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Avignon 2021

•In 2021• Fraternité, Conte Fantastique Et pourtant elle tourne !? Tragi-comédie en devenir…

Galilée en son temps fut taxé d'hérésie par l'église obscurantiste pour excès de foi scientifique. Depuis, le fait que la Terre tourne autour du Soleil ne suscite guère controverse… Foin de nos certitudes scientistes. Si, par un incroyable (?) accident céleste causé par on ne sait quel perturbateur universel, elle s'arrêtait de tourner rond, faisant disparaître comme par désenchantement la moitié de l'humanité, quel serait le sort des survivants plongés dans une attente atemporelle ?



© Christophe Raynaud de Lage/Festival d'Avignon.
© Christophe Raynaud de Lage/Festival d'Avignon.
C'est autour de cet argument dramatique, servant de "pré-texte" à sa nouvelle création, que la metteuse en scène Caroline Guiela Nguyen revient à Avignon avec son "Conte Fantastique", deuxième volet d'un cycle dédié à la "Fraternité". Dès que le rideau s'ouvre, dévoilant l'intérieur d'un Centre de soins et de consolation dont on ne sortira pas - ni nous, ni les protagonistes -, on retrouve la signature de celle qui a su nous enchanter en 2017 avec son remarquable et fort remarqué "Saïgon".

Même atmosphère enveloppante, mêmes lumières enivrantes, mêmes musiques émotionnelles, même vérité des acteurs, mêmes tables dressées (là les chaises sont vides, attendant leurs convives)… sauf que nous ne sommes ni à Saïgon en 1956, ni à Paris en 1996, mais dans un temps futur sans horizon d'attente autre que celui des disparus. Ce qui les relie symboliquement à eux, suite à "la Grande éclipse" qui a englouti leurs proches dans un trou noir, c'est cette cabine aux cloisons et au plafond de verre où chacun dispose d'une minute trente précieuses pour enregistrer "son" message au frère, à la sœur, au parent, à l'ami(e), pour lui dire que l'on ne l'oublie pas. Un sas entre deux mondes aux antipodes.

© Christophe Raynaud de Lage/Festival d'Avignon.
© Christophe Raynaud de Lage/Festival d'Avignon.
Moments d'une intensité émotionnelle (in)humaine - simultanément joué dans la cabine et projeté sur grand écran - où chacun s'efforce de sourire à l'absent qui, quelque part dans l'univers, entre les constellations, entendra hypothétiquement sa voix… un jour. Du père aimant, offrant à sa jeune fille l'espoir lumineux de revoir sa maman, au vieux monsieur maghrébin éternellement amoureux de sa chère disparue à qui il dit des poèmes, à cette mère-courage bouleversée par l'enfant qui lui fut ravi, à cette jeune fille empathique envoyant des messages tous azimuts, toutes et tous n'ont de cesse autant de se consoler, par une parole aux vertus libératrices, que de consoler le disparu de leur propre absence.

Sauf que ce dispositif, si performant soit-il, ne va pas sans créer lui-même des perturbations telles en chacun que d'autres ressources à visée thérapeutique (danse consolatrice, cantique des absents, groupes de paroles, paniers-repas) l'étayent. Mais, inventées et soutenues par le collectif, ces ressources se révèlent impuissantes à éradiquer la souffrance individuelle. Avoir à faire le deuil d'un être cher sans savoir s'il est vraiment mort est de l'ordre de l'impensable, cela génère des culpabilités destructrices se traduisant sur le plateau par des épisodes de violences cathartiques.

Espoir fou de revoir les disparus lors d'une éclipse salvatrice, qui déferait ce que la première avait pu faire, alterne avec déception à venir, jusqu'à ce qu'un nouvel événement ne vienne précipiter (au sens chimique) le drame… N'y aurait-il pas corrélation entre les battements affaiblis des cœurs de chacun, épuisé, et la marche de l'univers se détraquant à la vitesse grand V, comme si le cosmos répondait en miroir à la détresse grandissante ? Alors, il faudra redoubler d'imagination pour tenter, envers et contre les lois de l'univers, de renverser la situation… Mais la solution - elle existe, "grâce" aux hautes technologies - n'est-elle pas une aporie prétendant apporter le salut… en sacrifiant l'objet même de la quête ?

