La Revue du Spectacle, le magazine des arts de la scène et du spectacle vivant. Infos théâtre, chanson, café-théâtre, cirque, arts de la rue, agenda, CD, etc.



Augmenter la taille du texte
Diminuer la taille du texte
Partager
Théâtre

"Beaucoup de bruit pour rien" Du bruit mais aussi des musiques, des danses, des fantaisies débridées et beaucoup d'une saine exubérance

C'est une des comédies les plus connues de Shakespeare. Elle raconte, avec humour et d'innombrables péripéties, les intrigues autour de deux histoires d'amour. Celle de Claudio et Hero, deux tourtereaux dont la vilenie va troubler le mariage ; et celle de Benedict et Béatrice, qui se haïssent au départ, pour lesquels un complot comique va faire naître l'amour.



© Kenza Vannoni.
© Kenza Vannoni.
Une histoire tragique et une histoire comique se croisent dans cette Sicile fantasmée. Et tous les ressorts de la comédie, travestissements, complots, calomnies, quiproquos, stratagèmes et personnages ridicules sont présents. Actifs. Multiples.

La mise en scène de Maïa Sandoz et Paul Moulin choisit radicalement le foisonnement, l'exubérance et la démesure pour emporter les spectateurs dans un tourbillon enjoué et ironique. La traduction/adaptation elle-même prend toutes les libertés avec le texte original, quitte à introduire dans les dialogues des insertions directement prises dans l'actualité. Le risque est d'altérer le propos de la pièce et de faire grincer des dents aux puristes. L'intérêt est d'insuffler dans ce texte vieux de cinq siècles une modernité qui le rende audible par le public actuel.

Mais existe-t-il une pièce de Shakespeare qui, même dans les plus tragiques, ne contient pas des scènes de démesures, des dialogues sous forme de joutes verbales, de personnages de farce et des bouffons au milieu des champs de bataille ? Cette mise en scène use de cette liberté pour dérouler, pendant près de deux heures, fantaisies, outrances, scènes burlesques et capsules chantées impulsées par l'énergie de la douzaine de comédiennes et de comédiens, toutes et tous très expressifs, inventifs, rigoureux.

© Kenza Vannoni.
© Kenza Vannoni.
On peut ressentir dans la salle le plaisir qu'elles et ils ressentent à jouer ces personnages expansifs et à dire ces répliques pleines d'esprit et de sous-entendus, et à ourdir ces machinations, et à revêtir les différents habits et rôles que certains endossent. Sans parler pour ce qui en est de la représentation vue le 18 juin 2021, de Lucie Lataste et de Patrick Gache qui ont traduit en langue des signes français toute la pièce. La mise en scène et les personnages les intègrent totalement dans presque toutes les scènes. Leurs présences ajoutent encore un supplément de lecture, comme un sous-texte visuel, tant ces deux interprètes sont dans le jeu, l'action, le théâtre.

Comédie ne veut pas dire vacuité du propos. Pourquoi monter "Beaucoup de bruit pour rien" avec une telle ampleur, un tel débridement, une telle envie d'exprimer des choses que l'on sent palpiter au plateau ? Le nœud de la pièce est la calomnie, provoquée par la jalousie et la fabrication d'une illusion : la scène où une fausse Héro reçoit de nuit l'hommage d'un faux amant. Des faux-semblants qui ressemblent fort aux fakes news que nous connaissons, des condamnations et autres harcèlements qui peuvent se propager sur quiconque est pris à partie.

L'envie de montrer cette pièce vient peut-être de là : de cette transgression sous couvert du rire, les habitudes d'une société patriarcale où la calomnie peut provoquer la mort. Ce jeu de théâtre est très présent dans cette mise en scène, comme pour indiquer le danger des apparences trompeuses, des illusions et des fausses promesses.

Sauf à de très rares moments, la qualité de la mise en scène de Maïa Sandoz et Paul Moulin est de ne pas dépasser la limite du burlesque pour tomber dans le grotesque, le facile, le superficiel. Le théâtre et l'envers du théâtre sont ici mis à nu pour nous montrer les rouages de l'illusion. Certaines images, certains échanges font penser aux Monty Python. D'autres passages festifs à Jérôme Savary. Le spectacle part dès maintenant en tournée.

