La Revue du Spectacle, le magazine des arts de la scène et du spectacle vivant. Infos théâtre, chanson, café-théâtre, cirque, arts de la rue, agenda, CD, etc.



Augmenter la taille du texte
Diminuer la taille du texte
Partager
Théâtre

"Phédre" selon Martinelli... Une partition symphonique jouée par un orchestre dont Phèdre serait le premier violon

"Phèdre", Théâtre Nanterre-Amandiers, Nanterre

Phèdre a épousé Thésée, ce héros quasi demi-dieu qui tua le Minotaure et depuis règne tout puissant jusqu’à ce qu’une rumeur le déclare mort prisonnier. Les circonstances la portent à révéler son amour secret pour son beau-fils Hippolyte, beau comme son père, qui meurt en la fuyant. Après "Andromaque", "Bérénice" et "Britannicus", Jean-Louis Martinelli propose, en apothéose d’une tétralogie des passions raciniennes, une "Phèdre" de toute beauté.



© Pascal Victor.
© Pascal Victor.
Au tout début, la première scène, le peplos des femmes est monochrome, un peu raide, la cuirasse anatomique des hommes un peu rigide. La représentation se situe dans une Grèce antique, académique. Et puis miracle progressif du théâtre, dans cette mise en scène en bi-frontal, la pièce de Racine, d’abord exprimée en langage naturel, emporte le spectateur dans la vérité du texte. Les personnages s’animent. Les corps s’échauffent et la voix se libère.

Dans les allers et venues des uns et des autres, approchés, éloignés, que les protagonistes soient acteurs de leur destinées, spectateurs actifs ou serviteurs réticents, les habits de scène prennent vie, épousent les corps, esquissent un sillage, dessinent une traine, portent les caractères, emportent le cœur. Les acteurs prennent le rythme, scandent. Et le texte fait corps et les entraves tombent.

© Pascal Victor.
© Pascal Victor.
Le spectacle, de visuel, devient musique. Le verbe claque, mugit, rugit. Tel une voile de marin sublimée, poussée par le zéphyr caressant, puis emportée par l’ouragan, le personnage de Phèdre appartient à la race de ceux qui n’ayant plus la maîtrise de l’action, ne pouvant échapper aux vents, épousent le tourbillon… de passion et de liberté.

Les mots sonnent, amplifient les vers. Et composent pour chacun son morceau de gloire. Et concourent à l’ensemble qui devient orchestre dont Phèdre est le premier violon. Un orchestre à l’œuvre d’une symphonie dont l’acmé est atteint par les stances de… Phèdre et dont la coda est constituée par le récit tenu par un témoin de la mort d’Hippolyte, fils de Thésée et de l’Amazone, beau fils de Phèdre, sœur d’Ariane et emporté par la vague scélérate d’un raz de marée.

© Pascal Victor.
© Pascal Victor.
La pièce de Racine matérialise le désir, son mouvement et sa puissance, se clôt en un tableau allégorique de l’aurige et ses chevaux déchiquetés sur la grève.

Pianissimo… fortissimo…

Faut-il voir ou écouter Racine ? Jean Louis Martinelli nous propose de l’entendre.

"Phèdre"

© Pascal Victor.
© Pascal Victor.
Texte : Jean Racine.
Mise en scène : Jean-Louis Martinelli.
Assistante à la mise en scène : Amélie Wendling.
Scénographie : Gilles Taschet.
Avec : Delphine Cogniard (Ismène), Hammou Graïa (Thésée), Mounir Margoum (Hippolyte), Sylvie Milhaud (Œnone), Sophie Rodrigues (Aricie), Anne Suarez (Phèdre), Gaëlle Voukissa (Panope), Abbès Zahmani (Théramène).
Lumière : Jean-Marc Skatchko.
Costumes : Catherine Leterrier et Sarah Leterrier.
Coiffures, maquillage : Françoise Chaumayrac.
Durée 2 h 20.

Du 8 novembre au 20 décembre 2013.
Mardi, mercredi, vendredi et samedi à 20 h 30, jeudi à 19 h 30, dimanche à 15 h 30. Représentation pour spectateurs aveugles ou malvoyants le dimanche 15 décembre 2013.
Théâtre Nanterre-Amantiers, Salle transformable, Nanterre (92), 01 46 14 70 00.
>> nanterre-amandiers.com

Jean Grapin
Mercredi 11 Décembre 2013

Nouveau commentaire :

Théâtre | Danse | Concerts & Lyrique | À l'affiche | À l'affiche bis | Cirque & Rue | Humour | Festivals | Pitchouns | Paroles & Musique | Avignon 2017 | Avignon 2018 | Avignon 2019 | CédéDévédé | Trib'Une | RV du Jour | Pièce du boucher | Coulisses & Cie | Coin de l’œil | Archives | Avignon 2021 | Avignon 2022 | Avignon 2023 | Avignon 2024 | À l'affiche ter | Avignon 2025












À Découvrir

"La Chute" Une adaptation réussie portée par un jeu d'une force organique hors du commun

Dans un bar à matelots d'Amsterdam, le Mexico-City, un homme interpelle un autre homme.
Une longue conversation s'initie entre eux. Jean-Baptiste Clamence, le narrateur, exerçant dans ce bar l'intriguant métier de juge-pénitent, fait lui-même les questions et les réponses face à son interlocuteur muet.

