La Revue du Spectacle, le magazine des arts de la scène et du spectacle vivant. Infos théâtre, chanson, café-théâtre, cirque, arts de la rue, agenda, CD, etc.



Augmenter la taille du texte
Diminuer la taille du texte
Partager
Théâtre

● AVIGNON OFF 2016 ● L'histoire de Mary Prince... Pour ne jamais oublier que l’esclavage est un crime contre l’humanité

"Mary Prince", La Manufacture des Abbesses, Paris

Pour la première fois, une esclave antillaise raconte ce qu’elle a vécu. Avec sobriété et truculence, Souria Adèle devient Mary Prince qui livra, en 1831, un témoignage de grande valeur sur l’esclavage, crime contre l’humanité, avant même que son abolition ne soit promulguée.



© DR.
© DR.
Une grande femme, dans une longue robe noire à fleurs, est sur scène. Elle raconte comme un livre ouvert son histoire avec une voix légèrement profonde et caverneuse. Il y a dans ce récit un mélange de narration et de vécu, de subjectivité et d’objectivité, de transposition historique et d’émotions sobres. Aucune rancœur, aucune amertume, juste le constat accablant d’une esclave, juste le constat tu et presque oublié d’un chapitre de l’histoire de l’humanité, celui de l’esclavage. C’est par l’une de ses victimes nombreuses, battues, violées moralement et physiquement, à savoir Mary Prince, qu’une plume s’est levée pour dénoncer le fouet, que son âme s’est élevée pour dénoncer l’infâme.

Mary Prince est la première esclave à avoir racontée, en 1831, le récit de sa vie. D’abord esclave domestique, elle a été vendue plusieurs fois à différents maîtres sur les terres britanniques. En dépit d’un de ses maîtres, elle s’est mariée avec un affranchi. Courageuse, révoltée, ayant toujours eu, malgré les épreuves, un goût revendiqué pour la liberté - car "elle est douce" -, elle incarne une voix qui ne se tait pas devant un crime contre l’humanité... que les dramaturges ou metteurs en scène font très peu entendre.

© DR.
© DR.
C’est ce pari, ce défi courageux que Souria Adèle a décidé de relever dans une actualité où remugles et miasmes extrémistes, homophobes ou racistes, s’étalent, de façon trop récurrente, à la une des journaux.

La lumière apparaît sur scène et on découvre la présence de Mary Prince, femme aux traits légèrement fatigués, la voix calme, posée dans un débit où les mots semblent pesés et choisis. Souria Adèle a une présence sur scène qui donne au personnage une truculence dans sa narration. La robe, comme celle d’une servante, est un peu trop ample, un peu trop vieillotte.

Le danger d’un récit-monologue est d’être monotone mais cet écueil a été évité. Pas de cabotinage, pas de sur-jeu. Tout est sobre. Le jeu de la comédienne est au plus proche d’un réalisme qui campe le personnage de Mary Prince, devenue à la fois témoin et victime d’un drame, sans devenir pour autant porte-voix de tous les esclaves. Elle garde une dignité dans ses propos et son attitude. Elle raconte juste.

À notre connaissance, l’histoire et la parole d’une esclave n’ont jamais été présentées sur une scène de théâtre. Très peu de pièces sur le sujet existent même si des études, des livres et des films ont été faits. Le théâtre a peu fait cas de ce crime contre l’humanité. C’est ce grand manque que vient combler Souria Adèle.

Elle est là, martelant et caressant à la fois les mots dans sa narration. Ils sont dits avec un débit où tout semble posé, réfléchi. Rien n’est bousculé, dit à la va vite. Souria Adèle incarne des mots qu’elle dit sans rancœur et sans rancune. La voix est claire et distincte, et déroule une belle élocution. Elle est la voix d’une double Histoire, subjective qui se fait l’écho d’une souffrance et d’une humiliation vécue au jour le jour, et historique, celle d’hommes et de femmes, parce que noirs, considérés par une société blanche comme de la sous-animalité.

Le séquencement des scènes est bien découpé. La dramaturgie respecte une cohérence et une montée en puissance dans le récit. Mary Prince est au départ dans l’obscurité, puis l’éclairage découpe une forme, une robe, une présence sans que le visage n’apparaisse. C’est la voix des oubliés, des écrasés, des sans noms, des sans visages et des opprimés qui s’exprime.

