La Revue du Spectacle, le magazine des arts de la scène et du spectacle vivant. Infos théâtre, chanson, café-théâtre, cirque, arts de la rue, agenda, CD, etc.



Augmenter la taille du texte
Diminuer la taille du texte
Partager
Lyrique

Une Traviata dans le formol à Bastille !

Jusqu'au 20 juin 2014, l'Opéra de Paris présente une nouvelle production du plus populaire des opéras de Giuseppe Verdi, "La Traviata". Avec une mise en scène confiée à Benoît Jacquot et une prise de rôle pour la soprano allemande Diana Damrau, pour la première fois sur la scène de l'opéra parisien, l'événement était très attendu. C’est pourtant une vraie déception.



© Opéra national de Paris/Elisa Haberer.
© Opéra national de Paris/Elisa Haberer.
"La Traviata", c'est cet opéra que le roi de la musique italienne Giuseppe Verdi écrit en quatre semaines, presque sur un coin de table, alors qu'il corrige la partition du "Trouvère" tout juste créé en janvier 1853 à Rome. Destiné à la Fenice de Venise, "La Traviata" (ou "Dévoyée") peine à convaincre le public cette même année 53. Ce n'est pas tout de suite le délire dans l’auditoire, dans le milieu on appelle même cela un four (mais pas une fournée).

Cette histoire sulfureuse d'une courtisane tuberculeuse, au cœur plus grand que les grands bourgeois qui la paient et la jugent (le livret est bien sûr tiré de la pièce de Dumas fils : "La Dame aux camélias"), ne deviendra une des œuvres les plus populaires du répertoire qu'un peu plus tard. Maintenant, on se tuerait pour y assister et chacun a fredonné sous sa douche les airs les plus connus grâce aux chanteuses mythiques du passé telles Maria Callas ou Teresa Stratas dans le film de Franco Zeffirelli (en 1983) et plus tard dans son cercueil à La Monnaie de Bruxelles.

© Opéra national de Paris/Elisa Haberer.
© Opéra national de Paris/Elisa Haberer.
Benoît Jacquot, qu'on a beaucoup aimé comme metteur en scène de "Tosca" au cinéma et de "Werther" à Bastille (avec Jonas Kaufmann !), n'a pas transformé ce troisième essai. Que dire de ces décors tristes, de cette lecture sage de l'opéra de Verdi, de ce lit gigantesque à l'acte I surmonté du tableau de Manet "Olympia" ? (Oh oh quelle originalité !). Annina la femme de chambre est noire, seul manque le chat du tableau - qui nous manque du coup, il nous aurait fait passer le temps… Idée bien laborieuse donc (surtout qu'on a noirci le visage de cette pauvre Cornelia Oncioiu, soprano talentueuse venue de l'Atelier lyrique). À l’acte II, un arbre géant (d’ailleurs très beau) flanque un escalier d'apparat en marbre (du genre que c’est le conflit entre nature pure de Violetta et artifice de la société patriarcale tu vois ?).

Rien ne fonctionne donc, et encore moins ces robes ridicules type Sissi impératrice, ce ballet grotesque des gitanes, des chevaux et des taureaux, ces jeux de scène tout droit sortis des années cinquante. Quand le lit d’hôpital (flanquant le lit à baldaquins abandonné), où agonise Violetta Valery, "dévoyée" en rédemption active, se perd dans un espace quasi vide et enténébré au troisième acte, c’est le pompon. Et plus grave, la mise en scène plombe tellement le chef d’œuvre de Verdi depuis le début qu'elle en accentue le caractère mélodramatique super daté en 2014 - qu’est devenu le drame moderne quasi vériste de 1853.

© Opéra national de Paris/Elisa Haberer.
© Opéra national de Paris/Elisa Haberer.
Pas le moindre frisson, pas la moindre larme à l'œil, pas la moindre émotion ne nous saisit. Il fallait le faire. Et ce ne sont pas les chanteurs qui rattrapent la soirée (sauf le baryton impérial qu’est Ludovic Tézier dans le rôle du père Giorgio Germont). Diana Damrau chante très bien, à un niveau technique ébouriffant, mais la morbidité du personnage, son lyrisme tragique manquent horriblement à l'appel. Sa Traviata manque de tempérament et le jeu affecté de cette diva (en mue récente "lirico spinto") n'arrange rien.

