La Revue du Spectacle, le magazine des arts de la scène et du spectacle vivant. Infos théâtre, chanson, café-théâtre, cirque, arts de la rue, agenda, CD, etc.



Augmenter la taille du texte
Diminuer la taille du texte
Partager
Théâtre

Seuls… avec lui-même et avec les autres

"Seuls", Théâtre de la Colline, Paris

Le dramaturge Wajdi Mouawad se fait acteur et metteur en scène pour traiter son thème de prédilection qui est celui des origines. Presque seul, le personnage se questionne en esquissant une mise en perspective autour de sa famille et de son histoire.



© Thibaut Baron.
© Thibaut Baron.
Un lit contre un mur ocre, un téléphone posé par terre, un homme en caleçon qui marche dans la pièce. Il est seul avec ce téléphone qui ne sonne pas. Cela tombe directement sur la messagerie. La symbolique est posée sur les problèmes de communication. Il y a une présence mais c'est un mur en face, celui du père du personnage. Chez Mouawad, les univers sont toujours un peu décalés avec un père, pour "Seuls", qui tombe dans le coma mais, au final, c'est le fils qui l'est, prenant la place du père. Tout est affaire de symbole qui se loge dans l'imaginaire en tapant à la porte du réel.

Tout démarre par un silence. Long. Le jeu de Mouawad est semé de pauses. Puis les mots pleuvent comme une grêle d'histoires ou de reproches nourrissant des états d'âme et des émotions qui débordent le lit trop plein de Harwan, le personnage. Le jeu fait osciller autant la raison que les sentiments, autant la colère que le recul. L'homme est en proie à cette double identité, celui des "traditions" et d'un mode de vie qui le déshabille de ce qu'il pourrait être, de ce "moi" qui ne peut devenir "Je" par la présence, entre autres, du père.

Chez Mouawad, la thématique identitaire est récurrente et n'a rien à voir avec celle que nous ressassent des politiciens à court d'idées, remplis de peur et ignorant le sens du mot humanité. Celle de la pièce se rattache à une origine que Harwan questionne.

© Thibaut Baron.
© Thibaut Baron.
Une origine que Mouawad recherche comme un fil conducteur qui lui ferait retrouver cette place de l'homme dans son histoire, mélangeant les rapports de famille, les positions des uns et des autres, le fils avec le père, la petite amie avec la sœur, faisant comme une pyramide dans laquelle les fils s'enchevêtrent, où le mieux est avec le pire, le blanc avec le noir, la réalité avec l'imaginaire. Le final de la pièce est toutefois trop long avec une symbolique peu perceptible autour de peintures avec lesquelles le personnage s'asperge en y baignant aussi la chambre.

Le jeu de Mouawad est naturel, un naturel dans lequel la part prise par notre héros investi un lieu où le silence laisse la place à la parole et à un imaginaire figuré par des vidéos où une ombre délaisse le corps du personnage pour aller ailleurs, comme pour être autre chose. Son jeu oscille entre calme, méditation, colère et silence. Ce sont ces quatre états basés sur des déplacements et une forme de fixité qui orientent toute la pièce autour d'un univers mi-clos ouvert vers l'autre, un ailleurs d'un autre espace. Une sœur, un père dont on ignore leurs emplacements géographiques, sont les interlocuteurs de notre personnage. Des vidéos, des photos viennent ponctuer son récit.

Le théâtre de Mouawad est un théâtre d'intersections, où les histoires et les personnages se recoupent, où la trame se perd dans les dédales avec l'irruption d'un événement traumatique qui bouscule l'univers de la pièce. On s'y perd quelque peu, ce qui rend l'histoire attrayante, presque comme le personnage frappé par l'événement. Le spectateur peut être autant saisi que le personnage, tout aussi perdu que lui, à la recherche d'une narration, d'un fil, d'une trame pour remonter à la source. La source des origines pour savoir d'où venons-nous et de quelle histoire sommes-nous.

"Seuls"

© Thibaut Baron.
© Thibaut Baron.
Texte, mise en scène : Wajdi Mouawad.
Avec : Wajdi Mouawad.
Dramaturgie, écriture de thèse : Charlotte Farcet.
Conseiller artistique : François Ismert.
Assistante à la mise en scène création : Irène Afker.
Assistante à la mise en scène tournée : Valérie Nègre.
Scénographie : Emmanuel Clolus.
Lumières : Éric Champoux.
Costumes : Isabelle Larivière.
Réalisation sonore : Michel Maurer.
Musique originale : Michael Jon Fink.
Réalisation vidéo : Dominique Daviet.
Durée : 2 heures.

Du 23 septembre au 9 octobre 2016.
Du mercredi au samedi à 20 h 30, mardi à 19 h 30 et dimanche à 15 h 30.
La Colline Théâtre national, Grand Théâtre, Paris 20e, 01 44 62 52 52.
>> colline.fr

Safidin Alouache
Mardi 4 Octobre 2016

Nouveau commentaire :

Théâtre | Danse | Concerts & Lyrique | À l'affiche | À l'affiche bis | Cirque & Rue | Humour | Festivals | Pitchouns | Paroles & Musique | Avignon 2017 | Avignon 2018 | Avignon 2019 | CédéDévédé | Trib'Une | RV du Jour | Pièce du boucher | Coulisses & Cie | Coin de l’œil | Archives | Avignon 2021 | Avignon 2022 | Avignon 2023 | Avignon 2024 | À l'affiche ter | Avignon 2025












À Découvrir

"La Chute" Une adaptation réussie portée par un jeu d'une force organique hors du commun

Dans un bar à matelots d'Amsterdam, le Mexico-City, un homme interpelle un autre homme.
Une longue conversation s'initie entre eux. Jean-Baptiste Clamence, le narrateur, exerçant dans ce bar l'intriguant métier de juge-pénitent, fait lui-même les questions et les réponses face à son interlocuteur muet.

