La Revue du Spectacle, le magazine des arts de la scène et du spectacle vivant. Infos théâtre, chanson, café-théâtre, cirque, arts de la rue, agenda, CD, etc.



Augmenter la taille du texte
Diminuer la taille du texte
Partager
Danse

Avec "Magnifiques", danseuses et danseurs resplendissent dans la chorégraphie pleine d'espoir de Michel Kelemenis

La danse était à l'honneur ce 2 février au Théâtre Molière de Sète avec cette production du chorégraphe Michel Kelemenis qui dirige depuis plus de dix ans le Klap, Maison pour la danse, à Marseille. Une création dont l'inspiration est presque à l'opposée de son spectacle "Coup de grâce", diffusé en 2019, qui faisait référence aux attentats terroristes de Paris. Aujourd'hui, le chorégraphe évacue la noirceur de cette période pour chercher dans la jeunesse la lumière, la fantaisie et l'espoir.



© Jean Barak.
© Jean Barak.
De cette jeunesse neuve confrontée aux dérèglements planétaires, au virtuel et au bannissement des binarités sexistes, le chorégraphe extrait une explosion d'énergie et une approche différente des corps et des contacts. C'est pourtant sur la base d'une œuvre classique que le spectacle a été conçu : le "Magnificat" de Jean-Sébastien Bach. Souvenir d'une illumination de jeunesse, cette composition vocale trouve ici, dans la vision de Michel Kelemenis, une modernité intéressante.

Un ballet inspiré par cette musique sacrée aurait pu être totalement désuet ou, au contraire, par un excès de modernisation, aurait pu tordre l'œuvre au contemporain, en transformant la musique sacrée en accessoire pittoresque. Ce n'est pas le cas ici. La chorégraphie de Michel Kelemenis parvient à suggérer des gestes et des danses populaires, à créer des images et des postures inspirées de tableaux d'inspiration sacrée (sous la forme d'arrêts sur image), mais aussi à utiliser toute la panoplie du contemporain pour exprimer l'élan de la jeunesse toujours renouvelé.

© Jean Barak.
© Jean Barak.
Les compositions d'Angelos Liaros Copola s'intercalent régulièrement dans le "Magnificat". Elles parviennent à s'intégrer à l'œuvre originale soit en se coulant dans son rythme et ses tonalités, soit en rupture, usant d'instrumentations actuelles. Elles sont le ressort dynamique qui éclaire le spectacle et donne un relief différent et un sens lui aussi différent aux évolutions des danseurs et leurs interactions. Car le cœur du spectacle, ce sont eux, les neuf interprètes de "Magnifiques".

Tantôt évoluant en groupe, formant des rondes, des spirales, des enroulements quasi géométriques qui les intègrent tous aux mêmes mouvements comme une harmonie un peu nostalgique, ou bien brisant ce formalisme pour former d'autres contacts, des duos, des couples, des groupes plus individualistes, plus indépendants. Le chorégraphe développe ici tout un vocabulaire gestuel inventé à partir des mains. Les postures sacrées de dévotion ou de prières alternent avec les effleurements, des enlacements, les contacts charnels qui érotisent par moments le spectacle le transformant en ode au désir, à la recherche de l'autre, sans se cantonner aux antiques stéréotypes hétérosexuels.

© Jean Barak.
© Jean Barak.
Difficile de classifier le style de danse employé ici : le mélange est volontairement recherché, assumé. Parfois un geste des plus classiques, un porté, apparaît, mais il est vite emporté dans le mouvement toujours fluide de la chorégraphie qui semble, hormis les arrêts sur image, mouvement perpétuel. Il faut également parler de la lumière de Jean-Bastien Nehr qui, elle aussi, participe aux différentes atmosphères. Elles passent du large cercle rouge où brûlent le désir et l'énergie de groupe à des points lumineux qui forment comme un jeu de poursuite pour les danseuses et danseurs. Elles rappellent aussi la lumière utilisée par les peintres classiques et fortifient la référence. Elles transforment aussi parfois les mouvements de bras lancés comme les ailes de moulin en orbes lumineux, telles des apparitions éphémères d'auréoles dorées.

