La Revue du Spectacle, le magazine des arts de la scène et du spectacle vivant. Infos théâtre, chanson, café-théâtre, cirque, arts de la rue, agenda, CD, etc.



Augmenter la taille du texte
Diminuer la taille du texte
Partager
Lyrique

Celestissima Karina !

Alors qu'elle vient de triompher à Paris dans le rôle-titre de "Partenope" et dans celui d'Armida de "Rinaldo", deux œuvres de son compositeur fétiche Haendel, Karina Gauvin livre, dans un récent enregistrement paru chez Atma Classique, "Divine Karina", une récapitulation de sa carrière discographique passée. L'occasion pour la soprano canadienne de rappeler l'étendue de son incroyable talent au moment où de nouvelles perspectives s'offrent à elle. Prochain rendez-vous le 20 février à la Philharmonie de Paris.



Karina Gauvin, "Alcina" de Haendel, novembre 2015 au Teatro Real (Madrid) © Teatro Real/Javier del Real.
Karina Gauvin, "Alcina" de Haendel, novembre 2015 au Teatro Real (Madrid) © Teatro Real/Javier del Real.
Avec une solide carrière internationale derrière elle, Karina Gauvin a su se forger une réputation unique de tragédienne lyrique époustouflante. Elle est une des seules chanteuses au monde à pouvoir prétendre incarner le personnage éponyme de l'opéra "Olympie" de Gaspare Spontini (en juin 2016 à Paris), un des rôles les plus ardus qui soient. La scène l'a cependant longtemps ignorée - elle qui possède naturellement un vrai tempérament d'actrice. Mais le temps où un metteur en scène pouvait l'humilier en refusant de la distribuer dans un opéra au motif de ses mensurations pulpeuses ou de son âge est très loin derrière elle. Désormais tous se l'arrachent en Europe ou dans les terres du delà.

Personnalité éminemment volcanique, dont les éclats de rire et l'accent chantant sont proverbiaux, Karina Gauvin est en outre dotée d'une voix admirable. Générosité d'un soprano à l'ambitus semble-t-il quasi illimité, intelligence de l'incarnation, sens inné de la scène, la chanteuse a su se rendre indispensable et ce, avec une simplicité très éloignée du cliché de la prima donna inaccessible. C'est le moment choisi par sa maison de disques canadienne pour faire paraître les morceaux choisis de ses précédents enregistrements (une quarantaine de titres à ce jour). Quatorze titres (et un bonus inédit)* viennent rappeler que sa persona de chanteuse s'est construite avec le répertoire baroque mais aussi avec Mozart et plus proches de nous, Mahler et Britten.

"La Clémence de Titus" de Mozart, rôle de Vitellia, opéra mis en scène par Denis Podalydès, décembre 2014 © DR.
"La Clémence de Titus" de Mozart, rôle de Vitellia, opéra mis en scène par Denis Podalydès, décembre 2014 © DR.
Quatre arias haendeliennes bien sûr - avec l'allégresse contagieuse ("Rejoice Greatly") du "Messie", les déchirements passionnés (mais savamment nuancés) de la sorcière Alcina ("Ombre pallide") quittée par son amant Ruggiero, sans oublier la rêveuse Reine de Saba de l'oratorio "Solomon" ("Will the sun forget to streak") - mais aussi Purcell avec deux très beaux airs (dont "Fairest isle" extrait de "King Arthur"), Porpora et Vivaldi. La pyrotechnie obligée dans ce type de répertoire n'est jamais agaçante et la ligne mélodique toujours étoffée avec délicatesse et moelleux. À noter la reprise splendide de "Doucement" de la cantate de Bodin de Boismortier, "L'Hyver".

