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Théâtre

D'un siècle à l'autre, d'une grève à l'autre, comme un éternel recommencement de la lutte des plus faibles contre les nantis : "Lefty !"

"Lefty !" nous plonge directement dans les années trente. Les suites de la crise de 1929 sont là. Roosevelt vient d'être élu, il annonce le New Deal qui va relancer l'économie américaine mise à terre. En attendant, beaucoup de secteurs d'activité souffrent et plus particulièrement les classes sociales basses : ouvriers, dockers, chauffeurs, tout le prolétariat subit les effets de cette récession gigantesque.



© Claude Clorennec.
© Claude Clorennec.
Après Minneapolis, Détroit, Memphis, les grandes villes américaines sont secouées par des grèves des corporations ouvrières. À New-York, ce sont les chauffeurs de taxis qui peinent à gagner de quoi vivre. C'est dans ce contexte de grogne sociale que la pièce débute. Sur scène, une réunion syndicale se met en place. On y attend deux intervenants, on est prêt à décider de la grève, de relever la tête.

Ébullition des cœurs et des langues. Les échanges fusent sur scène. Chacun des personnages porte avec lui sa souffrance, ses fins de mois agonisantes, son ventre vide et sa colère. C'est ainsi que l'adaptation de la pièce originale, inspirée par des faits réels, "Waiting for Lefty", faite par Natascha Rudolf, nous plonge directement au cœur du conflit social d'il y a un siècle, de l'autre côté de l'Atlantique. Habits de l'époque, phrasé de l'époque, on parle dollars et cents, Bronx et surtout syndicat, car toutes les grosses corporations américaines obligent l'adhésion de tous leurs membres. On connaît leurs puissances.

© Claude Clorennec.
© Claude Clorennec.
C'est une révolte dans la résistance qui se joue. Une révolte qui s'affranchit de la direction du syndicat, menée par un leader nommé Lefty. Révolte contre la précarité du métier et révolte contre la direction du syndicat qui ne veut pas d'une grève. Pour illustrer cette misère, le texte de Natascha Rudolf alterne les épisodes de débats enflammés et de témoignages de cette misère sociale qui dévaste les familles populaires jusqu'à pousser leurs enfants dans la malnutrition, la maladie, jusqu'à les jeter à la rue faute de pouvoir régler leurs loyers. Pendant ce temps, on attend Lefty pour qu'il s'oppose au patron du syndicat corrompu.

Mais la belle idée de ce spectacle vient de sa mise en perspective temporelle, avec la volonté de mettre en jeu tous les révoltés de notre histoire. D'un côté, Prométhée, qui a trop aimé les humains, se rebelle contre Zeus en lui volant le feu qu'il offre à l'humanité, quitte à subir sa vengeance infernale. D'un autre côté, soudain, l'irruption du présent dans cette réunion syndicale d'hier donnant le frisson autant aux personnages du plateau qu'aux spectateurs.

© Pascal Carcanade.
© Pascal Carcanade.
Le dialogue alors s'élargit considérablement et les mains et les espoirs se tendent par-delà les générations entre les luttes contre la pauvreté et les combats pour le partage des valeurs créées.

Natascha Rudolf fait ainsi intervenir, au fil des représentations, des personnalités réelles qu'elle nomme des témoins de la société civile. Trois personnalités entrent ainsi dans chaque spectacle, porteuses de leurs luttes particulières et de leurs personnalités propres, jouant alors leurs propres rôles, et l'on assiste comme au télescopage de la fiction avec le réel. Et cela fonctionne à merveille.

Au conflit des chauffeurs de taxis des années trente s'ajoute celui des chauffeurs Uber avec le surgissement de celui qui créa, il y a peu, le premier syndicat des chauffeurs de VTC, puis celui des personnels hospitaliers et ainsi de suite. Jusqu'à ce que se dévoile cette chaîne de solidarité depuis Prométhée jusqu'à nos jours entre ceux qui réussissent, à leurs propres périls, à fendre plus juste la société et le travail.

© Claude Clorennec.
© Claude Clorennec.
Un spectacle militant, intelligent, qui rend hommage aux combats sociaux et apporte un souffle énergique et sensible à tous ceux qui ont envie que la société se bonifie et rende justice à tous.

Pourtant, jusqu'au bout il faudra attendre Lefty, comme plus tard d'autres va-nu-pieds attendront longtemps Godot. Ce qui n'empêche pas de vivre.
◙ Bruno Fougniès

A été représenté au Théâtre Berthelot, Montreuil, les vendredi 4 et samedi 5 octobre 2024.

"Lefty !"

