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Concerts

Nelson Freire, un Empereur aux Flâneries de Reims

Depuis le 23 juin, le festival des Flâneries musicales de Reims a débuté avec son habituel programme éclectique pour sa 27e édition. En attendant le concert pique-nique géant du 23 juillet, jeunes talents et artistes confirmés se produisent dans divers lieux remarquables de la ville des rois et de ses environs. L'occasion le 28 juin de retrouver l'immense pianiste Nelson Freire en récital.



Concert au Chevet de la Cathédrale © Axel Coeuret.
Concert au Chevet de la Cathédrale © Axel Coeuret.
Les Flâneries musicales de Reims ont autant à cœur de faire découvrir les jeunes artistes qu'à inviter les maîtres reconnus. Avec le concert "Caprices", l'après-midi du 28 juin, le public pouvait découvrir le jeune violoniste Guillaume Latour. L'ancien violon du Quatuor Diotima défendait un programme (enregistré au CD) consacré à des compositeurs et violonistes du XVIIe au XXe siècles. Voulu comme un hommage à l'histoire du violon et à la créativité de ses serviteurs, le concert donnait à entendre des œuvres assez rarement données.

De la belle Sonate n°4 "Fritz Kreisler" d'Eugène Ysaÿe au Caprice n°16 de Pietro Locatelli (diabolique), de l'impressionnante seconde Partita de Jean-Sébastien Bach aux "Red Violin Caprices" de John Corigliano, l'artiste a pu dévoiler la richesse de sa technique au service de styles et d'époques différentes, et l'énergique engagement de son art pour une exploration sans concession des sonorités. Une belle présence que celle de Guillaume Latour, soucieux d'expliquer les enjeux de chaque œuvre choisie à un public conquis.

Nelson Freire © Mat Henneke.
Nelson Freire © Mat Henneke.
Le soir, dans un Opéra de Reims bondé, le légendaire pianiste brésilien Nelson Freire donnait un récital très attendu. Notoirement secret (et modeste dans ses entrées sur scène), ce magicien du répertoire romantique avait choisi la Toccata en do mineur BWV 911 de Jean-Sébastien Bach pour ouvrir la soirée, emmenant d'entrée de jeu l'auditeur dans un voyage haletant à travers les brusques variations de style, de rythme, de brillant d'une pièce vraiment orchestrale. Il nous invitait ensuite à planer avec lui dans les hautes sphères beethovéniennes avec la Sonate n° 31 opus 110. Le discours clair, le jeu et la pédale légatos, un métier de plusieurs décennies pour un toucher magique, tout était au service des sentiments variés (lyriques ou grinçants) distillés par cette œuvre hors-norme.

La concentration et l'art intense de Nelson Freire nous rappelant alors les mots d'Alfred Brendel au sujet du pianiste idéal : "Il impressionne par sa présence, mais (…) se dissout dans la musique. Il domine et il sert". La sublime poésie de son jeu, sa sonorité lumineuse, son sens des détails et de l'ensemble faisaient encore des miracles (après l'entracte) dans le romantisme exacerbé de la 3e sonate opus 5 de Johannes Brahms. Faisant siennes des œuvres qu'il connaît si bien qu'il n'a pas besoin de partitions, Nelson Freire est un de ces artistes qui vous exaltent et vous rendent heureux, longtemps après que le concert est fini. Sans conteste, c'est bien l'empereur qu'on sacrait à Reims ce soir-là.

Parc de Champagne, Pique Nique © Axel Coeuret.
Parc de Champagne, Pique Nique © Axel Coeuret.
Les Flâneries musicales de Reims.
Du 23 juin au 12 juillet 2016.
Programme complet :
>> flaneriesreims.com

Interview du directeur artistique du festival, le pianiste Jean-Philippe Collard (3 min) :
itv_jp_collard_reims_juin_2016.mp3 ITV_JP Collard Reims_Juin 2016.mp3  (11.55 Mo)


Christine Ducq
Lundi 4 Juillet 2016

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Concerts | Lyrique







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"Lilou et Lino Le Voyage vers les étoiles" Petit à petit, les chats deviennent l'âme de la maison*

Qu'il est bon de se retrouver dans une salle de spectacle !
Qu'il est agréable de quitter la jungle urbaine pour un moment de calme…
Qu'il est hallucinant de risquer encore plus sa vie à vélo sur une piste cyclable !
Je ne pensais pas dire cela en pénétrant une salle bondée d'enfants, mais au bruit du dehors, très souvent infernal, j'ai vraiment apprécié l'instant et le brouhaha des petits, âgés, de 3 à 8 ans.

© Delphine Royer.
Sur scène du Théâtre Essaïon, un décor représente une chambre d'enfant, celle d'une petite fille exactement. Cette petite fille est interprétée par la vive et solaire Vanessa Luna Nahoum, tiens ! "Luna" dans son prénom, ça tombe si bien. Car c'est sur la lune que nous allons voyager avec elle. Et les enfants, sages comme des images, puisque, non seulement, Vanessa a le don d'adoucir les plus dissipés qui, très vite, sont totalement captés par la douceur des mots employés, mais aussi parce que Vanessa apporte sa voix suave et apaisée à l'enfant qu'elle incarne parfaitement. Un modèle pour les parents présents dans la salle et un régal pour tous ses "mini" yeux rivés sur la scène. Face à la comédienne.

