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Festivals

Le festival Trente Trente au Pôle National du Cirque de Boulazac

Ce mardi 21 janvier avait lieu la première soirée du festival Trente Trente qui déroule sa programmation à Bordeaux et aux environs jusqu'au 1er février. Celle-ci était dédiée au cirque dans les bâtiments du Pôle National du Cirque de Boulazac. Deux heures de car depuis Bordeaux pour assister à quatre spectacles.



"À nos vertiges" © Pierre Planchenault.
"À nos vertiges" © Pierre Planchenault.
Au programme, des formes courtes qui sont la marque de fabrique de ce festival hors normes qui, depuis 15 ans, propose sur une dizaine de jours, des petites formes qui font appel à une infinité de disciplines artistiques : musicales, chorégraphiques, plastiques, performances en tous genres, spectacles vivants de tous styles, de toutes durées… Bref, un catalogue large de ce que la création scénique peut receler comme trésors et que Jean-Luc Terrade, fondateur et directeur artistique du festival, déniche sur tout le continent.

Ce soir-là, ce fut donc cirque !

"Dans ma chambre - Épisode 2"

"Dans ma chambre" © Pierre Planchenault.
"Dans ma chambre" © Pierre Planchenault.
Théâtre/Cirque
Sur le plateau, un lit, un panneau de planches de bois blanc, quelques tranches d'arbre et sur le devant un échelle simple, tenue par un des deux interprètes. L'autre est juché en haut des échelons. Passe à travers les barreaux. Dialogue avec celui qui tient l'échelle. Un dialogue comme volé à une réalité. Pendant que les spectateurs s'installent dans la salle de l'Agora, le jeu d'équilibre et le dialogue lapidaire se poursuivent. Des mots simples, comme ceux qu'échangent deux personnes en train d'effectuer une tâche quelque peu périlleuse… Bref, des conseils et des plaintes et des mises en garde que la situation vaguement absurde rend drôles.

Ce mode de comédie détachée va continuer tout au long de cette demi-heure de spectacle qui mêle, avec une ironie tranquille, jeu de théâtre et équilibre. Tout le spectacle est à mi-distance entre réalité et exceptionnalité. Il raconte une relation entre amour et amitié, entre passion et dévouement. Comme s'il était un pont entre la magie - que porte en lui l'art du cirque - et le réel. D'ailleurs, cet art du cirque, de l'équilibre, il en est question ici dans l'aide aux personnes âgées dans ce qu'ils nomment : le cirque adapté.

Mais ce qui ressort, essentiel, au travers de cette humeur drôle et tendre qui se décline tout au long du spectacle, c'est la sensation d'assister à un moment d'intense tolérance. Arnaud Saury, d'essence comédien, et Édouard Peurichard, artiste circassien, posent aussi la question des corps, du corps de l'autre, qui devient lieu d'escalade, planche d'envol, soutien.

Compagnie Mathieu Ma Fille Foundation, Marseille.
Conception : Arnaud Saury.
Écriture et interprétation : Arnaud Saury et Édouard Peurichard.
Lumière : Zoé Dada.
Son : Manuel Coursin.
Régie générale : Paul Fontaine.
Durée : 35 minutes.

"Tantric Équation"

"Tantric Équation" © Pierre Planchenault.
"Tantric Équation" © Pierre Planchenault.
Musique
Une performance musicale qui réunit une douzaine de musiciens, avec essentiellement des guitares et basses électriques, qui déclinent durant vingt minutes exactement des évolutions autour d'un unisson si riche qu'il devient presque tactile. Le son des basses quitte définitivement sa vertu rythmique pour devenir nappe et vibration quasi palpable. Ce long morceau aux mouvements semblant serpentaires, se développe moitié en improvisation, mais suit pourtant une partition précise, établie.

On croirait que, pour Tantric Équation, le temps et le tempo s'égrènent dans deux modes différents. Musique contemporaine ou performance sonore originale, l'impression de forces sourdes et de musicalité, variant comme des ondes physiques, captivent l'attention.

Érik Baron/D-Zakord.
Formation bordelaise.
Basses électriques : Alain Guyon, Alivier Lafont, Michel Pierna, Yves Sternicha, Érik Baron.
Guitares électriques : Dominique Badia, Olivier Bobinnec, Françoise Courrech, Francis Rateau, Bruno Rémazeilles.
Gongs : Jean-Marc Aléhaux, Valérie Capdepont, Thierry Jardinier.
Durée : 20 minutes.

"Dans ton cirque (Pour en finir avec la finesse)"

"Dans ton cirque" © Pierre Planchenault.
"Dans ton cirque" © Pierre Planchenault.
Création 2020 - Cirque/Corde lisse
Dans une autre salle, le Cube, se dresse une haute structure métallique à laquelle pend une corde lisse. Sur le côté, une table de régie où siègent deux interprètes qui vont être parties prenantes du spectacle. Un spectacle qui questionne le cirque sur son utilité. Au travers une série de phrases volées sur le net et en exposant l'évolution de cet art depuis les années soixante (la "Piste aux étoiles" et la voix de Roger Lanzac !), "Dans ton cirque" jette sur la piste des morceaux de réponses.

