La Revue du Spectacle, le magazine des arts de la scène et du spectacle vivant. Infos théâtre, chanson, café-théâtre, cirque, arts de la rue, agenda, CD, etc.



Augmenter la taille du texte
Diminuer la taille du texte
Partager
Concerts

Légendes sacrées du Nord chez ce Sacré Berlioz !

Schumann, Sibelius et Wagner étaient les invités du compositeur de La Côte-Saint-André au jour trois du Festival Berlioz.



Philippe Bianconi © Bruno Moussier.
Philippe Bianconi © Bruno Moussier.
Avant la grande Parade Musicale et Équestre prévue dimanche 26 août et de nombreux beaux rendez-vous inscrits à l'agenda du festival ("L'Enfance du Christ" par l'Orchestre de Chambre de Nouvelle Aquitaine, la "Messe solennelle" par le Concert Spirituel, "Le Temple Universel" par Les Siècles, la "Symphonie Fantastique" par l'Orchestre de l'Opéra de Lyon, pour ne citer que les œuvres du Maître), le troisième jour du festival était consacré au premier des quatre récitals Schumann de Philippe Bianconi (concert à 17 heures) et aux Légendes sacrées du Nord pour le concert du soir.

Le pianiste Philippe Bianconi, subtil artiste et membre éminent du circuit international, n'a pas encore récolté en France tous les lauriers qu'il mérite. Il offrait son premier récital voué à Robert Schumann le mercredi 22 août, intitulé "Doubles et masques", et programmant les "Papillons" (opus 2), le "Carnaval" (opus 9) et les "Davidsbündlertänze" (opus 6). Des œuvres de jeunesse de Schumann composées entre 1830 et 1837 mettant en scène les doubles du compositeur (respectivement), les frères Walt et Vult (tirés d'un roman de Jean-Paul Richter), Florestan et Eusébius : ces frères rêveurs ou passionnés, mélancoliques ou énergiques à l'image des facettes contradictoires du compositeur.

Philippe Bianconi © Bruno Moussier.
Philippe Bianconi © Bruno Moussier.
Malgré l'acoustique un peu sèche de l’Église de La Côte, ne rendant pas assez honneur à la belle sonorité de son Steinway, Philippe Bianconi a livré une interprétation virtuose et inspirée de ces trois recueils composés en majeure partie de danses (des valses surtout et des polonaises) mais aussi de moments de confidences éperdues du compositeur.

"Papillons", que conçoit un Schumann de vingt ans, est un recueil de douze pièces et une "Introduzione" mettant donc en scène les aventures de Walt et Vult jusqu'à un bal masqué final où les frères échangent leurs masques pour séduire la jeune Wina.

Il permet au pianiste de montrer son art de la variation des climats, registres et rythmes - comme dans les recueils suivants. Les dix-huit pièces du "Carnaval" révèlent plus nettement la psyché du compositeur, en 1835. Amoureux de la baronne Ernestine von Fricken, il sème de clefs l'ouvrage (lettres/notes de son propre nom et de la ville où réside la baronne inséminent la partition).

Tour à tour éclatant, joyeux, burlesque ou mélancolique, l'ouvrage met en scène Eusébus et Florestan, Clara (futur grand amour, encore enfant) sous le nom de Chiarina et Ernestine (ici Estrella). Philippe Bianconi (à l'aise dans le legato de la déclaration lyrique comme dans les staccatos capricieux) explore la gamme infinie de la grâce ou de l'ironie schumaniennes avec une connaissance intime des arcanes diaboliques (avec virages serrés de tonalités, ruptures de tempos, de tons et d'habiles enchaînements de danses) ou rêveuses de ces tableaux vraiment théâtraux (avec leurs portraits de personnalités) jusqu'à l'accelerando impitoyable du Finale (la Marche des Davidsbündler contre les Philistins).

Richard Forès Veses © Bruno Moussier.
Richard Forès Veses © Bruno Moussier.
Ce sont d'ailleurs les Danses des Compagnons de David (opus 6) composées dès 1834 qui forment le troisième panneau de ce triptyque schumannien. Un panneau qui marque l'évolution originale de l'écriture du compositeur en dix-huit pièces censées être écrites par le rêveur Eusébius et Florestan, l'homme d'action un peu inquiétant. Le pianiste y brille ou émeut profondément grâce à un jeu tour à tour tempétueux ou poétique.

Le soir, place aux légendes nordiques avec l'Orchestre symphonique d'Odense dirigé par Roberto Forès Veses (lauréat du concours de chefs Evgeny Svetlanov), le directeur musical de l'Orchestre d'Auvergne. Après une "Valse triste" un peu languissante et le Concerto pour violon de Sibelius (opus 47), sans grand relief (interprété par la violoniste néerlandaise Simone Lamsma luttant contre les éléments déchaînés du climat), l'orchestre danois s'est révélé dans un programme wagnérien de toute beauté. Et ce, toujours en plein orage ! Deux changements effectués au pupitre des cors et des bois ont semblé en effet (après l'entracte) galvaniser la phalange nordique.

Simone Lamsma © Bruno Moussier.
Simone Lamsma © Bruno Moussier.
Doté d'une petite et grande harmonie et de percussions de premier ordre, l'orchestre danois a livré une superbe ouverture du "Vaisseau fantôme", restituant comme dans la suite du programme (des extraits du Ring) les chatoiements et rutilances de l'écriture orchestrale décrivant la nature ("Murmures de la forêt" dans "Siegfried", "Lever du jour et Voyage de Siegfried sur le Rhin" du "Crépuscule des dieux") ou la puissance du cri de guerre des filles de Wotan avec le motif ascendant de la "Chevauchée des Walkyries" parée de superbes couleurs, comme d'une agogique du récit idoine.

