La Revue du Spectacle, le magazine des arts de la scène et du spectacle vivant. Infos théâtre, chanson, café-théâtre, cirque, arts de la rue, agenda, CD, etc.



Augmenter la taille du texte
Diminuer la taille du texte
Partager
Théâtre

"Face à la mère" Chant mémoriel, d'amour et d'adieu, d'un fils à sa mère disparue

Le texte de Jean-René Lemoine est une longue et sensible harangue d'un fils à sa mère, morte il y a peu. Il tente de mettre en mots tous ces échanges qui n'ont pu exister par crainte, par omerta, par silence imposé. Plus qu'un monologue ou qu'une ode, il ressemble à la matérialisation d'un dialogue amputé d'un des deux protagonistes et décline toute la palette des sentiments entre un fils et sa mère avec ses tombereaux de regrets, de rancunes et d'amour tu.



© Gabrielle Voinot.
© Gabrielle Voinot.
Une mère particulière pourtant, car celle-ci, originaire d'Haïti au moment du règne des Duvalier - qui saignèrent l'île durant des décennies jusqu'en 1986 -, fuit son île natale à la suite de son mari, se retrouva au Zaïre puis s'installa seule et éleva ses deux enfants en Belgique pour enfin retourner à Haïti à la mort de son père, et y mourir, assassinée. C'est sur le fond de cette histoire violente et politique que ce fils va s'éveiller et grandir, à la fois impliqué et à distance, imprégné et étranger.

Il ne nommera cette île que sous le groupe nominal : ce pays. "À quoi pensiez-vous en quittant ce pays ?" demande-t-il à cette mère qu'il vouvoie. Et ce vouvoiement ajoute encore à l'éloignement dans lequel ces deux êtres ont vécu malgré des liens filiaux fort, mais jamais avoués. Ce pays, il ne le nomme pas dans le texte. Ce pays pourtant revient comme une figure obsédante, moitié maléfique, moitié redoutée, un pays qui d'une certaine manière lui a volé cette mère.

Pour donner vie à cette histoire tout en en élargissant la portée universelle, Alexandra Tobelaim a choisi de lui donner trois corps, trois voix. Stéphane Brouleaux, Geoffrey Mandon et Olivier Veillon seront simultanément ce fils qui apostrophe cette mère disparue en faisant renaître les souvenirs de l'enfance en une sorte de jeu choral, imbriqué, hydre où l'énergie circule de l'un à l'autre, les comédiens formant parfois un seul corps puis s'échappent ailleurs en errances supposées, moments de fulgurances, moments d'incertitudes.

© Gabrielle Voinot.
© Gabrielle Voinot.
Avec ces trois comédiens, trois musiciens - Astérion à la contrebasse, Yoann Buffeteau à la batterie et Lionel Laquerrière à la guitare et voix - occupent un plateau à la scéno spartiate, faite de matières (sable, bois, tissus qui renvoient à la Terre) et de clarté (sol et tentures blanc pâle). Un univers presque vierge qui adoucit le propos du spectacle et apaise. La musique très belle, précise, aux accents rock, et la présence des musiciens sont essentielles dans cette mise en scène. Ceux-ci interviennent tout au long, jouent avec les comédiens, portent et développent émotions, sentiments, ruptures.

Difficile d'émettre un commentaire critique face à un tel spectacle et un tel texte. La démarche est généreuse, l'ambition apaisante ; et la réalisation présente ses interprètes comme des absolus de sincérité contre lesquels il serait vraiment mal venu d'émettre des doutes. Toute la conception du spectacle ainsi que la direction d'acteurs sont également estampillés du sceau : "rien n'est caché". Pourtant, le système extrêmement bien rodé de travail choral, de dialogue musical, de circulation des interprètes sur scène étouffe souvent le sens des mots et fait tendre le rythme vers la répétition, un système dont on aurait aimé que le spectacle sorte pour mordre mieux.

"Face à la mère"

© Gabrielle Voinot.
© Gabrielle Voinot.
Texte : Jean-René Lemoine.
Mise en scène : Alexandra Tobelaim.
Création musicale : Olivier Mellano.
Avec : Astérion (contrebasse), Yoann Buffeteau (batterie), Stéphane Brouleaux, Lionel Laquerrière (guitare et voix), Geoffrey Mandon, Olivier Veillon.
Scénographie : Olivier Thomas.
Lumières : Alexandre Martre.
Travail vocal : Jeanne-Sarah Deledicq.
Costumes : Joëlle Grossi.
Son : Émile Wacquiez.
Durée : 1 h 30.