© Claude Clorennec.
© Claude Clorennec.
Traduction, enquête, écriture : Natascha Rudolf.
Mise en scène : Natascha Rudolf.
Collaboration artistique : Laurent Cibien.
Avec (7 à 8 comédiennes et coédiens en alternance) : Axel Belin, Daniel Blanchard, Benjamin Candotti-Besson, Laurent Cibien, Benoit Hamelin, Diana Hardes, Jean-François Perrier, Natascha Rudolf et Camille Thomas
Témoins de la société civile (3 à 5 en alternance) : Marina Alexandre-Audaire, Brahim Ben Ali, Thomas Gille, Myriam Hormi, Malika Janjar, Rachid Laddi, Malo Leyrat, Maryse Salou.
Scénographie : Michel Jacquelin.
Lumière et son : Léandre Garcia Lamolla et Mikaël Kandelman.
Par la Cie Ligne 9 Théâtre.
Durée : 1 h 30.
À partir de 12 ans.

Tournée
4 et 5 décembre 2024 :Théâtre des Îlets - CDN, Montluçon (03).
11 au 15 décembre 2024 : MC93 - Maison de la Culture de Seine-Saint-Denis, Bobigny (93).
30 et 31 janvier 2025 : Centre Culturel Robert Desnos - Scène Nationale de l'Essonne, Ris-Orangis (91).

Bruno Fougniès
Mardi 15 Octobre 2024

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"Différente" Carolina ou "Cada uno es un mundo (Chacun est un monde)"

Star internationale à la frange rouge, Carolina est de retour en France, après sa tournée mondiale. Heureuse de retrouver son public préféré, elle interprète en live des chansons populaires qui touchent le cœur de toutes les générations.

© Audrey Bären.
Mais qui est donc cette incontournable Carolina ? Ou, plus exactement, qui se cache derrière cette artiste plutôt extravagante, à la folie douce ? De qui est-elle l'extension, au juste ?

L'éternelle question autour de l'acte créatif nous interpelle souvent, et nous amène à nous demander quelles influences l'homme ou la femme ont-ils sur leurs "créatures" fabriquées de toutes pièces ! Quelles inspirations les ont portées ! Autant de questions qui peuvent nous traverser particulièrement l'esprit si tant est que l'on connaisse un peu l'histoire de Miguel-Ange Sarmiento !

Parce que ce n'est pas la première fois que Carolina monte sur scène… Décidément, elle en a des choses à nous dire, à chaque fois. Elle est intarissable. Ce n'est pas Rémi Cotta qui dira le contraire, lui qui l'accompagne depuis déjà dix ans et tire sur les ficelles bien huilées de sa vie bien remplie.

Rémi Cotta, artiste plasticien, graphiste, comédien, chanteur lyrique, ou encore metteur en scène, sait jouer de ses multiples talents artistiques pour confier une parole virevoltante à notre Carolina. Il suffit de se souvenir du très original "Carolina Show", en 2010, première émission de télé sans caméra ayant reçu de nombreux artistes connus ou moins connus ou le "Happy Show de Carolina", ainsi que les spectacles musicaux "Carolina, naissance d'une étoile", "Le Cabaret de Carolina", ou encore " Carolina, L'Intelligence Artificielle".

"Différente" est en réalité la maturation de plusieurs années de cabarets et de spectacles où Carolina chante pourquoi et comment elle est devenue une star internationale tout en traversant sa vie avec sa différence". Miguel-Ange Sarmiento.

Brigitte Corrigou
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"Jacques et Chirac" Un "Magouille blues"* décapant et burlesque n'occultant pas le mythe du président sympa et séducteur

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Portraitiste décalé et impertinent d'une Histoire de France ou de l'Humanité aux galbes pas toujours gracieux dont surgissent parfois les affres de notre condition humaine, Régis Vlachos, "Cabaret Louise" (Louise Michel), "Dieu est mort" (Dieu, mieux vaut en rire)"Little Boy" (nom de la bombe larguée sur Hiroshima), revient avec un nouveau spectacle (création 2023) inspiré d'un des plus grands scandales de notre histoire contemporaine : la Françafrique. Et qui d'autre que Jacques Chirac – l'homme qui faisait la bise aux dictateurs – pouvait être convoqué au "tribunal" du rire et de la fantaisie par l'auteur facétieux, mais doté d'une conscience politique aiguë, qu'est Régis Vlachos.

Le président disparu en 2019 fut un homme complexe composé du Chirac "bulldozer" en politique, menteur, magouilleur, et du Jacques, individu affable, charmeur, mettant autant la main au cul des vaches que des femmes. Celui-ci fut d'abord attiré le communisme pour ses idéaux pacifistes. Il vendra même L'Humanité-dimanche devant l'église Saint-Sulpice.

La diversité des personnalités importantes qui marquèrent le début de son chemin politique joue tout autant la complexité : Michel Rocard, André Malraux et, bien sûr, Georges Pompidou comme modèle, Marie-France Garaud, Pierre Juillet… et Dassault comme portefeuille ! Le tout agrémenté de nombre de symboles forts et de cafouillages désastreux : le bruit et l'odeur, la pomme, le cul des vaches, les vacances à l'île Maurice, les amitiés avec les despotes infréquentables, l'affaire ELF, etc.

Gil Chauveau
03/11/2024