La Revue du Spectacle, le magazine des arts de la scène et du spectacle vivant. Infos théâtre, chanson, café-théâtre, cirque, arts de la rue, agenda, CD, etc.



Augmenter la taille du texte
Diminuer la taille du texte
Partager
Théâtre

Questionnement et délire à deux... entre humour et non-sens

"Les amnésiques n'ont rien vécu d'inoubliable", Le Lucernaire, Paris

À quoi tu penses ? Le questionnement est récurrent avec des réponses données sous le prisme de l’humour, de la dérision et de la légèreté. Comme une partie de ping-pong qui se joue face à un mur, Étienne Coquereau plonge dans ses pensées pour en extraire toute une force et un délire.



© Mention Maëlle Grange.
© Mention Maëlle Grange.
Vue sur une baignoire, disposée en milieu de scène, remplie de mousse. Un homme (Étienne Coquereau) est à l’intérieur et lit un livre. À ses pieds, un canard en bois est disposé sur le rebord de la baignoire. La mousse recouvre le corps de l’homme. Est-il à poil ? Peut-être. En tout cas, ses pensées, qui défilent de façon presque machinale et automatique, le sont et nous sommes témoins de leur énumération.

Nous sommes à la rencontre de mots dits, marqués du sceau de la raison, avec celles enfouies, qui nous envahissent parfois sans que nous les commandions, et qui sont marqués par une bribe d’inconscient et d’associations d’idées.

Une voix radiophonique débute la fable. Dans la baignoire, une troisième jambe apparaît. Elle sort de la mousse comme un étendard sexuello-comique. C’est celle d’une femme (Isabelle Cagnat) qui sera source continuelle de questionnement à l’homme. Un questionnement lancinant avec toujours la même question : à quoi tu penses ?

© Mention Maëlle Grange.
© Mention Maëlle Grange.
À quoi pense-t-il cet homme ? À quoi pensons-nous ? Le débat ne se veut pas philosophique et encore moins sérieux. Il fait juste état de nos pensées qui ponctuent nos façons de voir et d’être à l’abri de tout regard. Questionnements que nous avons en solitaire, sans qu’une oreille attentive n’y prête attention. Questionnements qui échappent à notre raison raisonnante et qui peuvent apparaître au cours d’un laisser-aller existentiel entre folie et déraison, fatigue et gaité, désespoir et solitude, vraie et fausse lucidité.

Et c’est un déferlement de pensées aussi incongrues les unes que les autres. Les réponses défilent, sans queue ni tête, décalées, marrantes pour certaines, absurdes pour d’autres faisant une césure, voulue, dans la cohérence de ces pensées jetées à la volée.

© Mention Maëlle Grange.
© Mention Maëlle Grange.
Le texte est marqué du sceau d’un "Je-dis-ce-qui-me-passe-par-la-tête". Le jeu d’Étienne Coquereau est naturel, fait de truculence et de véracité. Ses répliques sont dites avec hauteur, panache, dérision et humour. Son jeu est ponctué de différentes cassures dans la voix et dans le débit. C’est presque du non-sens. Le questionnement joué par Isabelle Cagnat est dit de façon continuelle, récurrente, comme le battement régulier d’une horloge.

Les réponses donnent un écho aux non-sens qui ponctuent parfois nos pensées quand elles s’égarent dans un sentiment de solitude ou de joie. Des pensées parfois farfelues, vides ou pleines. Les réponses sont mêlées d‘humour, de réflexions aussi évidentes que désopilantes. C’est un parti pris humoristique qui fait de la pièce un beau morceau d’incohérence, une belle dose de "connerie", terme que nous employons pour désigner une légèreté d’esprit mêlée de non-sens. Dans les réponses qui sont faites, il n’y a pas de trame, pas d’histoires racontées, juste un entrelacement de plusieurs idées, incongrues pour certaines, évidentes de simplicité pour d’autres.

