentin-en-Yvelines.
>> Mercredi 11, jeudi 12 et vendredi 13 avril 2012 à la Comédie de Reims.

>> www.lesfrancophonies.com

Anaïs Heluin
Mercredi 5 Octobre 2011

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