Dilemme se résolvant dans les larmes et les déchirements nerveux, l'opération définitive du reset n'étant pas sans coût. Comme un thriller, l'action progresse vers un dénouement rebattant les cartes de la temporalité. Sans rien trahir de la chute, le beau visage souriant de Leïla, l'épouse chérie du vieil homme inconsolable, apparaîtra sur l'écran, là où les Terriens survivants parlaient aux disparus. Son prénom renvoie, en littérature, à la nuit la plus longue de l'année…

© Christophe Raynaud de Lage/Festival d'Avignon.
© Christophe Raynaud de Lage/Festival d'Avignon.
Opéra choral (musique envoûtante jouant un grand rôle), composition plastique, high-tech, vidéo, jeu corporel, musique, slam, tout participe à une œuvre collective réunissant hommes et femmes de tous horizons, de toutes langues (anglais, arabe, français, vietnamien) et de toutes générations (de 18 à 82 ans), célébrant ainsi dans le soin qu'ils portent les uns aux autres le beau nom de "fraternité" (et de Sororité, la même Humanité). "Fraternité", dont les lettres avaient urgemment besoin d'être redorées car, si ce mot parade toujours aux frontispices de la république, ses lettres sont lourdes du déni des drames de Mare Nostrum, notre Méditerranée, regorgeant de cadavres de migrants.

Un "Conte fantastique" à plus d'un titre, esthétiquement séduisant, haletant comme un thriller, profondément humain, avec peut-être la réserve d'une tendance parfois à nous faire trop pleurer… Mais, là, commence une autre histoire, celle de notre sensibilité mise en jeu.

Vu à la Fabrica à Avignon le vendredi 9 juillet 2021 à 15 h.

"Fraternité, Conte Fantastique"

Création - spectacle en français, arabe, vietnamien, anglais, surtitré en français et en anglais.
Texte : Caroline Guiela Nguyen avec l'ensemble de l'équipe artistique.
Mise en scène : Caroline Guiela Nguyen.
Avec : Dan Artus, Saadi Bahri, Boutaïna El Fekkak, Hoonaz Ghojallu, Maïmouna Keita, Nanii, Elios Noël, Alix Petris, Saaphyra, Vasanth Selvam, Anh Tran Nghia, Hiep Tran Nghia, Mahia Zrouki.
Dramaturgie : Hugo Soubise, Manon Worms.
Collaboration artistique : Claire Calvi.
Scénographie : Alice Duchange.
Costumes : Benjamin Moreau.
Lumière : Jérémie Papin.
Musique et son : Teddy Gauliat-Pitois (composition), Antoine Richard (réalisation et composition).
Vidéo : Jérémie Scheidler.
Surtitrage : Panthéa.
Durée : 3 h 15 avec entracte.
"Fraternité, Conte Fantastique" de Caroline Guiela Nguyen sera publié aux éditions Actes Sud en 2022.

•Avignon In 2021•
Du 6 au 14 juillet 2021.
Tous les jours à 15 h, relâche le 10 juillet.
La Fabrica, Avignon (84).
>> festival-avignon.com
Réservations : 04 90 14 14 14 .
© Christophe Raynaud de Lage/Festival d'Avignon.
© Christophe Raynaud de Lage/Festival d'Avignon.