"Beaucoup de bruit pour rien"

© Kenza Vannoni.
© Kenza Vannoni.
Texte : William Shakespeare.
Mise en scène : Maïa Sandoz & Paul Moulin.
Assistante mise en scène : Clémence Barbier.
Avec : Serge Biavan, Maxime Coggio, Christophe Danvin, Mathilde-Edith Mennetrier et Elsa Verdon (en alternance), Gilles Nicolas, Paul Moulin, Soulaymane Rkiba, Aurélie Vérillon, Mélissa Zehner.
Comédienne et comédien Langue des Signes Français : Lucie Lataste et Patrick Gache.
Traduction-adaptation : Clémence Barbier, Paul Moulin, Maïa Sandoz et Paolo Sandoz.
Création lumière : Bruno Brinas.
Création sonore et musicale : Christophe Danvin.
Mise en espace sonore : Jean-François Domingues et Samuel Mazzoti.
Coach vocal : Sinan Bertrand.
Scénographie et costumes : Catherine Cosme.
Collaboration chorégraphique : Gilles Nicolas, assisté de Stan Weiszer.
Collaboration artistique : Guillaume Moitessier
Régie Générale : David Ferré
Régie Plateau : Paolo Sandoz
Durée : 1 h 50.

© Kenza Vannoni.
© Kenza Vannoni.
A été joué du 16 au 18 juin 2021 au ThéâtredelaCité, CDN Toulouse Occitanie.

Tournée 2021/2022
23 juin 2021 : L'Equinoxe, Châteauroux (36).
26 juin 2021 : EMC, Saint-Michel-Sur-Orge (91).
Du 7 au 9 juillet 2021 : MC2, Grenoble (38).
7 et 8 octobre 2021 : L'Agora, Scène Nationale de l'Essonne, Évry-Courcouronnes (91).
Du 13 au 15 octobre 2021 : Théâtre 71, Malakoff (92).
20 et 21 octobre 2021 : L'Azimut, Antony/Châtenay-Malabry (92).
23 novembre 2021 : Les 3T, Châtellerault (86).
4 mars 2022 : La Faïencerie, Creil (60).
Du 25 au 27 mars 2022 : La Ferme du Buisson, Noisiel (77).
31 mai 2022 : Théâtre des Deux Rives, Charenton-le-Pont (94).

Bruno Fougniès
Mardi 22 Juin 2021

Nouveau commentaire :

Théâtre | Danse | Concerts & Lyrique | À l'affiche | À l'affiche bis | Cirque & Rue | Humour | Festivals | Pitchouns | Paroles & Musique | Avignon 2017 | Avignon 2018 | Avignon 2019 | CédéDévédé | Trib'Une | RV du Jour | Pièce du boucher | Coulisses & Cie | Coin de l’œil | Archives | Avignon 2021 | Avignon 2022 | Avignon 2023 | Avignon 2024 | À l'affiche ter | Avignon 2025







À Découvrir

"Lilou et Lino Le Voyage vers les étoiles" Petit à petit, les chats deviennent l'âme de la maison*

Qu'il est bon de se retrouver dans une salle de spectacle !
Qu'il est agréable de quitter la jungle urbaine pour un moment de calme…
Qu'il est hallucinant de risquer encore plus sa vie à vélo sur une piste cyclable !
Je ne pensais pas dire cela en pénétrant une salle bondée d'enfants, mais au bruit du dehors, très souvent infernal, j'ai vraiment apprécié l'instant et le brouhaha des petits, âgés, de 3 à 8 ans.

© Delphine Royer.
Sur scène du Théâtre Essaïon, un décor représente une chambre d'enfant, celle d'une petite fille exactement. Cette petite fille est interprétée par la vive et solaire Vanessa Luna Nahoum, tiens ! "Luna" dans son prénom, ça tombe si bien. Car c'est sur la lune que nous allons voyager avec elle. Et les enfants, sages comme des images, puisque, non seulement, Vanessa a le don d'adoucir les plus dissipés qui, très vite, sont totalement captés par la douceur des mots employés, mais aussi parce que Vanessa apporte sa voix suave et apaisée à l'enfant qu'elle incarne parfaitement. Un modèle pour les parents présents dans la salle et un régal pour tous ses "mini" yeux rivés sur la scène. Face à la comédienne.

Vanessa Luna Nahoum est Lilou et son chat – Lino – n'est plus là. Ses parents lui racontent qu'il s'est envolé dans les étoiles pour y pêcher. Quelle étrange idée ! Mais la vie sans son chat, si belle âme, à la fois réconfortante, câline et surprenante, elle ne s'y résout pas comme ça. Elle l'adore "trop" son animal de compagnie et qui, pour ne pas comprendre cela ? Personne ce matin en tout cas. Au contraire, les réactions fusent, le verbe est bien choisi. Les enfants sont entraînés dans cette folie douce que propose Lilou : construire une fusée et aller rendre visite à son gros minet.