Outre sa Suzanne des "Noces de Figaro", sensuelle et joliment tentatrice, la soprano émeut dans le "Ich habe genug" de la Cantate BWV 82 de J. S. Bach au registre élégiaque soutenu par une voix comme venue du ciel. Une fabuleuse vocalité toute céleste encore dans le quatrième mouvement ("Sehr behaglich") de la Symphonie n° 4 de Gustav Mahler et son lied au titre ici vraiment évident "Das himmlische Leben" (i.e. la vie céleste). Le cœur et une technique très sûre toujours au service de la poésie se retrouvent encore dans l'air de Benjamin Britten ,"Now sleeps the Crimson Petal". Autant dire que le meilleur de ce qu'elle peut nous offrir est là et aussi - on le pressent - à venir.

* Il s'agit de "You, my sister" chantée avec sa sœur Nathalie Gauvin (de T. Williams, K. et N. Gauvin).

● Karina Gauvin "Divine Karina".
"The Best of Karina Gauvin".
Label : ATMA Classique.
Distribution : UVM Distribution.
Sortie : janvier 2016.

Prochains rendez-vous :
20 février 2016 à 20 h 30.
Philharmonie de Paris, Grande salle, Philharmonie 1, Paris 19e,
"Chant de Louanges", Symphonie n°2 (1840) de Félix Mendelssohn.
Karina Gauvain, soprano 1.
Orchestre de Chambre d'Europe.
RIAS Kammerchor.
Yannick Nézet-Séguin, direction.

15 avril 2016 à 20 h.
Auditorium de la Maison de la Radio, Paris 16e.
"L'Enfant Prodigue" (1884) de Claude Debussy.
Karina Gauvin, Lia.

Karina Gauvin, "Alcina" de Haendel © Teatro Real/Javier del Real.
Karina Gauvin, "Alcina" de Haendel © Teatro Real/Javier del Real.
Stanislas de Barbeyrac, Azael.
Jean-François Lapointe, Siméon.
"L'Enfant et les Sortilèges" (1925) de Maurice Ravel.
Sabine Devieilhe, Nathalie Stutzmann, Julie Pasturaud, Nicolas Courjal.
Chœur de Radio France.
Orchestre Philharmonique de Radio France.
Mikko Franck, direction.

3 juin 2016 à 20 h.
Théâtre des Champs-Elysées, Paris 8e.
"Olympie" (1819) de Gaspare Spontini.
Karina Gauvin, Olympie.
Kate Aldrich, Statira.
Charles Castronovo, Cassandre.
Josef Wagner, Antigone.
Patrick Bolleire, Hiérophante.
Le Cercle de l'Harmonie.
Vlaams Radio Koor.
Jérémie Rhorer, direction.

Christine Ducq
Samedi 20 Février 2016

Nouveau commentaire :

Concerts | Lyrique







À découvrir

"Rimbaud Cavalcades !" Voyage cycliste au cœur du poétique pays d'Arthur

"Je m'en allais, les poings dans mes poches crevées…", Arthur Rimbaud.
Quel plaisir de boucler une année 2022 en voyageant au XIXe siècle ! Après Albert Einstein, je me retrouve face à Arthur Rimbaud. Qu'il était beau ! Le comédien qui lui colle à la peau s'appelle Romain Puyuelo et le moins que je puisse écrire, c'est qu'il a réchauffé corps et cœur au théâtre de l'Essaïon pour mon plus grand bonheur !

© François Vila.
Rimbaud ! Je me souviens encore de ses poèmes, en particulier "Ma bohème" dont l'intro est citée plus haut, que nous apprenions à l'école et que j'avais déclamé en chantant (et tirant sur mon pull) devant la classe et le maître d'école.

Beauté ! Comment imaginer qu'un jeune homme de 17 ans à peine puisse écrire de si sublimes poèmes ? Relire Rimbaud, se plonger dans sa bio et venir découvrir ce seul en scène. Voilà qui fera un très beau de cadeau de Noël !

C'est de saison et ça se passe donc à l'Essaïon. Le comédien prend corps et nous invite au voyage pendant plus d'une heure. "Il s'en va, seul, les poings sur son guidon à défaut de ne pas avoir de cheval …". Et il raconte l'histoire d'un homme "brûlé" par un métier qui ne le passionne plus et qui, soudain, décide de tout quitter. Appart, boulot, pour suivre les traces de ce poète incroyablement doué que fut Arthur Rimbaud.