© Philippe Hanula.
Il commence alors à lever le voile sur son passé glorieux et sa vie d'avocat parisien. Une vie réussie et brillante, jusqu'au jour où il croise une jeune femme sur le pont Royal à Paris, et qu'elle se jette dans la Seine juste après son passage. Il ne fera rien pour tenter de la sauver. Dès lors, Clamence commence sa "chute" et finit par se remémorer les événements noirs de son passé.

Il en est ainsi à chaque fois que nous prévoyons d'assister à une adaptation d'une œuvre d'Albert Camus : un frémissement d'incertitude et la crainte bien tangible d'être déçue nous titillent systématiquement. Car nous portons l'auteur en question au pinacle, tout comme Jacques Galaud, l'enseignant-initiateur bien inspiré auprès du comédien auquel, il a proposé, un jour, cette adaptation.

Pas de raison particulière pour que, cette fois-ci, il en eût été autrement… D'autant plus qu'à nos yeux, ce roman de Camus recèle en lui bien des considérations qui nous sont propres depuis toujours : le moi, la conscience, le sens de la vie, l'absurdité de cette dernière, la solitude, la culpabilité. Entre autres.

Brigitte Corrigou
09/10/2024
Spectacle à la Une

"Very Math Trip" Comment se réconcilier avec les maths

"Very Math Trip" est un "one-math-show" qui pourra réconcilier les "traumatisés(es)" de cette matière que sont les maths. Mais il faudra vous accrocher, car le cours est assuré par un professeur vraiment pas comme les autres !

© DR.
Ce spectacle, c'est avant tout un livre publié par les Éditions Flammarion en 2019 et qui a reçu en 2021 le 1er prix " La Science se livre". L'auteur en est Manu Houdart, professeur de mathématiques belge et personnage assez emblématique dans son pays. Manu Houdart vulgarise les mathématiques depuis plusieurs années et obtient le prix de " l'Innovation pédagogique" qui lui est décerné par la reine Paola en personne. Il crée aussi la maison des Maths, un lieu dédié à l'apprentissage des maths et du numérique par le jeu.

Chaque chapitre de cet ouvrage se clôt par un "Waooh" enthousiaste. Cet enthousiasme opère aussi chez les spectateurs à l'occasion de cet one-man-show exceptionnel. Un spectacle familial et réjouissant dirigé et mis en scène par Thomas Le Douarec, metteur en scène du célèbre spectacle "Les Hommes viennent de Mars et les femmes de Vénus".

N'est-ce pas un pari fou que de chercher à faire aimer les mathématiques ? Surtout en France, pays où l'inimitié pour cette matière est très notoire chez de nombreux élèves. Il suffit pour s'en faire une idée de consulter les résultats du rapport PISA 2022. Rapport édifiant : notre pays se situe à la dernière position des pays européens et avant-dernière des pays de l'OCDE.
Il faut urgemment reconsidérer les bases, Monsieur le ministre !

Brigitte Corrigou
12/04/2025
Spectacle à la Une

"La vie secrète des vieux" Aimer même trop, même mal… Aimer jusqu'à la déchirure

"Telle est ma quête", ainsi parlait l'Homme de la Mancha de Jacques Brel au Théâtre des Champs-Élysées en 1968… Une quête qu'ont fait leur cette troupe de vieux messieurs et vieilles dames "indignes" (cf. "La vieille dame indigne" de René Allio, 1965, véritable ode à la liberté) avides de vivre "jusqu'au bout" (ouaf… la crudité revendiquée de leur langue émancipée y autorise) ce qui constitue, n'en déplaise aux catholiques conservateurs, le sel de l'existence. Autour de leur metteur en scène, Mohamed El Khatib, ils vont bousculer les règles de la bienséance apprise pour dire sereinement l'amour chevillé au corps des vieux.

© Christophe Raynaud de Lage.
Votre ticket n'est plus valable. Prenez vos pilules, jouez au Monopoly, au Scrabble, regardez la télé… des jeux de votre âge quoi ! Et surtout, ayez la dignité d'attendre la mort en silence, on ne veut pas entendre vos jérémiades et – encore moins ! – vos chuchotements de plaisir et vos cris d'amour… Mohamed El Khatib, fin observateur des us et coutumes de nos sociétés occidentales, a documenté son projet théâtral par une série d'entretiens pris sur le vif en Ehpad au moment de la Covid, des mouroirs avec eau et électricité à tous les étages. Autour de lui et d'une aide-soignante, artiste professionnelle pétillante de malice, vont exister pleinement huit vieux et vieilles revendiquant avec une belle tranquillité leur droit au sexe et à l'amour (ce sont, aussi, des sentimentaux, pas que des addicts de la baise).

Un fauteuil roulant poussé par un vieux très guilleret fait son entrée… On nous avertit alors qu'en fonction du grand âge des participant(e)s au plateau, et malgré les deux défibrillateurs à disposition, certain(e)s sont susceptibles de mourir sur scène, ce qui – on l'admettra aisément – est un meilleur destin que mourir en Ehpad… Humour noir et vieilles dentelles, le ton est donné. De son fauteuil, la doyenne de la troupe, 91 ans, Belge et ancienne présentatrice du journal TV, va ar-ti-cu-ler son texte, elle qui a renoncé à son abonnement à la Comédie-Française car "ils" ne savent plus scander, un vrai scandale ! Confiant plus sérieusement que, ce qui lui manque aujourd'hui – elle qui a eu la chance d'avoir beaucoup d'hommes –, c'est d'embrasser quelqu'un sur la bouche et de manquer à quelqu'un.

Yves Kafka
30/08/2024