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Théâtre

"Les Géants de la montagne" : à la lisière de la réalité et de l'imaginaire, du représentable et de l'indicible

"Les Géants de la montagne", Théâtre La Colline, Paris

C'est une villa perdue dans la montagne dans laquelle de pauvres gens et fragiles… guignards… poissards… quasi-spectres… peuvent voir se réaliser toutes leurs imaginations maladives grâce à la magie, qui règne en ces lieux, dirigée par Cotrone qui sait faire des étincelles et autres coups de théâtre.



© Elisabeth Carecchio.
© Elisabeth Carecchio.
Attentif, il accompagne ce petit monde en les protégeant des regards. Arrive une troupe de théâtre ruinée, sans public, désespérée, qui souffre de l'impossibilité de représenter vraiment une histoire tragique et vraie.

Leur choix de répertoire est compliqué puisque la pièce qu'ils veulent représenter, qui traite de la substitution d'enfants entre un roi et un paysan, est largement autobiographique et prête le flanc à la moquerie. La comédienne principale et le jeune auteur poète décédé ont été unis dans un amour idéal.

Face à ce projet insensé, Cotrone leur offre l'asile. Et avec l'aide du maître des lieux et ses talents, il est décidé de présenter l'œuvre aux autochtones, aux "géants de la montagne"…

La pièce de Luigi Pirandello n'est pas achevée, elle reste en suspens.

© Elisabeth Carecchio.
© Elisabeth Carecchio.
Avec ses trois actes, elle développe une intrigue qui joue à l'envi avec les interrogations propre à la théâtralité du monde et de l'Art. Théâtre dans le théâtre, tout se passe un peu comme si la troupe entrant dans la cour du palais d'Hamlet y rencontrait Prospéro, Alcandre et Shakespeare.

La pièce se place sur la frontière de l'illusion et de la folie, entre la farce et la tragédie, à la lisière de la réalité et de l'imaginaire, du représentable et de l'indicible. De glissements en glissements, elle met en abyme l'art théâtral lui-même, vu comme un temple de l'illusion et de la désillusion. Les géants de la montagne est marqué par un lourd soupçon de désenchantement et de "unhappy end".

La proposition scénique de Stéphane Braunschweig occulte le lointain. Le centre de la scène est occupé par une massive encombrante boîte, cage, chambre fermée au regard. Et du spectateur et des acteurs. C'est une boîte noire au sein de laquelle se métamorphosent les songes des uns et des autres. De squelettes d'avatars en figures projetées et dont on ne connaît que les effets.

© Elisabeth Carecchio.
© Elisabeth Carecchio.
Les comédiens du coup se retrouvent placés à son pourtour, sur une avant-scène indifférenciée, un entre-deux qui est une zone de flottement entre les différentes réalités de la représentation, ni tout à fait réelles ni tout à fait transfigurées.

La situation est scéniquement inconfortable. Le dispositif montre l'impossibilité d'une mise en abyme et l'impossibilité de la représentation, il est fidèle en cela à la lettre de l'œuvre.

Ce faisant, Stéphane Braunschweig ôte toute capacité à sa machine théâtrale de créer le contrepoint du merveilleux. Ce qui est dommage puisque le pouvoir d'enchantement est attribué à Cotrone dès le départ de la pièce et la charge de ce rôle demeure la pièce durant.

Le spectateur est ainsi privé d'une partie de son plaisir et les comédiens de la puissance de leurs effets.

"Les Géants de la montagne"

© Elisabeth Carecchio.
© Elisabeth Carecchio.
Texte : Luigi Pirandello.
Traduction de l'italien : Stéphane Braunschweig.
Mise en scène et scénographie : Stéphane Braunschweig.
Avec : John Arnold, Elsa Bouchain, Cécile Coustillac, Daria Deflorian, Claude Duparfait, Julien Geffroy, Laurent Lévy, Thierry Paret, Romain Pierre, Pierric Plathier, Dominique Reymond, Marie Schmitt, Jean‑Baptiste Verquin, Jean‑Philippe Vidal.
Collaboration artistique : Anne-Françoise Benhamou.
Collaboration à la scénographie : Alexandre de Dardel.
Costumes : Thibault Vancraenenbroeck.
Lumières : Marion Hewlett.
Son : Xavier Jacquot.
Vidéo-animation : Christian Volckman.
Maquillage et coiffures : Karine Guillem.
Assistanat à la mise en scène : Amélie Énon.
Durée : 1 h 45 environ.

Du 2 septembre au 16 octobre 2015.
Relâche du 18 au 28 septembre inclus.
Du mercredi au samedi à 20 h 30, le mardi à 19 h 30 et le dimanche à 15 h 30.
Théâtre La Colline, Grande Salle, Paris 20e, 01 44 62 52 52.
>> colline.fr

Jean Grapin
Vendredi 11 Septembre 2015

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