Ce pudding d’élocution et de bouts d’histoires peut laisser pantois, dubitatif ou faire rire. C’est selon. Mais qu’importe, cela interpelle en renversant le sacro-saint principe théâtral de raconter une histoire.

"Les amnésiques n’ont rien vécu d’inoubliable"

Texte : Hervé Letellier.
Mise en scène : Frédéric Cherbœuf.
Avec : Isabelle Cagnat et Étienne Coquereau.
Création Lumières/Décor : Raphaël Dupeyrot.
Durée : 1 h.

Jusqu’au 30 août 2014.
Du mardi au samedi à 20 h.
Théâtre Le Lucernaire, Paris 6e, 01 45 44 57 34.
>> lucernaire.fr

Safidin Alouache
Mardi 15 Juillet 2014

Nouveau commentaire :

Théâtre | Danse | Concerts & Lyrique | À l'affiche | À l'affiche bis | Cirque & Rue | Humour | Festivals | Pitchouns | Paroles & Musique | Avignon 2017 | Avignon 2018 | Avignon 2019 | CédéDévédé | Trib'Une | RV du Jour | Pièce du boucher | Coulisses & Cie | Coin de l’œil | Archives | Avignon 2021 | Avignon 2022 | Avignon 2023 | Avignon 2024 | À l'affiche ter | Avignon 2025







À Découvrir

"Lilou et Lino Le Voyage vers les étoiles" Petit à petit, les chats deviennent l'âme de la maison*

Qu'il est bon de se retrouver dans une salle de spectacle !
Qu'il est agréable de quitter la jungle urbaine pour un moment de calme…
Qu'il est hallucinant de risquer encore plus sa vie à vélo sur une piste cyclable !
Je ne pensais pas dire cela en pénétrant une salle bondée d'enfants, mais au bruit du dehors, très souvent infernal, j'ai vraiment apprécié l'instant et le brouhaha des petits, âgés, de 3 à 8 ans.

© Delphine Royer.
Sur scène du Théâtre Essaïon, un décor représente une chambre d'enfant, celle d'une petite fille exactement. Cette petite fille est interprétée par la vive et solaire Vanessa Luna Nahoum, tiens ! "Luna" dans son prénom, ça tombe si bien. Car c'est sur la lune que nous allons voyager avec elle. Et les enfants, sages comme des images, puisque, non seulement, Vanessa a le don d'adoucir les plus dissipés qui, très vite, sont totalement captés par la douceur des mots employés, mais aussi parce que Vanessa apporte sa voix suave et apaisée à l'enfant qu'elle incarne parfaitement. Un modèle pour les parents présents dans la salle et un régal pour tous ses "mini" yeux rivés sur la scène. Face à la comédienne.

Vanessa Luna Nahoum est Lilou et son chat – Lino – n'est plus là. Ses parents lui racontent qu'il s'est envolé dans les étoiles pour y pêcher. Quelle étrange idée ! Mais la vie sans son chat, si belle âme, à la fois réconfortante, câline et surprenante, elle ne s'y résout pas comme ça. Elle l'adore "trop" son animal de compagnie et qui, pour ne pas comprendre cela ? Personne ce matin en tout cas. Au contraire, les réactions fusent, le verbe est bien choisi. Les enfants sont entraînés dans cette folie douce que propose Lilou : construire une fusée et aller rendre visite à son gros minet.

Isabelle Lauriou
15/05/2025
Spectacle à la Une

"Un Chapeau de paille d'Italie" Une version singulière et explosive interrogeant nos libertés individuelles face aux normalisations sociétales et idéologiques

Si l'art de générer des productions enthousiastes et inventives est incontestablement dans l'ADN de la compagnie L'Éternel Été, l'engagement citoyen fait aussi partie de la démarche créative de ses membres. La présente proposition ne déroge pas à la règle. Ainsi, Emmanuel Besnault et Benoît Gruel nous offrent une version décoiffante, vive, presque juvénile, mais diablement ancrée dans les problématiques actuelles, du "Chapeau de paille d'Italie"… pièce d'Eugène Labiche, véritable référence du vaudeville.

