La Revue du Spectacle, le magazine des arts de la scène et du spectacle vivant. Infos théâtre, chanson, café-théâtre, cirque, arts de la rue, agenda, CD, etc.



Augmenter la taille du texte
Diminuer la taille du texte
Partager
Théâtre

À la fois léché et à la diable, un "Macbeth" qui évacue le surnaturel et surexpose la réalité

"Macbeth", Théâtre du Soleil, Paris

1964, 2014 : le Théâtre du Soleil - Société coopérative ouvrière de production* - a cinquante ans… Et en interrogeant "Macbeth" écrit en 1606, il sent de nouveau le mal sourdre à la surface d’un monde contemporain dont les différents pouvoirs s’exacerbent.



"Macbeth", Nirupama Nityanandan et Serge Nicolaï © Lucile Cocito.
"Macbeth", Nirupama Nityanandan et Serge Nicolaï © Lucile Cocito.
Macbeth, vaillant à la guerre, prend peur aux marches du pouvoir qu’il rêve (et conquiert probablement en sous-main depuis longtemps). Poussé par d’obscures forces, ainsi que par lady Macbeth, il devient roi, tout puissant et craint par ses sautes de fureur. Il commet crimes sur crimes et meurt enfin. Haï. Macbeth a le goût du sang.

La pièce de Shakespeare marque les étapes de cette montée de l’ubris dans un monde où les mots et les sorts comme autant de bulles à la surface de la raison pervertissent le jugement. Le texte, s’il fait apparaitre les forces, laisse en suspens les réponses aux questions sur les causes. Il appartient au spectateur de résoudre l’énigme et de s’interroger sur les origines du pouvoir, sa légitimité, sa folie et sa volupté.

Est-ce le milieu physique (ici les landes écossaises) qui rend fou ? Avec ses effets sur les consciences ? La peur qu’il génère et propage chez les habitants ? La superstition des habitants ? Ou bien est-ce le goût du sang, stade primitif et sauvage d’une nature humaine, qui a surpris Macbeth lors de son premier combat ? Ou bien est-ce tout simplement un état de nerf ? État de carence ? Le manque de sommeil qui fait interpréter toute parole et bruit en signe divinatoire ? Ou bien tout simplement le désir d’accaparement des richesses corrélé à la peur de manquer est-il si fort qu’il use de stratagèmes, et vise à impressionner et faire passer pour un mal sacré (ou plutôt satanique) qui ne frapperait que certains individus élus des comportements opportunistes ? Et faire croire à tous qu’ils sont des César ?

Inspiré par le monde moderne et la théâtralité la plus archaïque, le "Macbeth" du Théâtre du Soleil est brossé à fresques. À la fois léché et à la diable, tout le dispositif évacue l’aspect surnaturel des scènes de sortilèges et surexpose la réalité.

"Macbeth" © Michèle Laurent.
"Macbeth" © Michèle Laurent.
Si les sorcières sont des paillasses et les décors réduits à des rideaux qui voilent et dévoilent les scènes au lointain, les accessoires sont naturalistes. Les tapis, lampadaires, rambardes, meubles meublant aident à composer autant d’occasions de clichés contemporains. Ces images que tout pouvoir veut imposer à la conscience des peuples par l’entremise de journalistes embedded adeptes de selfies… ou de paparazzi choisis.

Les jeux s’appuient sur la médiane axiale, partent du lointain ou bien jaillissent d’un vomitoire (situé au milieu du public) qui monte à l’avant-scène. Le centre de la scène est occupé périodiquement par des tapis, autant d’occasion de bivouacs et d’étalages de soi ; ou des bulles de terre remontées des enfers qui de simples monticules deviennent point sublime à rendez-vous secrets, tertre de commandement, piédestal ou bunker. Lieux de pouvoir. Par essence immobiles, ils statufient. Cette disposition scénique tend à immobiliser l’action et n’en mesure que les états et résultats.

C’est ainsi que, dans cette histoire, les princes offrent leur image pour les couvertures glacées des magazines à pipeolettes : les héros descendant sur le tarmac, le carré VIP, la vie paisible au jardin d’hiver, joyau de vacances digne de Baltimore, le bal de jet set pour l’intronisation du nouveau roi Macbeth, des terrasses branchées de Londres pour les exilés.

Les envers du décor sont tout aussi léchés qui présentent des chorégraphies pour clips de sorcières en zombies et des scènes de crime protégées des curieux par des paravents tachés de sang.

Cette mise en scène de "Macbeth" tend un miroir du monde actuel. Ses miroitements sculptent comme un comportement standardisé à défaut d’être rationnel, tel que le conçoit le pouvoir contemporain. En privilégiant ainsi le visible sur l’invisible, le risque est grand de voir se réduire les sortilèges propre à l’effet théâtre quand le rythme et les métamorphoses ne sont pas au rendez-vous.

