La Revue du Spectacle, le magazine des arts de la scène et du spectacle vivant. Infos théâtre, chanson, café-théâtre, cirque, arts de la rue, agenda, CD, etc.



Augmenter la taille du texte
Diminuer la taille du texte
Partager
Avignon 2022

•In 2022• "En Transit" Les bégaiements (ir)résistibles de l'Histoire

2018, le dramaturge iranien Amir Reza Koohestani est retenu dans l'espace Schengen de l'aéroport de Munich, plaque tournante entre le Moyen Orient et les Amériques. Pour cause de visa expiré de quelques jours, son escale devra se prolonger… Son projet de porter au plateau le roman d'Anna Seghers, "Transit", traitant de la situation de migrants de 1943 parqués à Marseille, en attente eux aussi du précieux sésame pour l'Amérique, prend alors forme. La similitude entre ces deux situations l'amène, dans un fondu enchainé "théâtral", à les traiter en écho, les personnages traversant les frontières spatio-temporelles pour dialoguer entre eux.



© Christophe Raynaud de Lage.
© Christophe Raynaud de Lage.
Ainsi, le personnage incarnant l'auteur - joué par une actrice, comme d'ailleurs tous les autres personnages masculins - rencontrera la "femme aux deux chiens" vivant les affres de voir, dans les années d'occupation, son visa suspendu à la santé des deux cabots qu'elle s'est engagée à transporter outre-Atlantique, en échange de la précieuse lettre de recommandation promise par les propriétaires canins. Situation ubuesque qui serait franchement risible si l'enjeu n'en était pas dramatique… De même, une avocate bénévole dispensera indifféremment ses conseils aux passagers coincés de nos jours dans les zones de transit - rebaptisées pudiquement "salles d'attente" - et aux personnes fuyant sous l'occupation les persécutions nazies.

Le dispositif scénique - une salle de transit impersonnelle, sans âme, verre et métal d'un univers High-Tech glacial, surveillée en permanence par des caméras de sécurité - projette sur grand écran les visages des protagonistes où l'on lit l'incompréhension qui les gagne. Si on ajoute que les parlers - farsi, français, anglais, portugais, brésilien - des différents intervenants sont respectés à la lettre et traduits dans un surtitrage simultané, on aura idée… du maelström qui en résulte. En effet, si la complexité de ce qui se joue et rejoue, dans ces lieux de brassage multiculturel où la vie de chacun est tout entière contenue dans un papier officiel, s'exprime au travers de la confusion assourdissante recréée, la complexité du dispositif perd bien souvent - et inutilement - le spectateur…

© Christophe Raynaud de Lage.
© Christophe Raynaud de Lage.
Entre la cacophonie voulue des langues babéliennes, l'explosion du cadre spatio-temporel confondant à l'envi deux époques et deux lieux, en miroir l'un de l'autre pour rendre palpable la répétition du même, et l'identité non genrée des personnages joués par des actrices représentant certes des trajectoires universelles, il y a là matière à se sentir… un peu perdu.

Dommage ce chaos systémique, car l'idée de faire dialoguer à distance deux situations poussant leurs rhizomes dans le même sens d'une Histoire cyclique avait de quoi séduire… En effet, si "l'Histoire ne repasse pas les plats" (cf. Céline), elle a une fâcheuse propension à bégayer les mêmes fléaux… comme celui de "l'accueil" des réfugiés parqués dans des zones de non-droit, leur sort suspendu au bon vouloir d'une administration sans état d'âme.

Vu le jeudi 14 juillet au Gymnase du lycée Mistral, Avignon.

"En Transit"

© Christophe Raynaud de Lage.
© Christophe Raynaud de Lage.
D'après Anna Seghers.
Création 2022. Téhéran - Genève.
Spectacle Multilingue (Français, Anglais, Farsi, Portugais Brésilien) surtitré en français et en anglais.
Traduction en français et en anglais pour le surtitrage : Massoumeh Lahidji.
Texte : Amir Reza Koohestani, Keyvan Sarreshteh, librement adapté du roman "Transit" d'Anna Seghers.
Traduction de Jeanne Stern publié aux éditions Autrement, 2018.
Adaptation : Amir Reza Koohestani, Massoumeh Lahidji, Keyvan Sarreshteh.
Mise en scène : Amir Reza Koohestani.
Assistante à la mise en scène : Isabela De Moraes Evangelista.
Avec : Danae Dario, Agathe Lecomte, Khazar Masoumi, Mahin Sadri.
Scénographie, lumière : Éric Soyer.
Vidéo : Phillip Hohenwarter.
Musique, composition : Benjamin Vicq.
Costumes : Marie Artamonoff.
Durée 1 h 20.

© Christophe Raynaud de Lage.
© Christophe Raynaud de Lage.
•Avignon In 2022•
Du 7 au 14 juillet.
Tous les jours à 18 h, relâche le samedi.
Gymnase du lycée Mistral, 20, boulevard Raspail, Avignon.
>> festival-avignon.com
Réservations : 04 90 14 14 14.

Tournée
Du 5 novembre au 1er décembre 2022 : Odéon-Théâtre de l'Europe, Paris.
Du 25 au 27 janvier 2023 : Le Maillon, Strasbourg (67)
Du 2 au 5 février 2023 : Teatro Metastasio di Prato, Prato (Italie).
Du 7 au 10 mars 2023 : TNB, Rennes (35).
Du 15 au 16 mars 2023 : CDN Orléans/Centre-Val de Loire, Orléans (45).

© Christophe Raynaud de Lage.
© Christophe Raynaud de Lage.