© Philippe Hanula.
L'argument, simple, n'en reste pas moins source de quiproquos, de riantes ficelles propres à la comédie et d'une bonne dose de situations grotesques, burlesques, voire absurdes. À l'aube d'un mariage des plus prometteurs avec la très florale Hélène – née sans doute dans les roses… ornant les pépinières parentales –, le fringant Fadinard se lance dans une quête effrénée pour récupérer un chapeau de paille d'Italie… Pour remplacer celui croqué – en guise de petit-déj ! – par un membre de la gent équestre, moteur exclusif de son hippomobile, ci-devant fiacre. À noter que le chapeau alimentaire appartenait à une belle – porteuse d'une alliance – en rendez-vous coupable avec un soldat, sans doute Apollon à ses heures perdues.

N'ayant pas vocation à pérenniser toute forme d'adaptation académique, nos deux metteurs en scène vont imaginer que cette histoire absurde est un songe, le songe d'une nuit… niché au creux du voyage ensommeillé de l'aimable Fadinard. Accrochez-vous à votre oreiller ! La pièce la plus célèbre de Labiche se transforme en une nouvelle comédie explosive, électro-onirique ! Comme un rêve habité de nounours dans un sommeil moelleux peuplé d'êtres extravagants en doudounes orange.

Gil Chauveau
11/03/2024
Spectacle à la Une

"La vie secrète des vieux" Aimer même trop, même mal… Aimer jusqu'à la déchirure

"Telle est ma quête", ainsi parlait l'Homme de la Mancha de Jacques Brel au Théâtre des Champs-Élysées en 1968… Une quête qu'ont fait leur cette troupe de vieux messieurs et vieilles dames "indignes" (cf. "La vieille dame indigne" de René Allio, 1965, véritable ode à la liberté) avides de vivre "jusqu'au bout" (ouaf… la crudité revendiquée de leur langue émancipée y autorise) ce qui constitue, n'en déplaise aux catholiques conservateurs, le sel de l'existence. Autour de leur metteur en scène, Mohamed El Khatib, ils vont bousculer les règles de la bienséance apprise pour dire sereinement l'amour chevillé au corps des vieux.

© Christophe Raynaud de Lage.
Votre ticket n'est plus valable. Prenez vos pilules, jouez au Monopoly, au Scrabble, regardez la télé… des jeux de votre âge quoi ! Et surtout, ayez la dignité d'attendre la mort en silence, on ne veut pas entendre vos jérémiades et – encore moins ! – vos chuchotements de plaisir et vos cris d'amour… Mohamed El Khatib, fin observateur des us et coutumes de nos sociétés occidentales, a documenté son projet théâtral par une série d'entretiens pris sur le vif en Ehpad au moment de la Covid, des mouroirs avec eau et électricité à tous les étages. Autour de lui et d'une aide-soignante, artiste professionnelle pétillante de malice, vont exister pleinement huit vieux et vieilles revendiquant avec une belle tranquillité leur droit au sexe et à l'amour (ce sont, aussi, des sentimentaux, pas que des addicts de la baise).

Un fauteuil roulant poussé par un vieux très guilleret fait son entrée… On nous avertit alors qu'en fonction du grand âge des participant(e)s au plateau, et malgré les deux défibrillateurs à disposition, certain(e)s sont susceptibles de mourir sur scène, ce qui – on l'admettra aisément – est un meilleur destin que mourir en Ehpad… Humour noir et vieilles dentelles, le ton est donné. De son fauteuil, la doyenne de la troupe, 91 ans, Belge et ancienne présentatrice du journal TV, va ar-ti-cu-ler son texte, elle qui a renoncé à son abonnement à la Comédie-Française car "ils" ne savent plus scander, un vrai scandale ! Confiant plus sérieusement que, ce qui lui manque aujourd'hui – elle qui a eu la chance d'avoir beaucoup d'hommes –, c'est d'embrasser quelqu'un sur la bouche et de manquer à quelqu'un.

Yves Kafka
30/08/2024