Tournée
27 août au 3 septembre 2021 : Dramaten, Stockholm (Suède).
16 septembre au 17 octobre 2021 : Odéon-Théâtre de l'Europe, Paris.
28 au 31 octobre 2021 : Centro Dramático Nacional, Madrid (Espagne).
8 au 9 novembre 2021 : Le Parvis, Ibos (65).
23 au 26 novembre 2021 : MC2, Grenoble (38).
1 au 2 décembre 2021 : Théâtre de l'Union, Limoges (87).
8 au 11 décembre 2021 : Théâtre National Wallonie-Bruxelles, Bruxelles (Belgique).
15 au 18 décembre 2021 : Théâtre de Liège, Liège (Belgique).
6 au 15 janvier 2022 : Célestins - Théâtre de Lyon, Lyon (69).
23 au 28 février 2022 : TNB - Théâtre National de Bretagne, Rennes (35).
9 au 11 mars 2022 : La Comédie de Reims, Reims (51).
17 au 19 mars 2022 : Le Liberté - scène nationale, Châteauvallon, Toulon (83).
24 au 26 mars 2022 : La Criée, Marseille (13).
4 au 5 avril 2022 : Schaubühne, Berlin (Allemagne).
9 au 10 avril 2022 : Thalia Theater : Hamburg, Hamburg (Allemagne).
26 au 27 avril 2022 : São Luiz Teatro Municipal, Lisbonne (Portugal).
2 au 3 mai 2022 : TNB - Théâtre National de Bretagne, Rennes (35).
11 au 13 mai 2022 : La Rose des Vents, Villeneuve-d'Ascq (59).
© Christophe Raynaud de Lage/Festival d'Avignon.
© Christophe Raynaud de Lage/Festival d'Avignon.

Yves Kafka
Mardi 13 Juillet 2021

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À découvrir

"Le Chef-d'œuvre Inconnu" Histoire fascinante transcendée par le théâtre et le génie d'une comédienne

À Paris, près du quai des Grands-Augustins, au début du XVIIe siècle, trois peintres devisent sur leur art. L'un est un jeune inconnu promis à la gloire : Nicolas Poussin. Le deuxième, Franz Porbus, portraitiste du roi Henri IV, est dans la plénitude de son talent et au faîte de sa renommée. Le troisième, le vieux Maître Frenhofer, personnage imaginé par Balzac, a côtoyé les plus grands maîtres et assimilé leurs leçons. Il met la dernière main dans le plus grand secret à un mystérieux "chef-d'œuvre".

© Jean-François Delon.
Il faudra que Gilette, la compagne de Poussin, en qui Frenhofer espère trouver le modèle idéal, soit admise dans l'atelier du peintre, pour que Porbus et Poussin découvrent le tableau dont Frenhofer gardait jalousement le secret et sur lequel il travaille depuis 10 ans. Cette découverte les plongera dans la stupéfaction !

Quelle autre salle de spectacle aurait pu accueillir avec autant de justesse cette adaptation théâtrale de la célèbre nouvelle de Balzac ? Une petite salle grande comme un mouchoir de poche, chaleureuse et hospitalière malgré ses murs tout en pierres, bien connue des férus(es) de théâtre et nichée au cœur du Marais ?

Cela dit, personne ne nous avait dit qu'à l'Essaïon, on pouvait aussi assister à des séances de cinéma ! Car c'est pratiquement à cela que nous avons assisté lors de la générale de presse lundi 27 mars dernier tant le talent de Catherine Aymerie, la comédienne seule en scène, nous a emportés(es) et transportés(es) dans l'univers de Balzac. La force des images transmises par son jeu hors du commun nous a fait vire une heure d'une brillante intensité visuelle.

Pour peu que l'on foule de temps en temps les planches des théâtres en tant que comédiens(nes) amateurs(es), on saura doublement jauger à quel point jouer est un métier hors du commun !
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Brigitte Corrigou
06/03/2024
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"L'Effet Papillon" Se laisser emporter au fil d'un simple vol de papillon pour une fascinante expérience

Vous pensez que vos choix sont libres ? Que vos pensées sont bien gardées dans votre esprit ? Que vous êtes éventuellement imprévisibles ? Et si ce n'était pas le cas ? Et si tout partait de vous… Ouvrez bien grands les yeux et vivez pleinement l'expérience de l'Effet Papillon !