Les entrées-sorties des protagonistes sont encadrées par des changements de décors à vue. Effectuées avec vivacité par les figurants, petit peuple des serviteurs qui devrait être affairé ou effaré selon l’ambiance, et des "kogen" sont comme autant de coups de ballet sur la musique de Jean-Jacques Lemêtre.

Dans l’état des premières représentations, l’ensemble donne la sensation d’un systématisme et souffre d’un manque de personnification des rôles secondaires dans les effets collectifs qui nuit au développement dramatique des scènes. Ce qu’Ariane Mnouchkine avait si bien réussi avec la mise en scène des "Atrides".

À l’évidence, les comédiens dans ce dispositif doivent aller au fond d’eux même, conquérir le rythme de l’élasticité, faire montre de nervosisme, entrer dans l’état d’ubris que déjà approchent Serge Nicolaï dans la traversée de son rôle de Macbeth, Nirupama Nityanandan dans la scène au bain de lady Macbeth, Maurice Durozier dans la jouissance égotiste de roi bourgeois, Vincent Mangado en Banquo devenu spectre, Duccio Bellugi-Vannuccini en fils de roi imberbe qui fantasme déjà toutes ses turpitudes…

* En mai 1964, dix étudiants (Georges Donzenac, Myrrha Donzenac, Martine Franck, Gérard Hardy, Philippe Léotard, Ariane Mnouchkine, Roberto Moscoso, Jean-Claude Penchenat, Jean-Pierre Tailhade, Françoise Tournafond) fondent la "Société coopérative ouvrière de production, le Théâtre du Soleil" à laquelle chacun verse une participation de 900 Francs.

"Macbeth"

Texte : William Shakespeare.
Traduction et mise en scène : Ariane Mnouchkine.
Musique : Jean-Jacques Lemêtre.
Avec l'ensemble de la troupe du Théâtre du Soleil.

À partir du 30 avril 2014.
Mercredi, jeudi, vendredi à 19 h 30, samedi à 13 h 30 et à 19 h 30, dimanche à 13 h 30.
Théâtre du Soleil, Cartoucherie de Vincennes, Paris 12e, 01 43 74 24 08.
>> theatre-du-soleil.fr

Jean Grapin
Lundi 12 Mai 2014

Nouveau commentaire :

Théâtre | Danse | Concerts & Lyrique | À l'affiche | À l'affiche bis | Cirque & Rue | Humour | Festivals | Pitchouns | Paroles & Musique | Avignon 2017 | Avignon 2018 | Avignon 2019 | CédéDévédé | Trib'Une | RV du Jour | Pièce du boucher | Coulisses & Cie | Coin de l’œil | Archives | Avignon 2021 | Avignon 2022 | Avignon 2023 | Avignon 2024 | À l'affiche ter





Numéros Papier

Anciens Numéros de La Revue du Spectacle (10)

Vente des numéros "Collectors" de La Revue du Spectacle.
10 euros l'exemplaire, frais de port compris.






À Découvrir

"Différente" Carolina ou "Cada uno es un mundo (Chacun est un monde)"

Star internationale à la frange rouge, Carolina est de retour en France, après sa tournée mondiale. Heureuse de retrouver son public préféré, elle interprète en live des chansons populaires qui touchent le cœur de toutes les générations.

© Audrey Bären.
Mais qui est donc cette incontournable Carolina ? Ou, plus exactement, qui se cache derrière cette artiste plutôt extravagante, à la folie douce ? De qui est-elle l'extension, au juste ?

L'éternelle question autour de l'acte créatif nous interpelle souvent, et nous amène à nous demander quelles influences l'homme ou la femme ont-ils sur leurs "créatures" fabriquées de toutes pièces ! Quelles inspirations les ont portées ! Autant de questions qui peuvent nous traverser particulièrement l'esprit si tant est que l'on connaisse un peu l'histoire de Miguel-Ange Sarmiento !

Parce que ce n'est pas la première fois que Carolina monte sur scène… Décidément, elle en a des choses à nous dire, à chaque fois. Elle est intarissable. Ce n'est pas Rémi Cotta qui dira le contraire, lui qui l'accompagne depuis déjà dix ans et tire sur les ficelles bien huilées de sa vie bien remplie.

Rémi Cotta, artiste plasticien, graphiste, comédien, chanteur lyrique, ou encore metteur en scène, sait jouer de ses multiples talents artistiques pour confier une parole virevoltante à notre Carolina. Il suffit de se souvenir du très original "Carolina Show", en 2010, première émission de télé sans caméra ayant reçu de nombreux artistes connus ou moins connus ou le "Happy Show de Carolina", ainsi que les spectacles musicaux "Carolina, naissance d'une étoile", "Le Cabaret de Carolina", ou encore " Carolina, L'Intelligence Artificielle".

