La Revue du Spectacle, le magazine des arts de la scène et du spectacle vivant. Infos théâtre, chanson, café-théâtre, cirque, arts de la rue, agenda, CD, etc.



Augmenter la taille du texte
Diminuer la taille du texte
Partager
Théâtre

"Bananas (and kings)" Histoire d'une entreprise capable de mettre à genoux un pays, voire un continent

"Bananas (and kings)" raconte, avec verve et force, plus d'un siècle de l'expansion de la plus grande entreprise bananière mondiale. De 1899 à nos jours, cette société née un peu par aventure a réussi à infester la quasi-totalité des gouvernements d'Amérique centrale, devenant par sa puissance économique et son influence un pouvoir occulte capable de soudoyer n'importe quel dirigeant de ces jeunes nations. Une traversée du siècle et de l'inhumanité économique qui fait froid dans le dos.



© Pascal Gely.
© Pascal Gely.
C'est le deuxième volet d'une série commencée par le précédent spectacle de Julie Timmerman . Le premier opus, "Un démocrate", racontait la vie méconnue d'Edward Bernays, inventeur du concept de "Public Relation" et développeur de la manipulation des masses (précurseur de ce que plus tard, on appellera : La Propagande). Titre ironique pour un manipulateur d'opinion sans scrupules.

Dans "Bananas", Julie Timmerman met cette fois en scène un des clients de cet Edward Bernays : la United Fruit Company devenue dans les années quatre-vingt la Chiquita Brands International, compagnie américaine dont l'un des sièges sociaux se situe dans une petite ville suisse. Pourquoi s'intéresser à cette société bananière ? Peut-être parce que l'un de ses surnoms est "La Pieuvre" ? Peut-être parce que sa puissance a été telle qu'elle a pu aller jusqu'à organiser en 1954 la chute d'un gouvernement socialiste au Guatemala, gouvernement qui allait contre les intérêts de la firme.

Pourtant, cet épisode n'est qu'un parmi d'autres racontés dans ce spectacle qui a l'intelligence de s'intéresser aux faits historiques qu'au travers de personnages réels et leurs histoires personnelles. "Bananas" donne la parole aussi bien aux dirigeants cyniques de la firme qu'aux dirigeants politiques des pays d'Amérique centrale, qu'aux victimes de ces puissants : les Indiens, les employés, les paysans expropriés de force, menacés, étranglés par la pieuvre.

© Pascal Gely.
© Pascal Gely.
Julie Timmerman a mis en scène son propre texte sous la forme, nous dit-elle, d'Opéra bouffe brechtien. Un dispositif scénique simple et efficace, fait principalement d'un rideau de plastique noir, coupe le plateau en deux espaces et permet des changements rapides et des projections. Car l'histoire est longue, les protagonistes nombreux, les épisodes par dizaines : c'est sur un rythme haletant que les quatre interprètes jouent. Un accessoire, un vêtement, un maquillage ou un jeu de lumière suffit à les faire passer d'un personnage à l'autre. Ils endossent à eux quatre, avec une belle maestria, des dizaines de rôles.

Tout en restant dans du théâtre documentaire (avec une écriture précise du texte qui nous emmène avec clarté tout au long du dédale de l'histoire), la mise en scène de Julie Timmerman donne la distance de la théâtralité à la représentation. Parfois avec des effets un peu trop poussés qui risquent de faire glisser certains personnages dans la caricature (je pense aux personnages de militaires sud-américains et surtout aux maquillages bouffons des dirigeants de la "company" qui affadissent à mon sens la dangerosité de ces gens-là). C'est le seul reproche que je peux faire à ce spectacle tonique, sensible et instructif.

Instructif aussi pour comprendre que le pouvoir de l'argent et de la puissance économique peut balayer les droits des citoyens, les libertés, les vies. Alors que le nombre de multimilliardaire ne fait que croître, "Bananas" agit comme un signal d'alarme, une sonnette certes, un grelot dans l'immensité bruyante des médias, mais qu'il est bon d'agiter pour réveiller la vision consciente du monde qui nous entoure et des dangers qui le menacent.

À noter aussi, avec bonheur, qu'une foultitude de personnages masculins sont magnifiquement interprétés par les deux comédiennes : Julie Timmerman et Anne Cressent. Ce qui prouve bien que comédien ou comédienne, seuls le rôle et l'interprétation comptent.