Et cela commence par un clin d'œil énorme à cette Piste aux étoiles que la télévision française retransmettait toutes les semaines dans les années soixante à soixante-dix. Sur la piste, une voltigeuse toute de lingerie vêtue et un porteur qui va faire tourner la donzelle de plus en vite en haut de sa corde lisse. À l'époque, les rôles étaient distribués. Passé ce court et drôle intermède, les deux acrobates se changent à vue dans leurs loges pour revenir dans notre siècle et s'envoler sans étourdissements le long de cette corde lisse qui est comme un fil de vie tombé du ciel.

D'une main ferme, d'un pied agile, les deux corps s'imbriquent, deviennent topographie l'un pour l'autre, se jettent dans le vide et se rattrapent. Maintenant, les rôles se partagent. Elle est autant porteuse que lui est voltigeur. C'est aussi, une partie de ce discours qui veut fissurer les vieux clivages, les vieilles différences entre hommes et femmes.

C'est d'ailleurs quelque chose que les trois spectacles visuels de cette soirée ont en commun : qu'ils impliquent le monde dans l'art et l'art dans le monde réel. Et pour renforcer encore cette idée d'action sur le monde, d'implication, le public est convié à la fin à envahir le plateau, à écrire sur une vaste toile son sentiment sur le monde actuel et à trinquer et échanger avec les artistes.

L'Association du Vide.
Une création collective avec :
Roselyne Burger (la productrice), Léa Gadbois-Lamer (la costumière), Lawrence Williams (le compositeur).
Les musiciens : Julien Chamla, Benjamin Glibert, Sébastien Cirotteau, Lawrence Williams.
Le sondier : Alexis Auffray.
Le régisseur général : Adrien Maheux.
Le génie de la lampe : Clément Bonin.
Les artificiers : Boris Abalain et Loïc Chauloux.
Les directeurs de piste : Anna Tauber, Fragan Gehlker, Vivi Roiha.
Durée : 30 minutes.

"À nos vertiges"

"À nos vertiges" © Pierre Planchenault.
"À nos vertiges" © Pierre Planchenault.
Cirque
"À nos vertiges" est un spectacle muet, mais pas silencieux, au contraire, il parle énormément à l'imaginaire. Le dispositif scénique est ici primordial. Un plateau de bois, grand comme un radeau, qui va se détacher du sol pour s'envoler, se balancer tourner puis se démultiplier comme une balançoire géante, une balançoire de rêve.

On peut voir ainsi une femme marcher dans les airs, un homme changer de place sans se déplacer lui-même, tout est en mouvement, dans des équilibres parfois difficiles et parfois dangereux lorsque les plateaux voltigent et se précipitent sur les interprètes.

Ils sont deux, un homme et une femme qui semblent avoir gardé leurs âmes d'enfants. Corentin Diana et Emma Verbèke sont autant acrobates que danseurs. Leurs courses, leurs sauts, leurs glissades et leurs figures sont tout emplis de grâce et de dynamisme. "À nos vertiges" porte bien son titre car certains passages donnent le vertige. Mais surtout, il fascine tant les mouvements des immenses balançoires forcent les corps à une recherche constante de rééquilibre.

Même s'il reste essentiellement visuel, la bande-son, très élaborée, appuie les scènes narratives et apportent une ambiance riche qui amplifie la poésie visuelle de cette création. Et l'histoire en filigrane, qui évite de tomber dans la banale histoire d'amour, raconte une complicité sur un plan d'égalité. Le choix des costumes permet d'imaginer ces acrobaties dans un quotidien, ce qui renforce encore le décalage. Seule la robe rouge finale me semble personnellement superflue.

De et avec : Corentin Diana et Emma Verbèke.
Création lumière : Clément Soumy.
Création sonore : Philippe Foch et Jérôme Fèvre.
Regard extérieur : Mathurin Bolze.
Scénographie : Didier Goury.
Accompagnement technique : Julien Mugica.
Durée : 35 minutes.

Ces spectacles ont été vus le 21 janvier 2020 à l'Agora du Pôle National du Cirque de Boulazac (24) dans le cadre du Festival Trente Trente.
>> trentetrente.com

Bruno Fougniès
Vendredi 24 Janvier 2020

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© Jean-François Delon.
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© Pics.
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Par extension, l'expression sous-entend que les moindres petits événements peuvent déterminer des phénomènes qui paraissent imprévisibles et incontrôlables ou qu'une infime modification des conditions initiales peut engendrer rapidement des effets importants. Ainsi, les battements d'ailes d'un papillon au Brésil peuvent engendrer une tornade au Mexique ou au Texas !

C'est à partir de cette théorie que le mentaliste Taha Mansour nous invite à nouveau, en cette rentrée, à effectuer un voyage hors du commun. Son spectacle a reçu un succès notoire au Sham's Théâtre lors du Festival d'Avignon cet été dernier.

Impossible que quiconque sorte "indemne" de cette phénoménale prestation, ni que nos certitudes sur "le monde comme il va", et surtout sur nous-mêmes, ne soient bousculées, chamboulées, contrariées.

"Le mystérieux est le plus beau sentiment que l'on peut ressentir", Albert Einstein. Et si le plus beau spectacle de mentalisme du moment, en cette rentrée parisienne, c'était celui-là ? Car Tahar Mansour y est fascinant à plusieurs niveaux, lui qui voulait devenir ingénieur, pour qui "Centrale" n'a aucun secret, mais qui, pourtant, a toujours eu une âme d'artiste bien ancrée au fond de lui. Le secret de ce spectacle exceptionnel et époustouflant serait-il là, niché au cœur du rationnel et de la poésie ?

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© Christel Billault.
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Bruno Fougniès
15/10/2023