© Pics.
Vous avez certainement entendu parler de "l'effet papillon", expression inventée par le mathématicien-météorologue Edward Lorenz, inventeur de la théorie du chaos, à partir d'un phénomène découvert en 1961. Ce phénomène insinue qu'il suffit de modifier de façon infime un paramètre dans un modèle météo pour que celui-ci s'amplifie progressivement et provoque, à long terme, des changements colossaux.

Par extension, l'expression sous-entend que les moindres petits événements peuvent déterminer des phénomènes qui paraissent imprévisibles et incontrôlables ou qu'une infime modification des conditions initiales peut engendrer rapidement des effets importants. Ainsi, les battements d'ailes d'un papillon au Brésil peuvent engendrer une tornade au Mexique ou au Texas !

C'est à partir de cette théorie que le mentaliste Taha Mansour nous invite à nouveau, en cette rentrée, à effectuer un voyage hors du commun. Son spectacle a reçu un succès notoire au Sham's Théâtre lors du Festival d'Avignon cet été dernier.

Impossible que quiconque sorte "indemne" de cette phénoménale prestation, ni que nos certitudes sur "le monde comme il va", et surtout sur nous-mêmes, ne soient bousculées, chamboulées, contrariées.

"Le mystérieux est le plus beau sentiment que l'on peut ressentir", Albert Einstein. Et si le plus beau spectacle de mentalisme du moment, en cette rentrée parisienne, c'était celui-là ? Car Tahar Mansour y est fascinant à plusieurs niveaux, lui qui voulait devenir ingénieur, pour qui "Centrale" n'a aucun secret, mais qui, pourtant, a toujours eu une âme d'artiste bien ancrée au fond de lui. Le secret de ce spectacle exceptionnel et époustouflant serait-il là, niché au cœur du rationnel et de la poésie ?

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"Deux mains, la liberté" Un huis clos intense qui nous plonge aux sources du mal

Le mal s'appelle Heinrich Himmler, chef des SS et de la Gestapo, organisateur des camps de concentration du Troisième Reich, très proche d'Hitler depuis le tout début de l'ascension de ce dernier, près de vingt ans avant la Deuxième Guerre mondiale. Himmler ressemble par son physique et sa pensée à un petit, banal, médiocre fonctionnaire.

© Christel Billault.
Ordonné, pratique, méthodique, il organise l'extermination des marginaux et des Juifs comme un gestionnaire. Point. Il aurait été, comme son sous-fifre Adolf Eichmann, le type même décrit par Hannah Arendt comme étant la "banalité du mal". Mais Himmler échappa à son procès en se donnant la mort. Parfois, rien n'est plus monstrueux que la banalité, l'ordre, la médiocrité.

Malgré la pâleur de leur personnalité, les noms de ces âmes de fonctionnaires sont gravés dans notre mémoire collective comme l'incarnation du Mal et de l'inimaginable, quand d'autres noms - dont les actes furent éblouissants d'humanité - restent dans l'ombre. Parmi eux, Oskar Schindler et sa liste ont été sauvés de l'oubli grâce au film de Steven Spielberg, mais également par la distinction qui lui a été faite d'être reconnu "Juste parmi les nations". D'autres n'ont eu aucune de ces deux chances. Ainsi, le héros de cette pièce, Félix Kersten, oublié.

Joseph Kessel lui consacra pourtant un livre, "Les Mains du miracle", et, aujourd'hui, Antoine Nouel, l'auteur de la pièce, l'incarne dans la pièce qu'il a également mise en scène. C'est un investissement total que ce comédien a mis dans ce projet pour sortir des nimbes le visage étonnant de ce personnage de l'Histoire qui, par son action, a fait libérer près de 100 000 victimes du régime nazi. Des chiffres qui font tourner la tête, mais il est le résultat d'une volonté patiente qui, durant des années, négocia la vie contre le don.

Bruno Fougniès
15/10/2023