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Avignon 2017

•Avignon Off 2017• Antonio Ligabue, peintre des bois, évocation d'un artiste hors-norme

"Un Bec - Antonio Ligabue", Salle Roquille, Avignon

"Antonio Laccabue, dit Antonio Ligabue, (Zurich, 18 décembre 1899 - Gualtieri, 27 mai 1965), était un peintre italien" : voilà l'intégralité de l'article Wikipédia sur cet artiste. C'est dire le silence de plomb qui recouvre l'œuvre de ce peintre de la nature qui peupla les bords du Pô de tigres, singes, lions, panthères et autres zèbres.



© Julien James.
© Julien James.
Peintre maudit peut-être, dans la longue série, peintre fou, aussi, peintre au passé tumultueux et au devenir inconcevable sans aucun doute. Sa vie traverse une bonne partie du siècle dernier, de Zurich en Suisse où il est né, à Gualtieri dans le nord de l'Italie, petite ville de campagne au bord du Pô vers où il est expulsé à l'âge de vingt ans, lui, fils illégitime, reconnu par un italien du pays, un père qui restera inconnu.

De son existence tourmentée, de son caractère hors normes, de sa peinture naïve, chatoyante, comme tombée directement d'un imaginaire empli de fantasmagories animales, Mario Perrotta (auteur et metteur en scène) a conçu un spectacle qui s'attache à exprimer le talent fou de ce peintre sans école mais aussi et surtout la personnalité explosive autant que touchante de celui-ci.

L'énergie prime dans cette pièce. Une énergie portée avec fougue par Jean Vocat qui plonge à corps perdu dans le personnage qu'il incarne jusqu'à devenir lui-même peintre, armé de fusains avec lesquels il dessine sur de grands panneaux les visages, les silhouettes et les paysages rencontrés, figures avec lesquels il dialogue tout au long du spectacle.

© Julien James.
© Julien James.
Et soudain, le comédien n'est plus vraiment seul sur scène. Il réalise là une véritable et belle performance avec une extraordinaire générosité car c'est sur un rythme palpitant, qui laisse bouche bée, qu'il raconte, se raconte et dessine cette histoire surprenante.

Composant ou fabriquant sa peinture avec ce qu'il trouvait dans la nature - terres, végétaux mélangés à l'urine pour que les couleurs se fixent - dormant debout comme les chevaux, cerclé par des ballots de paille pour lutter contre les nuits gelées, se nourrissant de cueillette, quasi-mendiant, coureur des bois, alternant les séjours en asile et les trocs de ses peintures contre un bol de soupe… cet homme, blessé par une enfance sans amour (un attardé pour ses parents adoptifs) et un exil en Italie (il n'en connaît même pas la langue), se réfugie dans la nature et la peinture pour fuir une humanité encore plus féroce que celle-ci.

Pour la petite histoire, un bec, c'est un baiser, un petit baiser, un smac sur les lèvres quémandé par cet être sevré de l'amour maternel, avide de tendresse, un petit bisou posé là, qu'il quête comme un leitmotiv tout au long de la pièce, un bécot.

"Cette section est vide, insuffisamment détaillée ou incomplète. Votre aide est la bienvenue!" clame encore Wikipédia.

Alors voilà une belle page, tant visuelle que narrative, faite de poésie et d'intensité, qui vient combler avec virtuosité une partie de l'injuste oubli.

"Un Bec - Antonio Ligabue"

© Julien James.
© Julien James.
Texte : Mario Perrotta.
Mise en scène : Mario Perrotta.
Avec : Jean Vocat.
Création lumières : Eva Bruno.
Compagnie Mais Oui !
Durée : 1 h.

•Avignon Off 2017•
Du 7 au 30 juillet 2017.
Tous les jours à 17 h.
Salle Roquille, 3, rue Roquille, Avignon.
Réservations : 04 90 85 43 68.

Bruno Fougniès
Vendredi 12 Mai 2017

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© Jean-François Delon.
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© Pics.
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Bruno Fougniès
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