Chorégraphié mais également mis en scène et construit comme un véritable récit avec ce passage de la noirceur des costumes du début à la naissance puis l'avènement de la couleur, du multicolore, révélant la multiplicité des êtres, des genres, "Magnifiques" raconte l'espoir confié à la prochaine jeunesse et la foi dans son énergie, son inventivité et la capacité qu'elle aura à trouver les liens nécessaires pour vivre, aimer et créer ensemble. L'énergie est là, le refus d'étiquette aussi, l'envie de vivre ses propres désirs sans contrainte aussi, avec l'accent mis sur ce qui relie, ce qui est commun et ce qui perdure.

"Magnifiques"

© Jean Barak.
© Jean Barak.
Conception générale, chorégraphie, scénographie : Michel Kelemenis.
Musique : Jean-Sébastien Bach.
Création musicale : Angelos Liaros Copola.
Avec : Gaël Alamargot, Maxime Gomard, Claire Indaburu, Anthony La Rosa, Hannah Le Mesle, Marie Pastorelli, Anthony Roques, Mattéo Trutat, Valéria Vellei.
Costumes : Camille Panager assistée de Sandrine Collomb.
Lumière : Jean-Bastien Nehr.
Tout public à partir de 10 ans.
Durée : 1 heure.

A été représenté le 2 février 2023 au Théâtre Molière, Sète (34).

Tournée
15 février 2023 : Hivernales - CDCN d'Avignon, L'autre Scène, Vedène (84).
2 décembre 2023 : La Scène 55, Mougins (06).

Bruno Fougniès
Jeudi 9 Février 2023

Nouveau commentaire :

Théâtre | Danse | Concerts & Lyrique | À l'affiche | À l'affiche bis | Cirque & Rue | Humour | Festivals | Pitchouns | Paroles & Musique | Avignon 2017 | Avignon 2018 | Avignon 2019 | CédéDévédé | Trib'Une | RV du Jour | Pièce du boucher | Coulisses & Cie | Coin de l’œil | Archives | Avignon 2021 | Avignon 2022







À découvrir

"Othello" Iago et Othello… le vice et la vertu, deux maux qui vont très bien ensemble

Réécrit dans sa version française par Jean-Michel Déprats, le texte de William Shakespeare devient ici matière contemporaine explorant à l'envi les arcanes des comportements humains. Quant à la mise en jeu proposée par Jean-François Sivadier, elle restitue - "à la lettre" près - l'esprit de cette pièce crépusculaire livrant le Maure de Venise à la perfidie poussée jusqu'à son point d'incandescence de l'intrigant Iago, incarné par un Nicolas Bouchaud à la hauteur de sa réputation donnant la réplique à un magnifique Adama Diop débordant de vitalité.

© Jean-Louis Fernandez.
Un décor sombre pouvant faire penser à d'immenses mâchoires mobiles propres à avaler les personnages crée la fantasmagorie de cette intrigue lumineuse. En effet, très vite, on s'aperçoit que l'enjeu de cet affrontement "à mots couverts" ne se trouve pas dans quelque menace guerrière menaçant Chypre que le Maure de Venise, en tant que général des armées, serait censé défendre… Ceci n'est que "pré-texte". L'intérêt se noue ailleurs, autour des agissements de Iago, ce maître ès-fourberies qui n'aura de cesse de détruire méthodiquement tous celles et ceux qui lui vouent (pourtant) une fidélité sans faille…

L'humour (parfois grinçant) n'est pour autant jamais absent… Ainsi lors du tableau inaugural, lorsque le Maure de Venise confie comment il s'est joué des aprioris du vieux sénateur vénitien, père de Desdémone, en lui livrant comment en sa qualité d'ancien esclave il fut racheté, allant jusqu'à s'approprier le nom d'"anthropophage" dans le même temps que sa belle "dévorait" ses paroles… Ou lorsque Iago, croisant les jambes dans un fauteuil, lunettes en main, joue avec une ironie mordante le psychanalyste du malheureux Cassio, déchu par ses soins de son poste, allongé devant lui et hurlant sa peine de s'être bagarré en état d'ébriété avec le gouverneur… Ou encore, lorsque le noble bouffon Roderigo, est ridiculisé à plates coutures par Iago tirant maléfiquement les ficelles, comme si le prétendant éconduit de Desdémone n'était plus qu'une vulgaire marionnette entre ses mains expertes.