Il a fallu attendre 2014 pour entendre cela… pas trop tôt !

"Mary Prince"

© DR.
© DR.
D’après "L’histoire de Mary Prince, récit d’une esclave antillaise" par Mary Prince.
Traduction et adaptation : Emma Sudour et Souria Adèle.
Mise en scène : Alex Descas.
Avec : Souria Adèle.
Lumières : Agnès Godard.
Décors : Denis Renault.
Costume : Charlotte David.
Durée : 1 h 10.

Du 8 janvier au 22 mars 2014.
Du mercredi au samedi à 19 h.
La Manufacture des Abbesses, Paris 18e, 01 42 33 42 03.
>> manufacturedesabbesses.com

● AVIGNON OFF 2016 ●
Du 7 au 30 juillet 2016.
L'Albatros Théâtre,
29, rue des Teinturiers.
Tous les jours à 12 h 30.
Tél. : 04 90 86 11 33/04 90 85 23 23.

Safidin Alouache
Mercredi 26 Février 2014


1.Posté par Charly Arnassalon le 28/02/2014 09:36
Tout est dit dans cet article. L'exacte reflet de se qui se passe sur la scène. Mary Prince doit être vue par le plus grand nombre...pour la mémoire pour l'histoire ! Bravo Sourya et merci de faire revivre ces oubliés d'un système atroce.

Nouveau commentaire :

Théâtre | Danse | Concerts & Lyrique | À l'affiche | À l'affiche bis | Cirque & Rue | Humour | Festivals | Pitchouns | Paroles & Musique | Avignon 2017 | Avignon 2018 | Avignon 2019 | CédéDévédé | Trib'Une | RV du Jour | Pièce du boucher | Coulisses & Cie | Coin de l’œil | Archives | Avignon 2021 | Avignon 2022 | Avignon 2023 | Avignon 2024 | À l'affiche ter





Numéros Papier

Anciens Numéros de La Revue du Spectacle (10)

Vente des numéros "Collectors" de La Revue du Spectacle.
10 euros l'exemplaire, frais de port compris.






À Découvrir

"Bienvenue Ailleurs" Faire sécession avec un monde à l'agonie pour tenter d'imaginer de nouveaux possibles

Sara a 16 ans… Une adolescente sur une planète bleue peuplée d’une humanité dont la grande majorité est sourde à entendre l’agonie annoncée, voire amorcée diront les plus lucides. Une ado sur le chemin de la prise de conscience et de la mutation, du passage du conflit générationnel… à l'écologie radicale. Aurélie Namur nous parle, dans "Bienvenue ailleurs", de rupture, de renversement, d'une jeunesse qui ne veut pas s'émanciper, mais rompre radicalement avec notre monde usé et dépassé… Le nouvel espoir d'une jeunesse inspirée ?

© PKL.
Sara a donc 16 ans lorsqu'elle découvre les images des incendies apocalyptiques qui embrasent l'Australie en 2020 (dont l'île Kangourou) qui blessent, brûlent, tuent kangourous et koalas. Images traumatiques qui vont déclencher les premiers regards critiques, les premières révoltes générées par les crimes humains sur l'environnement, sans évocation pour elle d'échelle de gravité, cela allant du rejet de solvant dans les rivières par Pimkie, de la pêche destructrice des bébés thons en passant de l'usage de terres rares (et les conséquences de leur extraction) dans les calculettes, les smartphones et bien d'autres actes criminels contre la planète et ses habitants non-humains.

Puisant ici son sujet dans les questionnements et problèmes écologiques actuels ou récurrents depuis de nombreuses années, Aurélie Namur explore le parcours de la révolte légitime d’une adolescente, dont les constats et leur expression suggèrent une violence sous-jacente réelle, puissante, et une cruelle lucidité, toutes deux fondées sur une rupture avec la société qui s'obstine à ne pas réagir de manière réellement efficace face au réchauffement climatique, à l'usure inconsidérée – et exclusivement humaine – de la planète, à la perte de confiance dans les hommes politiques, etc.

