La Revue du Spectacle, le magazine des arts de la scène et du spectacle vivant. Infos théâtre, chanson, café-théâtre, cirque, arts de la rue, agenda, CD, etc.



Augmenter la taille du texte
Diminuer la taille du texte
Partager
Théâtre

"Noir de boue et d’obus"… Noirs d’Afrique et des Antilles, tous combattants pour la France

"Noir de boue et d’obus", en tournée et au Festival Off d'Avignon 2014

Le spectacle rend compte de "la force noire" déployée dans les tranchées pendant la première guerre mondiale où des artilleurs d’Afrique de l’Ouest étaient en première ligne pour défendre le drapeau français.



© Patrick Berger.
© Patrick Berger.
La chorégraphie est découpée en différents segments artistiques, théâtre et danse se donnant la répartie. Le spectacle démarre avec des paroles lancées par un artilleur d’Afrique noire. Plainte, complainte ou revendication, l’élocution prête peu à la compréhension. Elle est surtout révélatrice d’une parole qui se perd, qui n’a pas de réponse car aucune oreille n’est à l’écoute.

Ce sont des séquences, des bouts de narration, des scènes de combat où la violence des mouvements est absente. Ici, c’est la violence de l’Histoire qui est mise en avant. Ce sont des mises en situations où la guerre, sans cri et sans sang, étale son drapeau. Elle transpire dans les mouvements des danseurs, dans leurs positions sur scène, dans leurs gestuelles. Nous devinons la guerre, nous la sentons car jouée et appréhendée par les danseurs.

Sur scène, de très beaux tableaux se déroulent dans lesquels les danseurs déploient une gestuelle physique. Il y a un parti-pris artistique de la chorégraphe, Chantal Loïal, avec une danse mondaine occidentale qui vient cohabiter avec le Sabar, danse du Sénégal, le Gwoka de la Guadeloupe et le Bèlè de la Martinique.

Cette mosaïque de danses "exotiques", adjectif utilisé au début du siècle dernier pour désigner les danses venues du continent africain ou d’ailleurs, accompagne cette mixité des colonies dans les tranchées. Les danses accompagnent des soldats vers un même destin, celui de la Mort. Face à la Mort, les hommes sont égaux. Face à la guerre et aux tranchées, l’ont-ils été ?

© Patrick Berger.
© Patrick Berger.
Sur scène, le Sabar, danse où les membres supérieurs et inférieurs exécutent des mouvements courts et rapides, dans un rapport au sol rapide et vif, cohabite avec le Gwoka, danse où la plante des pieds au sol est "glissée", dans des mouvements moins rapides.

Les danses sont variées comme les combattants venant de différentes contrées et qui composaient la force noire du lieutenant-colonel Mangin. "La force noire" de Mangin, livre écrit en 1910, a été créée pendant la 1ère guerre mondiale avec pour éléments des tirailleurs d’Afrique occidentale française. Mangin considérait que l’homme d’Afrique "naissait plus soldat que guerrier". Chantal Loïal met en scène les noirs d’Afrique et des Antilles en compagnie des blancs de métropole dans les tranchées.

Les scènes sont "décentrées" dans son rapport à l’espace avec peu de synchronisations entre les danseurs. Ils ont leurs propres mouvements sans pour autant que le rythme ne soit bousculé entre eux. Tout est théâtral. Les marches sont autant artistiques que militaires. Les rapports entre les danseurs, dans les solos ou les danses de groupe, donnent à la chorégraphie un parfum d’individualisme, un chacun pour soi guerrier qui fait des moments de danses presque enchevêtrés entre eux comme des soldats au combat.

Chantal Loïal met en exergue cette mixité de conditions entre européens et soldats. L’hommage est artistiquement intéressant car elle fait de la danse le reflet d’un moment historique. Les danseurs sont surtout des danseuses. Nous pouvons aussi y voir, par extension et pour prendre une grille de lecture contemporaine, un hommage aux femmes, mises en "première ligne" en France, ou ailleurs, sans pour autant que leurs conditions sociales ne soient égales à celles des hommes.