"Bananas (and kings)"

© Pascal Gely.
© Pascal Gely.
Texte et mise en scène : Julie Timmerman.
Dramaturgie : Pauline Thimonnier.
Collaboration artistique : Benjamin Laurent.
Avec : Anne Cressent, Mathieu Desfemmes, Jean-Baptiste Verquin, Julie Timmerman.
Scénographie : Charlotte Villermet.
Construction : Jean-Paul Dewyn.
Lumières : Philippe Sazerat
Costumes : Dominique Rocher.
Musique : Benjamin Lauren.
Son : Michel Hea.
Vidéo : Jean-Baptiste Pigneur.
Durée : 2 h.
Production Idiomécanic Théâtre.

Du 9 septembre au 1er novembre 2020.
Du mercredi au samedi à 21 h, dimanche à 16 h.
Théâtre de la Reine Blanche, Paris 18e, 01 40 05 06 96.
>> reineblanche.com

Tournée 2020/2021

© Pascal Gely.
© Pascal Gely.
3 et 4 novembre 2020 : Théâtre André Malraux (sous réserve pour le 4), Rueil-Malmaison (92).
13 novembre 2020 : Dans le cadre des Théâtrales Charles Dullin, Centre culturel Aragon-Triolet, Orly (94).
20 novembre 2020 : Dans le cadre des Théâtrales Charles Dullin, Grange dîmière, Fresnes (94).
11 décembre 2020 : Dans le cadre des Théâtrales Charles Dullin, Espace culturel André Malraux, Kremlin-Bicêtre (94).
5 février 2021 : Théâtre des 2 Rives - Charenton-le-Pont (94).
11 février 2021 : Théâtre de Cambrai (59).
5 mars 2021 : L'Entre-Deux/Scène de Lésigny, Lésigny (77).
19 mars 2021 : Espace culturel Boris Vian, Les Ulis (91).
13 avril 2021 : Espace culturel Baschet, Saint-Michel-sur-Orge (91).
20 avril 2021 : Théâtre Gérard Philipe, Orléans-La Source (45).
27 mai 2021 : Théâtre du Bordeau, Saint-Genis-Pouilly (42).

Bruno Fougniès
Mardi 15 Septembre 2020

Nouveau commentaire :

Théâtre | Danse | Concerts & Lyrique | À l'affiche | À l'affiche bis | Cirque & Rue | Humour | Festivals | Pitchouns | Paroles & Musique | Avignon 2017 | Avignon 2018 | Avignon 2019 | CédéDévédé | Trib'Une | RV du Jour | Pièce du boucher | Coulisses & Cie | Coin de l’œil | Archives | Avignon 2021 | Avignon 2022 | Avignon 2023 | Avignon 2024 | À l'affiche ter




Numéros Papier

Anciens Numéros de La Revue du Spectacle (10)

Vente des numéros "Collectors" de La Revue du Spectacle.
10 euros l'exemplaire, frais de port compris.






À Découvrir

•Off 2024• "Mon Petit Grand Frère" Récit salvateur d'un enfant traumatisé au bénéfice du devenir apaisé de l'adulte qu'il est devenu

Comment dire l'indicible, comment formuler les vagues souvenirs, les incertaines sensations qui furent captés, partiellement mémorisés à la petite enfance. Accoucher de cette résurgence voilée, diffuse, d'un drame familial ayant eu lieu à l'âge de deux ans est le parcours théâtral, étonnamment réussie, que nous offre Miguel-Ange Sarmiento avec "Mon petit grand frère". Ce qui aurait pu paraître une psychanalyse impudique devient alors une parole salvatrice porteuse d'un écho libératoire pour nos propres histoires douloureuses.

© Ève Pinel.
9 mars 1971, un petit bonhomme, dans les premiers pas de sa vie, goûte aux derniers instants du ravissement juvénile de voir sa maman souriante, heureuse. Mais, dans peu de temps, la fenêtre du bonheur va se refermer. Le drame n'est pas loin et le bonheur fait ses valises. À ce moment-là, personne ne le sait encore, mais les affres du destin se sont mis en marche, et plus rien ne sera comme avant.

En préambule du malheur à venir, le texte, traversant en permanence le pont entre narration réaliste et phrasé poétique, nous conduit à la découverte du quotidien plein de joie et de tendresse du pitchoun qu'est Miguel-Ange. Jeux d'enfants faits de marelle, de dinette, de billes, et de couchers sur la musique de Nounours et de "bonne nuit les petits". L'enfant est affectueux. "Je suis un garçon raisonnable. Je fais attention à ma maman. Je suis un bon garçon." Le bonheur est simple, mais joyeux et empli de tendresse.