Yves Kafka
03/03/2023
Spectacle à la Une

"Le Chef-d'œuvre Inconnu" Histoire fascinante transcendée par le théâtre et le génie d'une comédienne

À Paris, près du quai des Grands-Augustins, au début du XVIIe siècle, trois peintres devisent sur leur art. L'un est un jeune inconnu promis à la gloire : Nicolas Poussin. Le deuxième, Franz Porbus, portraitiste du roi Henri IV, est dans la plénitude de son talent et au faîte de sa renommée. Le troisième, le vieux Maître Frenhofer, personnage imaginé par Balzac, a côtoyé les plus grands maîtres et assimilé leurs leçons. Il met la dernière main dans le plus grand secret à un mystérieux "chef-d'œuvre".

© Jean-François Delon.
Il faudra que Gilette, la compagne de Poussin, en qui Frenhofer espère trouver le modèle idéal, soit admise dans l'atelier du peintre, pour que Porbus et Poussin découvrent le tableau dont Frenhofer gardait jalousement le secret et sur lequel il travaille depuis 10 ans. Cette découverte les plongera dans la stupéfaction !

Quelle autre salle de spectacle aurait pu accueillir avec autant de justesse cette adaptation théâtrale de la célèbre nouvelle de Balzac ? Une petite salle grande comme un mouchoir de poche, chaleureuse et hospitalière malgré ses murs tout en pierres, bien connue des férus(es) de théâtre et nichée au cœur du Marais ?

Cela dit, personne ne nous avait dit qu'à l'Essaïon, on pouvait aussi assister à des séances de cinéma ! Car c'est pratiquement à cela que nous avons assisté lors de la générale de presse lundi 27 mars dernier tant le talent de Catherine Aymerie, la comédienne seule en scène, nous a emportés(es) et transportés(es) dans l'univers de Balzac. La force des images transmises par son jeu hors du commun nous a fait vire une heure d'une brillante intensité visuelle.

Pour peu que l'on foule de temps en temps les planches des théâtres en tant que comédiens(nes) amateurs(es), on saura doublement jauger à quel point jouer est un métier hors du commun !
C'est une grande leçon de théâtre que nous propose là la Compagnie de la Rencontre, et surtout Catherine Aymerie. Une très grande leçon !

Brigitte Corrigou
07/04/2023
Spectacle à la Une

Dans "Nos jardins Histoire(s) de France #2", la parole elle aussi pousse, bourgeonne et donne des fruits

"Nos Jardins", ce sont les jardins ouvriers, ces petits lopins de terre que certaines communes ont commencé à mettre à disposition des administrés à la fin du XIXe siècle. Le but était de fournir ainsi aux concitoyens les plus pauvres un petit bout de terre où cultiver légumes, tubercules et fruits de manière à soulager les finances de ces ménages, mais aussi de profiter des joies de la nature. "Nos Jardins", ce sont également les jardins d'agrément que les nobles, les rois puis les bourgeois firent construire autour de leurs châteaux par des jardiniers dont certains, comme André Le Nôtre, devinrent extrêmement réputés. Ce spectacle englobe ces deux visions de la terre pour développer un débat militant, social et historique.

Photo de répétition © Cie du Double.
L'argument de la pièce raconte la prochaine destruction d'un jardin ouvrier pour implanter à sa place un centre commercial. On est ici en prise directe avec l'actualité. Il y a un an, la destruction d'une partie des jardins ouvriers d'Aubervilliers pour construire des infrastructures accueillant les JO 2024 avait soulevé la colère d'une partie des habitants et l'action de défenseurs des jardins. Le jugement de relaxe de ces derniers ne date que de quelques semaines. Un sujet brûlant donc, à l'heure où chaque mètre carré de béton à la surface du globe le prive d'une goutte de vie.

Trois personnages sont impliqués dans cette tragédie sociale : deux lycéennes et un lycéen. Les deux premières forment le noyau dur de cette résistance à la destruction, le dernier est tout dévoué au modernisme, féru de mode et sans doute de fast-food, il se moque bien des légumes qui poussent sans aucune beauté à ses yeux. L'auteur Amine Adjina met ainsi en place les germes d'un débat qui va opposer les deux camps.

Bruno Fougniès
23/12/2022