Vu au Théâtre de la Tempête, Paris 12e, le 20 janvier 2021 dans le cadre de représentations réservées aux professionnels et à la presse.
>> la-tempete.fr

Tournée
1er février 2022 : Anthéa, Antibes (06).
4 février 2022 : Bords 2 Scènes, Espace Simone Signoret, Vitry-le-François (51).
24 et 25 février 2022 : Centre Dramatique National de l'Océan Indien, Théâtre du Grand Marché, Saint-Denis, La Réunion.

Bruno Fougniès
Lundi 25 Janvier 2021


1.Posté par Sherine Golles le 01/02/2022 14:29
Bonjour,
Le spectacle Face à la Mère, se déroule le 04 février 2022 à Vitry-Le-François à l'Espace Simone Signoret, et non le 19 février 2021.
https://bords2scenes.fr/spectacles/face-a-la-mere/

Merci.

Nouveau commentaire :

Théâtre | Danse | Concerts & Lyrique | À l'affiche | À l'affiche bis | Cirque & Rue | Humour | Festivals | Pitchouns | Paroles & Musique | Avignon 2017 | Avignon 2018 | Avignon 2019 | CédéDévédé | Trib'Une | RV du Jour | Pièce du boucher | Coulisses & Cie | Coin de l’œil | Archives | Avignon 2021 | Avignon 2022 | Avignon 2023 | Avignon 2024 | À l'affiche ter | Avignon 2025







À Découvrir

"Lilou et Lino Le Voyage vers les étoiles" Petit à petit, les chats deviennent l'âme de la maison*

Qu'il est bon de se retrouver dans une salle de spectacle !
Qu'il est agréable de quitter la jungle urbaine pour un moment de calme…
Qu'il est hallucinant de risquer encore plus sa vie à vélo sur une piste cyclable !
Je ne pensais pas dire cela en pénétrant une salle bondée d'enfants, mais au bruit du dehors, très souvent infernal, j'ai vraiment apprécié l'instant et le brouhaha des petits, âgés, de 3 à 8 ans.

© Delphine Royer.
Sur scène du Théâtre Essaïon, un décor représente une chambre d'enfant, celle d'une petite fille exactement. Cette petite fille est interprétée par la vive et solaire Vanessa Luna Nahoum, tiens ! "Luna" dans son prénom, ça tombe si bien. Car c'est sur la lune que nous allons voyager avec elle. Et les enfants, sages comme des images, puisque, non seulement, Vanessa a le don d'adoucir les plus dissipés qui, très vite, sont totalement captés par la douceur des mots employés, mais aussi parce que Vanessa apporte sa voix suave et apaisée à l'enfant qu'elle incarne parfaitement. Un modèle pour les parents présents dans la salle et un régal pour tous ses "mini" yeux rivés sur la scène. Face à la comédienne.

Vanessa Luna Nahoum est Lilou et son chat – Lino – n'est plus là. Ses parents lui racontent qu'il s'est envolé dans les étoiles pour y pêcher. Quelle étrange idée ! Mais la vie sans son chat, si belle âme, à la fois réconfortante, câline et surprenante, elle ne s'y résout pas comme ça. Elle l'adore "trop" son animal de compagnie et qui, pour ne pas comprendre cela ? Personne ce matin en tout cas. Au contraire, les réactions fusent, le verbe est bien choisi. Les enfants sont entraînés dans cette folie douce que propose Lilou : construire une fusée et aller rendre visite à son gros minet.

Isabelle Lauriou
15/05/2025
Spectacle à la Une

"Un Chapeau de paille d'Italie" Une version singulière et explosive interrogeant nos libertés individuelles face aux normalisations sociétales et idéologiques

Si l'art de générer des productions enthousiastes et inventives est incontestablement dans l'ADN de la compagnie L'Éternel Été, l'engagement citoyen fait aussi partie de la démarche créative de ses membres. La présente proposition ne déroge pas à la règle. Ainsi, Emmanuel Besnault et Benoît Gruel nous offrent une version décoiffante, vive, presque juvénile, mais diablement ancrée dans les problématiques actuelles, du "Chapeau de paille d'Italie"… pièce d'Eugène Labiche, véritable référence du vaudeville.