Yves Kafka
Mardi 19 Juillet 2022

Nouveau commentaire :

Théâtre | Danse | Concerts & Lyrique | À l'affiche | À l'affiche bis | Cirque & Rue | Humour | Festivals | Pitchouns | Paroles & Musique | Avignon 2017 | Avignon 2018 | Avignon 2019 | CédéDévédé | Trib'Une | RV du Jour | Pièce du boucher | Coulisses & Cie | Coin de l’œil | Archives | Avignon 2021 | Avignon 2022 | Avignon 2023 | Avignon 2024 | À l'affiche ter





Numéros Papier

Anciens Numéros de La Revue du Spectacle (10)

Vente des numéros "Collectors" de La Revue du Spectacle.
10 euros l'exemplaire, frais de port compris.






À découvrir

"Rimbaud Cavalcades !" Voyage cycliste au cœur du poétique pays d'Arthur

"Je m'en allais, les poings dans mes poches crevées…", Arthur Rimbaud.
Quel plaisir de boucler une année 2022 en voyageant au XIXe siècle ! Après Albert Einstein, je me retrouve face à Arthur Rimbaud. Qu'il était beau ! Le comédien qui lui colle à la peau s'appelle Romain Puyuelo et le moins que je puisse écrire, c'est qu'il a réchauffé corps et cœur au théâtre de l'Essaïon pour mon plus grand bonheur !

© François Vila.
Rimbaud ! Je me souviens encore de ses poèmes, en particulier "Ma bohème" dont l'intro est citée plus haut, que nous apprenions à l'école et que j'avais déclamé en chantant (et tirant sur mon pull) devant la classe et le maître d'école.

Beauté ! Comment imaginer qu'un jeune homme de 17 ans à peine puisse écrire de si sublimes poèmes ? Relire Rimbaud, se plonger dans sa bio et venir découvrir ce seul en scène. Voilà qui fera un très beau de cadeau de Noël !

C'est de saison et ça se passe donc à l'Essaïon. Le comédien prend corps et nous invite au voyage pendant plus d'une heure. "Il s'en va, seul, les poings sur son guidon à défaut de ne pas avoir de cheval …". Et il raconte l'histoire d'un homme "brûlé" par un métier qui ne le passionne plus et qui, soudain, décide de tout quitter. Appart, boulot, pour suivre les traces de ce poète incroyablement doué que fut Arthur Rimbaud.

Isabelle Lauriou
25/03/2024
Spectacle à la Une

"Le consentement" Monologue intense pour une tentative de récit libératoire

Le livre avait défrayé la chronique à sa sortie en levant le voile sur les relations pédophiles subies par Vanessa Springora, couvertes par un milieu culturel et par une époque permissive où ce délit n'était pas considéré comme tel, même quand celui-ci était connu, car déclaré publiquement par son agresseur sexuel, un écrivain connu. Sébastien Davis nous en montre les ressorts autant intimes qu'extimes où, sous les traits de Ludivine Sagnier, la protagoniste nous en fait le récit.

© Christophe Raynaud de Lage.
Côté cour, Ludivine Sagnier attend à côté de Pierre Belleville le démarrage du spectacle, avant qu'elle n'investisse le plateau. Puis, pleine lumière où V. (Ludivine Sagnier) apparaît habillée en bas de jogging et des baskets avec un haut-le-corps. Elle commence son récit avec le visage fatigué et les traits tirés. En arrière-scène, un voile translucide ferme le plateau où parfois V. plante ses mains en étirant son corps après chaque séquence. Dans ces instants, c'est presque une ombre que l'on devine avec une voix, continuant sa narration, un peu en écho, comme à la fois proche, par le volume sonore, et distante par la modification de timbre qui en est effectuée.

Dans cet entre-deux où le spectacle n'a pas encore débuté, c'est autant la comédienne que l'on voit qu'une inconnue, puisqu'en dehors du plateau et se tenant à l'ombre, comme mise de côté sur une scène pourtant déjà éclairée avec un public pas très attentif de ce qui se passe.

Safidin Alouache
21/03/2024
Spectacle à la Une

"Un prince"… Seul en scène riche et pluriel !

Dans une mise en scène de Marie-Christine Orry et un texte d'Émilie Frèche, Sami Bouajila incarne, dans un monologue, avec superbe et talent, un personnage dont on ignore à peu près tout, dans un prisme qui brasse différents espaces-temps.

© Olivier Werner.
Lumière sur un monticule qui recouvre en grande partie le plateau, puis le protagoniste du spectacle apparaît fébrilement, titubant un peu et en dépliant maladroitement, à dessein, son petit tabouret de camping. Le corps est chancelant, presque fragile, puis sa voix se fait entendre pour commencer un monologue qui a autant des allures de récit que de narration.

Dans ce monologue dans lequel alternent passé et présent, souvenirs et réalité, Sami Bouajila déploie une gamme d'émotions très étendue allant d'une voix tâtonnante, hésitante pour ensuite se retrouver dans un beau costume, dans une autre scène, sous un autre éclairage, le buste droit, les jambes bien plantées au sol, avec un volume sonore fort et bien dosé. La voix et le corps sont les deux piliers qui donnent tout le volume théâtral au caractère. L'évidence même pour tout comédien, sauf qu'avec Sami Bouajila, cette évidence est poussée à la perfection.

Toute la puissance créative du comédien déborde de sincérité et de vérité avec ces deux éléments. Nul besoin d'une couronne ou d'un crucifix pour interpréter un roi ou Jésus, il nous le montre en utilisant un large spectre vocal et corporel pour incarner son propre personnage. Son rapport à l'espace est dans un périmètre de jeu réduit sur toute la longueur de l'avant-scène.

Safidin Alouache
12/03/2024