"Noir de boue et d’obus"

"Noir de boue et d’obus"
Pièce chorégraphique de la Compagnie Difé Kako.
Directrice artistique et chorégraphe : Chantal Loïal.
Assistante chorégraphique : Julie Sicher.
Avec : Louise Crivellaro, Mariama Diedhiou, Alseye Ndao, Julie Sicher.
Costumes : Michèle Sicher.
Compositeur : Pierre Boscheron.
Créateur lumière/vidéaste : Stéphane Bottard.
Collaboration artistique : Delphine Bachacou, Fanny Vignals, Vincent Byrd Le Sage et Matthias Groos.
Durée : 55 minutes.

Tournée
20 et 21 mars 2014 : La Merise, Trappes (78).
10 et 11 avril 2014 : La Maison des Arts, Lingolsheim (67).
29 et 30 avril 2014 : CMAC, Fort de France (Martinique).
6 mai 2014 : à la Trinité (Martinique).
Du 5 au 27 juillet 2014 : Théâtre Golovine, Festival Off d’Avignon (84).

Safidin Alouache
Lundi 10 Mars 2014

Nouveau commentaire :

Théâtre | Danse | Concerts & Lyrique | À l'affiche | À l'affiche bis | Cirque & Rue | Humour | Festivals | Pitchouns | Paroles & Musique | Avignon 2017 | Avignon 2018 | Avignon 2019 | CédéDévédé | Trib'Une | RV du Jour | Pièce du boucher | Coulisses & Cie | Coin de l’œil | Archives | Avignon 2021 | Avignon 2022 | Avignon 2023 | Avignon 2024 | À l'affiche ter | Avignon 2025







À Découvrir

"Lilou et Lino Le Voyage vers les étoiles" Petit à petit, les chats deviennent l'âme de la maison*

Qu'il est bon de se retrouver dans une salle de spectacle !
Qu'il est agréable de quitter la jungle urbaine pour un moment de calme…
Qu'il est hallucinant de risquer encore plus sa vie à vélo sur une piste cyclable !
Je ne pensais pas dire cela en pénétrant une salle bondée d'enfants, mais au bruit du dehors, très souvent infernal, j'ai vraiment apprécié l'instant et le brouhaha des petits, âgés, de 3 à 8 ans.

© Delphine Royer.
Sur scène du Théâtre Essaïon, un décor représente une chambre d'enfant, celle d'une petite fille exactement. Cette petite fille est interprétée par la vive et solaire Vanessa Luna Nahoum, tiens ! "Luna" dans son prénom, ça tombe si bien. Car c'est sur la lune que nous allons voyager avec elle. Et les enfants, sages comme des images, puisque, non seulement, Vanessa a le don d'adoucir les plus dissipés qui, très vite, sont totalement captés par la douceur des mots employés, mais aussi parce que Vanessa apporte sa voix suave et apaisée à l'enfant qu'elle incarne parfaitement. Un modèle pour les parents présents dans la salle et un régal pour tous ses "mini" yeux rivés sur la scène. Face à la comédienne.

Vanessa Luna Nahoum est Lilou et son chat – Lino – n'est plus là. Ses parents lui racontent qu'il s'est envolé dans les étoiles pour y pêcher. Quelle étrange idée ! Mais la vie sans son chat, si belle âme, à la fois réconfortante, câline et surprenante, elle ne s'y résout pas comme ça. Elle l'adore "trop" son animal de compagnie et qui, pour ne pas comprendre cela ? Personne ce matin en tout cas. Au contraire, les réactions fusent, le verbe est bien choisi. Les enfants sont entraînés dans cette folie douce que propose Lilou : construire une fusée et aller rendre visite à son gros minet.

Isabelle Lauriou
15/05/2025
Spectacle à la Une

"Un Chapeau de paille d'Italie" Une version singulière et explosive interrogeant nos libertés individuelles face aux normalisations sociétales et idéologiques

Si l'art de générer des productions enthousiastes et inventives est incontestablement dans l'ADN de la compagnie L'Éternel Été, l'engagement citoyen fait aussi partie de la démarche créative de ses membres. La présente proposition ne déroge pas à la règle. Ainsi, Emmanuel Besnault et Benoît Gruel nous offrent une version décoiffante, vive, presque juvénile, mais diablement ancrée dans les problématiques actuelles, du "Chapeau de paille d'Italie"… pièce d'Eugène Labiche, véritable référence du vaudeville.