Le jeune ténor italien Francesco Demuro est mieux que ce qu'on en dit, il n'est pas non plus (et de loin) un Alfredo inoubliable. L'orchestre sous la direction de Daniel Oren accompagne sagement les chanteurs (Verdi n’est pas Wagner n'est ce pas) mais il nous laisse un peu froid et cela c'est vraiment la tragédie de la soirée.

© Opéra national de Paris/Elisa Haberer.
© Opéra national de Paris/Elisa Haberer.
Prochains spectacles :
Jeudi 12, samedi 14, mardi 17 et vendredi 20 juin 2014 à 19 h 30.
Reprise de la production à l’automne 2014 pour la saison 2014-2015 de l’Opéra de Paris.


Opéra national de Paris, 08 92 89 90 90.
Place de la Bastille Paris 12e.
>> operadeparis.fr/saison-2013-2014

"La Traviata" (1853).
Opéra en trois actes.
Musique : Giuseppe Verdi (1813-1901).
Livret : Francesco Maria Piave.
En langue italienne surtitrée en français.
Durée du spectacle : 3 h avec deux entractes.

Daniel Oren, direction musicale (le 20/06).
Francesco Ivan Ciampa, direction musicale (les 12, 14 et 17/06).
Benoît Jacquot, mise en scène.
Sylvain Chauvelot, décors.
Christian Gasc, costumes.
André Diot, lumières.
Philippe Giraudeau, chorégraphie.
Alessandro di Stefano, chef de chœur.

Diana Damrau, Violetta Valery.
Cornelia Oncioiu, Annina.
Francesco Demuro, Alfredo Germont.
Ludovic Tézier, Giorgio Germont.
Fabio Previati, Barone Douphol.
Nicolas Testé, Dottor Grenvil.
Nicolas Marie, Giuseppe.

Orchestre et Chœur de l’Opéra de Paris.

Christine Ducq
Mardi 10 Juin 2014

Nouveau commentaire :

Concerts | Lyrique







À découvrir

"Le Chef-d'œuvre Inconnu" Histoire fascinante transcendée par le théâtre et le génie d'une comédienne

À Paris, près du quai des Grands-Augustins, au début du XVIIe siècle, trois peintres devisent sur leur art. L'un est un jeune inconnu promis à la gloire : Nicolas Poussin. Le deuxième, Franz Porbus, portraitiste du roi Henri IV, est dans la plénitude de son talent et au faîte de sa renommée. Le troisième, le vieux Maître Frenhofer, personnage imaginé par Balzac, a côtoyé les plus grands maîtres et assimilé leurs leçons. Il met la dernière main dans le plus grand secret à un mystérieux "chef-d'œuvre".

© Jean-François Delon.
Il faudra que Gilette, la compagne de Poussin, en qui Frenhofer espère trouver le modèle idéal, soit admise dans l'atelier du peintre, pour que Porbus et Poussin découvrent le tableau dont Frenhofer gardait jalousement le secret et sur lequel il travaille depuis 10 ans. Cette découverte les plongera dans la stupéfaction !

Quelle autre salle de spectacle aurait pu accueillir avec autant de justesse cette adaptation théâtrale de la célèbre nouvelle de Balzac ? Une petite salle grande comme un mouchoir de poche, chaleureuse et hospitalière malgré ses murs tout en pierres, bien connue des férus(es) de théâtre et nichée au cœur du Marais ?

Cela dit, personne ne nous avait dit qu'à l'Essaïon, on pouvait aussi assister à des séances de cinéma ! Car c'est pratiquement à cela que nous avons assisté lors de la générale de presse lundi 27 mars dernier tant le talent de Catherine Aymerie, la comédienne seule en scène, nous a emportés(es) et transportés(es) dans l'univers de Balzac. La force des images transmises par son jeu hors du commun nous a fait vire une heure d'une brillante intensité visuelle.

Pour peu que l'on foule de temps en temps les planches des théâtres en tant que comédiens(nes) amateurs(es), on saura doublement jauger à quel point jouer est un métier hors du commun !
C'est une grande leçon de théâtre que nous propose là la Compagnie de la Rencontre, et surtout Catherine Aymerie. Une très grande leçon !