"Différente" est en réalité la maturation de plusieurs années de cabarets et de spectacles où Carolina chante pourquoi et comment elle est devenue une star internationale tout en traversant sa vie avec sa différence". Miguel-Ange Sarmiento.

Brigitte Corrigou
08/11/2024
Spectacle à la Une

"Tout va très bien !" Le Grand Orchestre du Splendid, bon pied bon œil, revient avec de la musique sur tous les fronts

Voir les choses en grand tout en restant léger ! Prendre du plaisir et, surtout, en donner ! Voilà la philosophie du Grand orchestre du Splendid qui régale le public depuis 1977. Bientôt 50 ans… Bientôt le jubilé. "De la musique avant toute chose" et vivre, vivre, vivre…

© Aurélie Courteille.
En 1977, quelques amis musiciens professionnels se retrouvent entre eux et décident de s'amuser en réinterprétant des classiques tels que ceux de Ray Ventura ou de Duke Ellington. Ce qui ne devait être qu'un plaisir entre copains devient vite un succès immédiat qui dure depuis presque 50 ans. Mais quel est donc le secret de cette longévité entre rythmes endiablés, joyeuses cadences et show totalement désopilants ?

Ne le leur demandez pas ! Ils ne vous en diront rien… Si tant est qu'ils le sachent eux-mêmes, tant cette énergie semble ancrée en eux depuis toutes ces années, indéfectible, salvatrice et impérissable.

Entre swing, jazz, salsa, reggae – quatre de leurs principales influences –, ou encore fiesta et mises en scène délirantes, les quatorze chanteuses et musiciens de l'Orchestre mythique enchantent le public, sur la scène du Café de la Gare, depuis le 11 novembre. Comme à leurs premières heures, et en échappant pourtant aux codes et impératifs de la mode, ils nous donnent irrésistiblement envie de monter sur scène pour danser à leurs côtés sur le plateau, frétiller, sautiller, et tout oublier l'espace de quelques instants. Leur énergie communicative est sans failles, et gagne sans commune mesure toutes les générations. Les cuivres étincellent. Les voix brillent de mille feux sonores.

Brigitte Corrigou
13/11/2024
Spectacle à la Une

"Jacques et Chirac" Un "Magouille blues"* décapant et burlesque n'occultant pas le mythe du président sympa et séducteur

Une comédie satirique enjouée sur le pouvoir, le mensonge et la Cinquième République portée par une distribution tonitruante et enthousiaste, dégustant avec gourmandise le texte de Régis Vlachos pour en offrir la clownesque et didactique substantifique moelle aux spectateurs. Cela est rendu aussi possible grâce à l'art sensible et maîtrisé de l'écriture de l'auteur qui mêle recherche documentaire affinée, humour décapant et bouffonnerie chamarrée pour dévoiler les tours et contours d'un Jacques sans qui Chirac ne serait rien.

© Fabienne Rappeneau.
Portraitiste décalé et impertinent d'une Histoire de France ou de l'Humanité aux galbes pas toujours gracieux dont surgissent parfois les affres de notre condition humaine, Régis Vlachos, "Cabaret Louise" (Louise Michel), "Dieu est mort" (Dieu, mieux vaut en rire)"Little Boy" (nom de la bombe larguée sur Hiroshima), revient avec un nouveau spectacle (création 2023) inspiré d'un des plus grands scandales de notre histoire contemporaine : la Françafrique. Et qui d'autre que Jacques Chirac – l'homme qui faisait la bise aux dictateurs – pouvait être convoqué au "tribunal" du rire et de la fantaisie par l'auteur facétieux, mais doté d'une conscience politique aiguë, qu'est Régis Vlachos.

Le président disparu en 2019 fut un homme complexe composé du Chirac "bulldozer" en politique, menteur, magouilleur, et du Jacques, individu affable, charmeur, mettant autant la main au cul des vaches que des femmes. Celui-ci fut d'abord attiré le communisme pour ses idéaux pacifistes. Il vendra même L'Humanité-dimanche devant l'église Saint-Sulpice.

La diversité des personnalités importantes qui marquèrent le début de son chemin politique joue tout autant la complexité : Michel Rocard, André Malraux et, bien sûr, Georges Pompidou comme modèle, Marie-France Garaud, Pierre Juillet… et Dassault comme portefeuille ! Le tout agrémenté de nombre de symboles forts et de cafouillages désastreux : le bruit et l'odeur, la pomme, le cul des vaches, les vacances à l'île Maurice, les amitiés avec les despotes infréquentables, l'affaire ELF, etc.

Gil Chauveau
03/11/2024