© Philippe Hanula.
L'argument, simple, n'en reste pas moins source de quiproquos, de riantes ficelles propres à la comédie et d'une bonne dose de situations grotesques, burlesques, voire absurdes. À l'aube d'un mariage des plus prometteurs avec la très florale Hélène – née sans doute dans les roses… ornant les pépinières parentales –, le fringant Fadinard se lance dans une quête effrénée pour récupérer un chapeau de paille d'Italie… Pour remplacer celui croqué – en guise de petit-déj ! – par un membre de la gent équestre, moteur exclusif de son hippomobile, ci-devant fiacre. À noter que le chapeau alimentaire appartenait à une belle – porteuse d'une alliance – en rendez-vous coupable avec un soldat, sans doute Apollon à ses heures perdues.

N'ayant pas vocation à pérenniser toute forme d'adaptation académique, nos deux metteurs en scène vont imaginer que cette histoire absurde est un songe, le songe d'une nuit… niché au creux du voyage ensommeillé de l'aimable Fadinard. Accrochez-vous à votre oreiller ! La pièce la plus célèbre de Labiche se transforme en une nouvelle comédie explosive, électro-onirique ! Comme un rêve habité de nounours dans un sommeil moelleux peuplé d'êtres extravagants en doudounes orange.

Gil Chauveau
11/03/2024
Spectacle à la Une

"La vie secrète des vieux" Aimer même trop, même mal… Aimer jusqu'à la déchirure

"Telle est ma quête", ainsi parlait l'Homme de la Mancha de Jacques Brel au Théâtre des Champs-Élysées en 1968… Une quête qu'ont fait leur cette troupe de vieux messieurs et vieilles dames "indignes" (cf. "La vieille dame indigne" de René Allio, 1965, véritable ode à la liberté) avides de vivre "jusqu'au bout" (ouaf… la crudité revendiquée de leur langue émancipée y autorise) ce qui constitue, n'en déplaise aux catholiques conservateurs, le sel de l'existence. Autour de leur metteur en scène, Mohamed El Khatib, ils vont bousculer les règles de la bienséance apprise pour dire sereinement l'amour chevillé au corps des vieux.

© Christophe Raynaud de Lage.
Votre ticket n'est plus valable. Prenez vos pilules, jouez au Monopoly, au Scrabble, regardez la télé… des jeux de votre âge quoi ! Et surtout, ayez la dignité d'attendre la mort en silence, on ne veut pas entendre vos jérémiades et – encore moins ! – vos chuchotements de plaisir et vos cris d'amour… Mohamed El Khatib, fin observateur des us et coutumes de nos sociétés occidentales, a documenté son projet théâtral par une série d'entretiens pris sur le vif en Ehpad au moment de la Covid, des mouroirs avec eau et électricité à tous les étages. Autour de lui et d'une aide-soignante, artiste professionnelle pétillante de malice, vont exister pleinement huit vieux et vieilles revendiquant avec une belle tranquillité leur droit au sexe et à l'amour (ce sont, aussi, des sentimentaux, pas que des addicts de la baise).

Un fauteuil roulant poussé par un vieux très guilleret fait son entrée… On nous avertit alors qu'en fonction du grand âge des participant(e)s au plateau, et malgré les deux défibrillateurs à disposition, certain(e)s sont susceptibles de mourir sur scène, ce qui – on l'admettra aisément – est un meilleur destin que mourir en Ehpad… Humour noir et vieilles dentelles, le ton est donné. De son fauteuil, la doyenne de la troupe, 91 ans, Belge et ancienne présentatrice du journal TV, va ar-ti-cu-ler son texte, elle qui a renoncé à son abonnement à la Comédie-Française car "ils" ne savent plus scander, un vrai scandale ! Confiant plus sérieusement que, ce qui lui manque aujourd'hui – elle qui a eu la chance d'avoir beaucoup d'hommes –, c'est d'embrasser quelqu'un sur la bouche et de manquer à quelqu'un.

Yves Kafka
30/08/2024