Isabelle Lauriou
25/03/2024
Spectacle à la Une

"Mon Petit Grand Frère" Récit salvateur d'un enfant traumatisé au bénéfice du devenir apaisé de l'adulte qu'il est devenu

Comment dire l'indicible, comment formuler les vagues souvenirs, les incertaines sensations qui furent captés, partiellement mémorisés à la petite enfance. Accoucher de cette résurgence voilée, diffuse, d'un drame familial ayant eu lieu à l'âge de deux ans est le parcours théâtral, étonnamment réussie, que nous offre Miguel-Ange Sarmiento avec "Mon petit grand frère". Ce qui aurait pu paraître une psychanalyse impudique devient alors une parole salvatrice porteuse d'un écho libératoire pour nos propres histoires douloureuses.

© Ève Pinel.
9 mars 1971, un petit bonhomme, dans les premiers pas de sa vie, goûte aux derniers instants du ravissement juvénile de voir sa maman souriante, heureuse. Mais, dans peu de temps, la fenêtre du bonheur va se refermer. Le drame n'est pas loin et le bonheur fait ses valises. À ce moment-là, personne ne le sait encore, mais les affres du destin se sont mis en marche, et plus rien ne sera comme avant.

En préambule du malheur à venir, le texte, traversant en permanence le pont entre narration réaliste et phrasé poétique, nous conduit à la découverte du quotidien plein de joie et de tendresse du pitchoun qu'est Miguel-Ange. Jeux d'enfants faits de marelle, de dinette, de billes, et de couchers sur la musique de Nounours et de "bonne nuit les petits". L'enfant est affectueux. "Je suis un garçon raisonnable. Je fais attention à ma maman. Je suis un bon garçon." Le bonheur est simple, mais joyeux et empli de tendresse.

Puis, entre dans la narration la disparition du grand frère de trois ans son aîné. La mort n'ayant, on le sait, aucune morale et aucun scrupule à commettre ses actes, antinaturelles lorsqu'il s'agit d'ôter la vie à un bambin. L'accident est acté et deux gamins dans le bassin sont décédés, ceux-ci n'ayant pu être ramenés à la vie. Là, se révèle l'avant et l'après. Le bonheur s'est enfui et rien ne sera plus comme avant.

Gil Chauveau
05/04/2024
Spectacle à la Une

"Un prince"… Seul en scène riche et pluriel !

Dans une mise en scène de Marie-Christine Orry et un texte d'Émilie Frèche, Sami Bouajila incarne, dans un monologue, avec superbe et talent, un personnage dont on ignore à peu près tout, dans un prisme qui brasse différents espaces-temps.

© Olivier Werner.
Lumière sur un monticule qui recouvre en grande partie le plateau, puis le protagoniste du spectacle apparaît fébrilement, titubant un peu et en dépliant maladroitement, à dessein, son petit tabouret de camping. Le corps est chancelant, presque fragile, puis sa voix se fait entendre pour commencer un monologue qui a autant des allures de récit que de narration.

Dans ce monologue dans lequel alternent passé et présent, souvenirs et réalité, Sami Bouajila déploie une gamme d'émotions très étendue allant d'une voix tâtonnante, hésitante pour ensuite se retrouver dans un beau costume, dans une autre scène, sous un autre éclairage, le buste droit, les jambes bien plantées au sol, avec un volume sonore fort et bien dosé. La voix et le corps sont les deux piliers qui donnent tout le volume théâtral au caractère. L'évidence même pour tout comédien, sauf qu'avec Sami Bouajila, cette évidence est poussée à la perfection.

Toute la puissance créative du comédien déborde de sincérité et de vérité avec ces deux éléments. Nul besoin d'une couronne ou d'un crucifix pour interpréter un roi ou Jésus, il nous le montre en utilisant un large spectre vocal et corporel pour incarner son propre personnage. Son rapport à l'espace est dans un périmètre de jeu réduit sur toute la longueur de l'avant-scène.

Safidin Alouache
12/03/2024