Brigitte Corrigou
06/03/2024
Spectacle à la Une

"L'Effet Papillon" Se laisser emporter au fil d'un simple vol de papillon pour une fascinante expérience

Vous pensez que vos choix sont libres ? Que vos pensées sont bien gardées dans votre esprit ? Que vous êtes éventuellement imprévisibles ? Et si ce n'était pas le cas ? Et si tout partait de vous… Ouvrez bien grands les yeux et vivez pleinement l'expérience de l'Effet Papillon !

© Pics.
Vous avez certainement entendu parler de "l'effet papillon", expression inventée par le mathématicien-météorologue Edward Lorenz, inventeur de la théorie du chaos, à partir d'un phénomène découvert en 1961. Ce phénomène insinue qu'il suffit de modifier de façon infime un paramètre dans un modèle météo pour que celui-ci s'amplifie progressivement et provoque, à long terme, des changements colossaux.

Par extension, l'expression sous-entend que les moindres petits événements peuvent déterminer des phénomènes qui paraissent imprévisibles et incontrôlables ou qu'une infime modification des conditions initiales peut engendrer rapidement des effets importants. Ainsi, les battements d'ailes d'un papillon au Brésil peuvent engendrer une tornade au Mexique ou au Texas !

C'est à partir de cette théorie que le mentaliste Taha Mansour nous invite à nouveau, en cette rentrée, à effectuer un voyage hors du commun. Son spectacle a reçu un succès notoire au Sham's Théâtre lors du Festival d'Avignon cet été dernier.

Impossible que quiconque sorte "indemne" de cette phénoménale prestation, ni que nos certitudes sur "le monde comme il va", et surtout sur nous-mêmes, ne soient bousculées, chamboulées, contrariées.

"Le mystérieux est le plus beau sentiment que l'on peut ressentir", Albert Einstein. Et si le plus beau spectacle de mentalisme du moment, en cette rentrée parisienne, c'était celui-là ? Car Tahar Mansour y est fascinant à plusieurs niveaux, lui qui voulait devenir ingénieur, pour qui "Centrale" n'a aucun secret, mais qui, pourtant, a toujours eu une âme d'artiste bien ancrée au fond de lui. Le secret de ce spectacle exceptionnel et époustouflant serait-il là, niché au cœur du rationnel et de la poésie ?

Brigitte Corrigou
08/09/2023
Spectacle à la Une

"Deux mains, la liberté" Un huis clos intense qui nous plonge aux sources du mal

Le mal s'appelle Heinrich Himmler, chef des SS et de la Gestapo, organisateur des camps de concentration du Troisième Reich, très proche d'Hitler depuis le tout début de l'ascension de ce dernier, près de vingt ans avant la Deuxième Guerre mondiale. Himmler ressemble par son physique et sa pensée à un petit, banal, médiocre fonctionnaire.

© Christel Billault.
Ordonné, pratique, méthodique, il organise l'extermination des marginaux et des Juifs comme un gestionnaire. Point. Il aurait été, comme son sous-fifre Adolf Eichmann, le type même décrit par Hannah Arendt comme étant la "banalité du mal". Mais Himmler échappa à son procès en se donnant la mort. Parfois, rien n'est plus monstrueux que la banalité, l'ordre, la médiocrité.

Malgré la pâleur de leur personnalité, les noms de ces âmes de fonctionnaires sont gravés dans notre mémoire collective comme l'incarnation du Mal et de l'inimaginable, quand d'autres noms - dont les actes furent éblouissants d'humanité - restent dans l'ombre. Parmi eux, Oskar Schindler et sa liste ont été sauvés de l'oubli grâce au film de Steven Spielberg, mais également par la distinction qui lui a été faite d'être reconnu "Juste parmi les nations". D'autres n'ont eu aucune de ces deux chances. Ainsi, le héros de cette pièce, Félix Kersten, oublié.

Joseph Kessel lui consacra pourtant un livre, "Les Mains du miracle", et, aujourd'hui, Antoine Nouel, l'auteur de la pièce, l'incarne dans la pièce qu'il a également mise en scène. C'est un investissement total que ce comédien a mis dans ce projet pour sortir des nimbes le visage étonnant de ce personnage de l'Histoire qui, par son action, a fait libérer près de 100 000 victimes du régime nazi. Des chiffres qui font tourner la tête, mais il est le résultat d'une volonté patiente qui, durant des années, négocia la vie contre le don.

Bruno Fougniès
15/10/2023