Composée de trois fragments ("Revoir les kangourous", "Dézinguée" et "Qui la connaît, cette vie qu'on mène ?") et d'un interlude** – permettant à la jeunesse de prendre corps "dansant" –, la pièce d'Aurélie Namur s'articule autour d'une trajectoire singulière, celle d'une jeune fille, quittant le foyer familial pour, petit à petit, s'orienter vers l'écologie radicale, et de son absence sur le plateau, le récit étant porté par Camila, sa mère, puis par Aimé, son amour, et, enfin, par Pauline, son amie. Venant compléter ce trio narrateur, le musicien Sergio Perera et sa narration instrumentale.

Gil Chauveau
10/12/2024
Spectacle à la Une

"Dub" Unité et harmonie dans la différence !

La dernière création d'Amala Dianor nous plonge dans l'univers du Dub. Au travers de différents tableaux, le chorégraphe manie avec rythme et subtilité les multiples visages du 6ᵉ art dans lequel il bâtit un puzzle artistique où ce qui lie l'ensemble est une gestuelle en opposition de styles, à la fois virevoltante et hachée, qu'ondulante et courbe.

© Pierre Gondard.
En arrière-scène, dans une lumière un peu sombre, la scénographie laisse découvrir sept grands carrés vides disposés les uns sur les autres. Celui situé en bas et au centre dessine une entrée. L'ensemble représente ainsi une maison, grande demeure avec ses pièces vides.

Devant cette scénographie, onze danseurs investissent les planches à tour de rôle, chacun y apportant sa griffe, sa marque par le style de danse qu'il incarne, comme à l'image du Dub, genre musical issu du reggae jamaïcain dont l'origine est due à une erreur de gravure de disque de l'ingénieur du son Osbourne Ruddock, alias King Tubby, en mettant du reggae en version instrumentale. En 1967, en Jamaïque, le disc-jockey Rudy Redwood va le diffuser dans un dance floor. Le succès est immédiat.

L'apogée du Dub a eu lieu dans les années soixante-dix jusqu'au milieu des années quatre-vingt. Les codes ont changé depuis, le mariage d'une hétérogénéité de tendances musicales est, depuis de nombreuses années, devenu courant. Le Dub met en exergue le couple rythmique basse et batterie en lui incorporant des effets sonores. Awir Leon, situé côté jardin derrière sa table de mixage, est aux commandes.

Safidin Alouache
17/12/2024
Spectacle à la Une

"R.O.B.I.N." Un spectacle jeune public intelligent et porteur de sens

Le trio d'auteurs, Clémence Barbier, Paul Moulin, Maïa Sandoz, s'emparent du mythique Robin des Bois avec une totale liberté. L'histoire ne se situe plus dans un passé lointain fait de combats de flèches et d'épées, mais dans une réalité explicitement beaucoup plus proche de nous : une ville moderne, sécuritaire. Dans cette adaptation destinée au jeune public, Robin est un enfant vivant pauvrement avec sa mère et sa sœur dans une sorte de cité tenue d'une main de fer par un être sans scrupules, richissime et profiteur.

© DR.
C'est l'injustice sociale que les auteurs et la metteure en scène Maïa Sandoz veulent mettre au premier plan des thèmes abordés. Notre époque, qui veut que les riches soient de plus en plus riches et les pauvres de plus pauvres, sert de caisse de résonance extrêmement puissante à cette intention. Rien n'étonne, en fait, lorsque la mère de Robin et de sa sœur, Christabelle, est jetée en prison pour avoir volé un peu de nourriture dans un supermarché pour nourrir ses enfants suite à la perte de son emploi et la disparition du père. Une histoire presque banale dans notre monde, mais un acte que le bon sens répugne à condamner, tandis que les lois économiques et politiques condamnent sans aucune conscience.

Le spectacle s'adresse au sens inné de la justice que portent en eux les enfants pour, en partant de cette situation aux allures tristement documentaires et réalistes, les emporter vers une fiction porteuse d'espoir, de rires et de rêves. Les enfants Robin et Christabelle échappent aux services sociaux d'aide à l'enfance pour s'introduire dans la forêt interdite et commencer une vie affranchie des règles injustes de la cité et de leur maître, quitte à risquer les foudres de la justice.

Bruno Fougniès
13/12/2024