Isabelle Lauriou
15/05/2025
Spectacle à la Une

"Un Chapeau de paille d'Italie" Une version singulière et explosive interrogeant nos libertés individuelles face aux normalisations sociétales et idéologiques

Si l'art de générer des productions enthousiastes et inventives est incontestablement dans l'ADN de la compagnie L'Éternel Été, l'engagement citoyen fait aussi partie de la démarche créative de ses membres. La présente proposition ne déroge pas à la règle. Ainsi, Emmanuel Besnault et Benoît Gruel nous offrent une version décoiffante, vive, presque juvénile, mais diablement ancrée dans les problématiques actuelles, du "Chapeau de paille d'Italie"… pièce d'Eugène Labiche, véritable référence du vaudeville.

© Philippe Hanula.
L'argument, simple, n'en reste pas moins source de quiproquos, de riantes ficelles propres à la comédie et d'une bonne dose de situations grotesques, burlesques, voire absurdes. À l'aube d'un mariage des plus prometteurs avec la très florale Hélène – née sans doute dans les roses… ornant les pépinières parentales –, le fringant Fadinard se lance dans une quête effrénée pour récupérer un chapeau de paille d'Italie… Pour remplacer celui croqué – en guise de petit-déj ! – par un membre de la gent équestre, moteur exclusif de son hippomobile, ci-devant fiacre. À noter que le chapeau alimentaire appartenait à une belle – porteuse d'une alliance – en rendez-vous coupable avec un soldat, sans doute Apollon à ses heures perdues.

N'ayant pas vocation à pérenniser toute forme d'adaptation académique, nos deux metteurs en scène vont imaginer que cette histoire absurde est un songe, le songe d'une nuit… niché au creux du voyage ensommeillé de l'aimable Fadinard. Accrochez-vous à votre oreiller ! La pièce la plus célèbre de Labiche se transforme en une nouvelle comédie explosive, électro-onirique ! Comme un rêve habité de nounours dans un sommeil moelleux peuplé d'êtres extravagants en doudounes orange.

Gil Chauveau
11/03/2024
Spectacle à la Une

"La vie secrète des vieux" Aimer même trop, même mal… Aimer jusqu'à la déchirure

"Telle est ma quête", ainsi parlait l'Homme de la Mancha de Jacques Brel au Théâtre des Champs-Élysées en 1968… Une quête qu'ont fait leur cette troupe de vieux messieurs et vieilles dames "indignes" (cf. "La vieille dame indigne" de René Allio, 1965, véritable ode à la liberté) avides de vivre "jusqu'au bout" (ouaf… la crudité revendiquée de leur langue émancipée y autorise) ce qui constitue, n'en déplaise aux catholiques conservateurs, le sel de l'existence. Autour de leur metteur en scène, Mohamed El Khatib, ils vont bousculer les règles de la bienséance apprise pour dire sereinement l'amour chevillé au corps des vieux.

© Christophe Raynaud de Lage.
Votre ticket n'est plus valable. Prenez vos pilules, jouez au Monopoly, au Scrabble, regardez la télé… des jeux de votre âge quoi ! Et surtout, ayez la dignité d'attendre la mort en silence, on ne veut pas entendre vos jérémiades et – encore moins ! – vos chuchotements de plaisir et vos cris d'amour… Mohamed El Khatib, fin observateur des us et coutumes de nos sociétés occidentales, a documenté son projet théâtral par une série d'entretiens pris sur le vif en Ehpad au moment de la Covid, des mouroirs avec eau et électricité à tous les étages. Autour de lui et d'une aide-soignante, artiste professionnelle pétillante de malice, vont exister pleinement huit vieux et vieilles revendiquant avec une belle tranquillité leur droit au sexe et à l'amour (ce sont, aussi, des sentimentaux, pas que des addicts de la baise).

Un fauteuil roulant poussé par un vieux très guilleret fait son entrée… On nous avertit alors qu'en fonction du grand âge des participant(e)s au plateau, et malgré les deux défibrillateurs à disposition, certain(e)s sont susceptibles de mourir sur scène, ce qui – on l'admettra aisément – est un meilleur destin que mourir en Ehpad… Humour noir et vieilles dentelles, le ton est donné. De son fauteuil, la doyenne de la troupe, 91 ans, Belge et ancienne présentatrice du journal TV, va ar-ti-cu-ler son texte, elle qui a renoncé à son abonnement à la Comédie-Française car "ils" ne savent plus scander, un vrai scandale ! Confiant plus sérieusement que, ce qui lui manque aujourd'hui – elle qui a eu la chance d'avoir beaucoup d'hommes –, c'est d'embrasser quelqu'un sur la bouche et de manquer à quelqu'un.

Yves Kafka
30/08/2024