© Philippe Hanula.
Il commence alors à lever le voile sur son passé glorieux et sa vie d'avocat parisien. Une vie réussie et brillante, jusqu'au jour où il croise une jeune femme sur le pont Royal à Paris, et qu'elle se jette dans la Seine juste après son passage. Il ne fera rien pour tenter de la sauver. Dès lors, Clamence commence sa "chute" et finit par se remémorer les événements noirs de son passé.

Il en est ainsi à chaque fois que nous prévoyons d'assister à une adaptation d'une œuvre d'Albert Camus : un frémissement d'incertitude et la crainte bien tangible d'être déçue nous titillent systématiquement. Car nous portons l'auteur en question au pinacle, tout comme Jacques Galaud, l'enseignant-initiateur bien inspiré auprès du comédien auquel, il a proposé, un jour, cette adaptation.

Pas de raison particulière pour que, cette fois-ci, il en eût été autrement… D'autant plus qu'à nos yeux, ce roman de Camus recèle en lui bien des considérations qui nous sont propres depuis toujours : le moi, la conscience, le sens de la vie, l'absurdité de cette dernière, la solitude, la culpabilité. Entre autres.

Brigitte Corrigou
09/10/2024
Spectacle à la Une

"Very Math Trip" Comment se réconcilier avec les maths

"Very Math Trip" est un "one-math-show" qui pourra réconcilier les "traumatisés(es)" de cette matière que sont les maths. Mais il faudra vous accrocher, car le cours est assuré par un professeur vraiment pas comme les autres !

© DR.
Ce spectacle, c'est avant tout un livre publié par les Éditions Flammarion en 2019 et qui a reçu en 2021 le 1er prix " La Science se livre". L'auteur en est Manu Houdart, professeur de mathématiques belge et personnage assez emblématique dans son pays. Manu Houdart vulgarise les mathématiques depuis plusieurs années et obtient le prix de " l'Innovation pédagogique" qui lui est décerné par la reine Paola en personne. Il crée aussi la maison des Maths, un lieu dédié à l'apprentissage des maths et du numérique par le jeu.

Chaque chapitre de cet ouvrage se clôt par un "Waooh" enthousiaste. Cet enthousiasme opère aussi chez les spectateurs à l'occasion de cet one-man-show exceptionnel. Un spectacle familial et réjouissant dirigé et mis en scène par Thomas Le Douarec, metteur en scène du célèbre spectacle "Les Hommes viennent de Mars et les femmes de Vénus".

N'est-ce pas un pari fou que de chercher à faire aimer les mathématiques ? Surtout en France, pays où l'inimitié pour cette matière est très notoire chez de nombreux élèves. Il suffit pour s'en faire une idée de consulter les résultats du rapport PISA 2022. Rapport édifiant : notre pays se situe à la dernière position des pays européens et avant-dernière des pays de l'OCDE.
Il faut urgemment reconsidérer les bases, Monsieur le ministre !

Brigitte Corrigou
12/04/2025
Spectacle à la Une

"La vie secrète des vieux" Aimer même trop, même mal… Aimer jusqu'à la déchirure

"Telle est ma quête", ainsi parlait l'Homme de la Mancha de Jacques Brel au Théâtre des Champs-Élysées en 1968… Une quête qu'ont fait leur cette troupe de vieux messieurs et vieilles dames "indignes" (cf. "La vieille dame indigne" de René Allio, 1965, véritable ode à la liberté) avides de vivre "jusqu'au bout" (ouaf… la crudité revendiquée de leur langue émancipée y autorise) ce qui constitue, n'en déplaise aux catholiques conservateurs, le sel de l'existence. Autour de leur metteur en scène, Mohamed El Khatib, ils vont bousculer les règles de la bienséance apprise pour dire sereinement l'amour chevillé au corps des vieux.

© Christophe Raynaud de Lage.
Votre ticket n'est plus valable. Prenez vos pilules, jouez au Monopoly, au Scrabble, regardez la télé… des jeux de votre âge quoi ! Et surtout, ayez la dignité d'attendre la mort en silence, on ne veut pas entendre vos jérémiades et – encore moins ! – vos chuchotements de plaisir et vos cris d'amour… Mohamed El Khatib, fin observateur des us et coutumes de nos sociétés occidentales, a documenté son projet théâtral par une série d'entretiens pris sur le vif en Ehpad au moment de la Covid, des mouroirs avec eau et électricité à tous les étages. Autour de lui et d'une aide-soignante, artiste professionnelle pétillante de malice, vont exister pleinement huit vieux et vieilles revendiquant avec une belle tranquillité leur droit au sexe et à l'amour (ce sont, aussi, des sentimentaux, pas que des addicts de la baise).

Un fauteuil roulant poussé par un vieux très guilleret fait son entrée… On nous avertit alors qu'en fonction du grand âge des participant(e)s au plateau, et malgré les deux défibrillateurs à disposition, certain(e)s sont susceptibles de mourir sur scène, ce qui – on l'admettra aisément – est un meilleur destin que mourir en Ehpad… Humour noir et vieilles dentelles, le ton est donné. De son fauteuil, la doyenne de la troupe, 91 ans, Belge et ancienne présentatrice du journal TV, va ar-ti-cu-ler son texte, elle qui a renoncé à son abonnement à la Comédie-Française car "ils" ne savent plus scander, un vrai scandale ! Confiant plus sérieusement que, ce qui lui manque aujourd'hui – elle qui a eu la chance d'avoir beaucoup d'hommes –, c'est d'embrasser quelqu'un sur la bouche et de manquer à quelqu'un.

Yves Kafka
30/08/2024