Vanessa Luna Nahoum est Lilou et son chat – Lino – n'est plus là. Ses parents lui racontent qu'il s'est envolé dans les étoiles pour y pêcher. Quelle étrange idée ! Mais la vie sans son chat, si belle âme, à la fois réconfortante, câline et surprenante, elle ne s'y résout pas comme ça. Elle l'adore "trop" son animal de compagnie et qui, pour ne pas comprendre cela ? Personne ce matin en tout cas. Au contraire, les réactions fusent, le verbe est bien choisi. Les enfants sont entraînés dans cette folie douce que propose Lilou : construire une fusée et aller rendre visite à son gros minet.

Isabelle Lauriou
15/05/2025
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"Un Chapeau de paille d'Italie" Une version singulière et explosive interrogeant nos libertés individuelles face aux normalisations sociétales et idéologiques

Si l'art de générer des productions enthousiastes et inventives est incontestablement dans l'ADN de la compagnie L'Éternel Été, l'engagement citoyen fait aussi partie de la démarche créative de ses membres. La présente proposition ne déroge pas à la règle. Ainsi, Emmanuel Besnault et Benoît Gruel nous offrent une version décoiffante, vive, presque juvénile, mais diablement ancrée dans les problématiques actuelles, du "Chapeau de paille d'Italie"… pièce d'Eugène Labiche, véritable référence du vaudeville.

© Philippe Hanula.
L'argument, simple, n'en reste pas moins source de quiproquos, de riantes ficelles propres à la comédie et d'une bonne dose de situations grotesques, burlesques, voire absurdes. À l'aube d'un mariage des plus prometteurs avec la très florale Hélène – née sans doute dans les roses… ornant les pépinières parentales –, le fringant Fadinard se lance dans une quête effrénée pour récupérer un chapeau de paille d'Italie… Pour remplacer celui croqué – en guise de petit-déj ! – par un membre de la gent équestre, moteur exclusif de son hippomobile, ci-devant fiacre. À noter que le chapeau alimentaire appartenait à une belle – porteuse d'une alliance – en rendez-vous coupable avec un soldat, sans doute Apollon à ses heures perdues.

N'ayant pas vocation à pérenniser toute forme d'adaptation académique, nos deux metteurs en scène vont imaginer que cette histoire absurde est un songe, le songe d'une nuit… niché au creux du voyage ensommeillé de l'aimable Fadinard. Accrochez-vous à votre oreiller ! La pièce la plus célèbre de Labiche se transforme en une nouvelle comédie explosive, électro-onirique ! Comme un rêve habité de nounours dans un sommeil moelleux peuplé d'êtres extravagants en doudounes orange.

Gil Chauveau
11/03/2024
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"La vie secrète des vieux" Aimer même trop, même mal… Aimer jusqu'à la déchirure

"Telle est ma quête", ainsi parlait l'Homme de la Mancha de Jacques Brel au Théâtre des Champs-Élysées en 1968… Une quête qu'ont fait leur cette troupe de vieux messieurs et vieilles dames "indignes" (cf. "La vieille dame indigne" de René Allio, 1965, véritable ode à la liberté) avides de vivre "jusqu'au bout" (ouaf… la crudité revendiquée de leur langue émancipée y autorise) ce qui constitue, n'en déplaise aux catholiques conservateurs, le sel de l'existence. Autour de leur metteur en scène, Mohamed El Khatib, ils vont bousculer les règles de la bienséance apprise pour dire sereinement l'amour chevillé au corps des vieux.

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Votre ticket n'est plus valable. Prenez vos pilules, jouez au Monopoly, au Scrabble, regardez la télé… des jeux de votre âge quoi ! Et surtout, ayez la dignité d'attendre la mort en silence, on ne veut pas entendre vos jérémiades et – encore moins ! – vos chuchotements de plaisir et vos cris d'amour… Mohamed El Khatib, fin observateur des us et coutumes de nos sociétés occidentales, a documenté son projet théâtral par une série d'entretiens pris sur le vif en Ehpad au moment de la Covid, des mouroirs avec eau et électricité à tous les étages. Autour de lui et d'une aide-soignante, artiste professionnelle pétillante de malice, vont exister pleinement huit vieux et vieilles revendiquant avec une belle tranquillité leur droit au sexe et à l'amour (ce sont, aussi, des sentimentaux, pas que des addicts de la baise).

Un fauteuil roulant poussé par un vieux très guilleret fait son entrée… On nous avertit alors qu'en fonction du grand âge des participant(e)s au plateau, et malgré les deux défibrillateurs à disposition, certain(e)s sont susceptibles de mourir sur scène, ce qui – on l'admettra aisément – est un meilleur destin que mourir en Ehpad… Humour noir et vieilles dentelles, le ton est donné. De son fauteuil, la doyenne de la troupe, 91 ans, Belge et ancienne présentatrice du journal TV, va ar-ti-cu-ler son texte, elle qui a renoncé à son abonnement à la Comédie-Française car "ils" ne savent plus scander, un vrai scandale ! Confiant plus sérieusement que, ce qui lui manque aujourd'hui – elle qui a eu la chance d'avoir beaucoup d'hommes –, c'est d'embrasser quelqu'un sur la bouche et de manquer à quelqu'un.

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