Puis, entre dans la narration la disparition du grand frère de trois ans son aîné. La mort n'ayant, on le sait, aucune morale et aucun scrupule à commettre ses actes, antinaturelles lorsqu'il s'agit d'ôter la vie à un bambin. L'accident est acté et deux gamins dans le bassin sont décédés, ceux-ci n'ayant pu être ramenés à la vie. Là, se révèle l'avant et l'après. Le bonheur s'est enfui et rien ne sera plus comme avant.

Gil Chauveau
14/06/2024
Spectacle à la Une

•Off 2024• Lou Casa "Barbara & Brel" À nouveau un souffle singulier et virtuose passe sur l'œuvre de Barbara et de Brel

Ils sont peu nombreux ceux qui ont une réelle vision d'interprétation d'œuvres d'artistes "monuments" tels Brel, Barbara, Brassens, Piaf et bien d'autres. Lou Casa fait partie de ces rares virtuoses qui arrivent à imprimer leur signature sans effacer le filigrane du monstre sacré interprété. Après une relecture lumineuse en 2016 de quelques chansons de Barbara, voici le profond et solaire "Barbara & Brel".

© Betül Balkan.
Comme dans son précédent opus "À ce jour" (consacré à Barbara), Marc Casa est habité par ses choix, donnant un souffle original et unique à chaque titre choisi. Évitant musicalement l'écueil des orchestrations "datées" en optant systématiquement pour des sonorités contemporaines, chaque chanson est synonyme d'une grande richesse et variété instrumentales. Le timbre de la voix est prenant et fait montre à chaque fois d'une émouvante et artistique sincérité.

On retrouve dans cet album une réelle intensité pour chaque interprétation, une profondeur dans la tessiture, dans les tonalités exprimées dont on sent qu'elles puisent tant dans l'âme créatrice des illustres auteurs que dans les recoins intimes, les chemins de vie personnelle de Marc Casa, pour y mettre, dans une manière discrète et maîtrisée, emplie de sincérité, un peu de sa propre histoire.

"Nous mettons en écho des chansons de Barbara et Brel qui ont abordé les mêmes thèmes mais de manières différentes. L'idée est juste d'utiliser leur matière, leur art, tout en gardant une distance, en s'affranchissant de ce qu'ils sont, de ce qu'ils représentent aujourd'hui dans la culture populaire, dans la culture en général… qui est énorme !"

Gil Chauveau
19/06/2024
Spectacle à la Une

•Off 2024• "Un Chapeau de paille d'Italie" Une version singulière et explosive interrogeant nos libertés individuelles…

… face aux normalisations sociétales et idéologiques

Si l'art de générer des productions enthousiastes et inventives est incontestablement dans l'ADN de la compagnie L'Éternel Été, l'engagement citoyen fait aussi partie de la démarche créative de ses membres. La présente proposition ne déroge pas à la règle. Ainsi, Emmanuel Besnault et Benoît Gruel nous offrent une version décoiffante, vive, presque juvénile, mais diablement ancrée dans les problématiques actuelles, du "Chapeau de paille d'Italie"… pièce d'Eugène Labiche, véritable référence du vaudeville.

© Philippe Hanula.
L'argument, simple, n'en reste pas moins source de quiproquos, de riantes ficelles propres à la comédie et d'une bonne dose de situations grotesques, burlesques, voire absurdes. À l'aube d'un mariage des plus prometteurs avec la très florale Hélène – née sans doute dans les roses… ornant les pépinières parentales –, le fringant Fadinard se lance dans une quête effrénée pour récupérer un chapeau de paille d'Italie… Pour remplacer celui croqué – en guise de petit-déj ! – par un membre de la gent équestre, moteur exclusif de son hippomobile, ci-devant fiacre. À noter que le chapeau alimentaire appartenait à une belle – porteuse d'une alliance – en rendez-vous coupable avec un soldat, sans doute Apollon à ses heures perdues.

N'ayant pas vocation à pérenniser toute forme d'adaptation académique, nos deux metteurs en scène vont imaginer que cette histoire absurde est un songe, le songe d'une nuit… niché au creux du voyage ensommeillé de l'aimable Fadinard. Accrochez-vous à votre oreiller ! La pièce la plus célèbre de Labiche se transforme en une nouvelle comédie explosive, électro-onirique ! Comme un rêve habité de nounours dans un sommeil moelleux peuplé d'êtres extravagants en doudounes orange.

Gil Chauveau
26/03/2024