© Philippe Hanula.
L'argument, simple, n'en reste pas moins source de quiproquos, de riantes ficelles propres à la comédie et d'une bonne dose de situations grotesques, burlesques, voire absurdes. À l'aube d'un mariage des plus prometteurs avec la très florale Hélène – née sans doute dans les roses… ornant les pépinières parentales –, le fringant Fadinard se lance dans une quête effrénée pour récupérer un chapeau de paille d'Italie… Pour remplacer celui croqué – en guise de petit-déj ! – par un membre de la gent équestre, moteur exclusif de son hippomobile, ci-devant fiacre. À noter que le chapeau alimentaire appartenait à une belle – porteuse d'une alliance – en rendez-vous coupable avec un soldat, sans doute Apollon à ses heures perdues.

N'ayant pas vocation à pérenniser toute forme d'adaptation académique, nos deux metteurs en scène vont imaginer que cette histoire absurde est un songe, le songe d'une nuit… niché au creux du voyage ensommeillé de l'aimable Fadinard. Accrochez-vous à votre oreiller ! La pièce la plus célèbre de Labiche se transforme en une nouvelle comédie explosive, électro-onirique ! Comme un rêve habité de nounours dans un sommeil moelleux peuplé d'êtres extravagants en doudounes orange.

Gil Chauveau
11/03/2024
Spectacle à la Une

"La vie secrète des vieux" Aimer même trop, même mal… Aimer jusqu'à la déchirure

"Telle est ma quête", ainsi parlait l'Homme de la Mancha de Jacques Brel au Théâtre des Champs-Élysées en 1968… Une quête qu'ont fait leur cette troupe de vieux messieurs et vieilles dames "indignes" (cf. "La vieille dame indigne" de René Allio, 1965, véritable ode à la liberté) avides de vivre "jusqu'au bout" (ouaf… la crudité revendiquée de leur langue émancipée y autorise) ce qui constitue, n'en déplaise aux catholiques conservateurs, le sel de l'existence. Autour de leur metteur en scène, Mohamed El Khatib, ils vont bousculer les règles de la bienséance apprise pour dire sereinement l'amour chevillé au corps des vieux.

© Christophe Raynaud de Lage.
Votre ticket n'est plus valable. Prenez vos pilules, jouez au Monopoly, au Scrabble, regardez la télé… des jeux de votre âge quoi ! Et surtout, ayez la dignité d'attendre la mort en silence, on ne veut pas entendre vos jérémiades et – encore moins ! – vos chuchotements de plaisir et vos cris d'amour… Mohamed El Khatib, fin observateur des us et coutumes de nos sociétés occidentales, a documenté son projet théâtral par une série d'entretiens pris sur le vif en Ehpad au moment de la Covid, des mouroirs avec eau et électricité à tous les étages. Autour de lui et d'une aide-soignante, artiste professionnelle pétillante de malice, vont exister pleinement huit vieux et vieilles revendiquant avec une belle tranquillité leur droit au sexe et à l'amour (ce sont, aussi, des sentimentaux, pas que des addicts de la baise).

Un fauteuil roulant poussé par un vieux très guilleret fait son entrée… On nous avertit alors qu'en fonction du grand âge des participant(e)s au plateau, et malgré les deux défibrillateurs à disposition, certain(e)s sont susceptibles de mourir sur scène, ce qui – on l'admettra aisément – est un meilleur destin que mourir en Ehpad… Humour noir et vieilles dentelles, le ton est donné. De son fauteuil, la doyenne de la troupe, 91 ans, Belge et ancienne présentatrice du journal TV, va ar-ti-cu-ler son texte, elle qui a renoncé à son abonnement à la Comédie-Française car "ils" ne savent plus scander, un vrai scandale ! Confiant plus sérieusement que, ce qui lui manque aujourd'hui – elle qui a eu la chance d'avoir beaucoup d'hommes –, c'est d'embrasser quelqu'un sur la bouche et de manquer à quelqu'un.

Yves Kafka
30/08/2024