Dans ce théâtre musical fascinant dans lequel l'orchestre peint à fresque décors et sentiments, l'énergie et la passion du chef espagnol en toute sympathie (au sens plein) avec les musiciens a récolté à juste titre les acclamations du public.

Festival Berlioz
Du 18 août au 2 septembre 2018.
38, place de la Halle,
La Côte-Saint-André (38).
festival.berlioz@aida38.fr
Programmation complète et réservations :
>> festivalberlioz.com
Tél. : 04 74 20 20 79.

Le festival est organisé par l'Agence Iséroise de Diffusion Artistique (AIDA).

Christine Ducq
Samedi 25 Août 2018

Nouveau commentaire :

Concerts | Lyrique







À Découvrir

"Lilou et Lino Le Voyage vers les étoiles" Petit à petit, les chats deviennent l'âme de la maison*

Qu'il est bon de se retrouver dans une salle de spectacle !
Qu'il est agréable de quitter la jungle urbaine pour un moment de calme…
Qu'il est hallucinant de risquer encore plus sa vie à vélo sur une piste cyclable !
Je ne pensais pas dire cela en pénétrant une salle bondée d'enfants, mais au bruit du dehors, très souvent infernal, j'ai vraiment apprécié l'instant et le brouhaha des petits, âgés, de 3 à 8 ans.

© Delphine Royer.
Sur scène du Théâtre Essaïon, un décor représente une chambre d'enfant, celle d'une petite fille exactement. Cette petite fille est interprétée par la vive et solaire Vanessa Luna Nahoum, tiens ! "Luna" dans son prénom, ça tombe si bien. Car c'est sur la lune que nous allons voyager avec elle. Et les enfants, sages comme des images, puisque, non seulement, Vanessa a le don d'adoucir les plus dissipés qui, très vite, sont totalement captés par la douceur des mots employés, mais aussi parce que Vanessa apporte sa voix suave et apaisée à l'enfant qu'elle incarne parfaitement. Un modèle pour les parents présents dans la salle et un régal pour tous ses "mini" yeux rivés sur la scène. Face à la comédienne.

Vanessa Luna Nahoum est Lilou et son chat – Lino – n'est plus là. Ses parents lui racontent qu'il s'est envolé dans les étoiles pour y pêcher. Quelle étrange idée ! Mais la vie sans son chat, si belle âme, à la fois réconfortante, câline et surprenante, elle ne s'y résout pas comme ça. Elle l'adore "trop" son animal de compagnie et qui, pour ne pas comprendre cela ? Personne ce matin en tout cas. Au contraire, les réactions fusent, le verbe est bien choisi. Les enfants sont entraînés dans cette folie douce que propose Lilou : construire une fusée et aller rendre visite à son gros minet.

Isabelle Lauriou
15/05/2025
Spectacle à la Une

"Un Chapeau de paille d'Italie" Une version singulière et explosive interrogeant nos libertés individuelles face aux normalisations sociétales et idéologiques

Si l'art de générer des productions enthousiastes et inventives est incontestablement dans l'ADN de la compagnie L'Éternel Été, l'engagement citoyen fait aussi partie de la démarche créative de ses membres. La présente proposition ne déroge pas à la règle. Ainsi, Emmanuel Besnault et Benoît Gruel nous offrent une version décoiffante, vive, presque juvénile, mais diablement ancrée dans les problématiques actuelles, du "Chapeau de paille d'Italie"… pièce d'Eugène Labiche, véritable référence du vaudeville.

© Philippe Hanula.
L'argument, simple, n'en reste pas moins source de quiproquos, de riantes ficelles propres à la comédie et d'une bonne dose de situations grotesques, burlesques, voire absurdes. À l'aube d'un mariage des plus prometteurs avec la très florale Hélène – née sans doute dans les roses… ornant les pépinières parentales –, le fringant Fadinard se lance dans une quête effrénée pour récupérer un chapeau de paille d'Italie… Pour remplacer celui croqué – en guise de petit-déj ! – par un membre de la gent équestre, moteur exclusif de son hippomobile, ci-devant fiacre. À noter que le chapeau alimentaire appartenait à une belle – porteuse d'une alliance – en rendez-vous coupable avec un soldat, sans doute Apollon à ses heures perdues.

N'ayant pas vocation à pérenniser toute forme d'adaptation académique, nos deux metteurs en scène vont imaginer que cette histoire absurde est un songe, le songe d'une nuit… niché au creux du voyage ensommeillé de l'aimable Fadinard. Accrochez-vous à votre oreiller ! La pièce la plus célèbre de Labiche se transforme en une nouvelle comédie explosive, électro-onirique ! Comme un rêve habité de nounours dans un sommeil moelleux peuplé d'êtres extravagants en doudounes orange.

Gil Chauveau
11/03/2024
Spectacle à la Une

"La vie secrète des vieux" Aimer même trop, même mal… Aimer jusqu'à la déchirure

"Telle est ma quête", ainsi parlait l'Homme de la Mancha de Jacques Brel au Théâtre des Champs-Élysées en 1968… Une quête qu'ont fait leur cette troupe de vieux messieurs et vieilles dames "indignes" (cf. "La vieille dame indigne" de René Allio, 1965, véritable ode à la liberté) avides de vivre "jusqu'au bout" (ouaf… la crudité revendiquée de leur langue émancipée y autorise) ce qui constitue, n'en déplaise aux catholiques conservateurs, le sel de l'existence. Autour de leur metteur en scène, Mohamed El Khatib, ils vont bousculer les règles de la bienséance apprise pour dire sereinement l'amour chevillé au corps des vieux.

© Christophe Raynaud de Lage.
Votre ticket n'est plus valable. Prenez vos pilules, jouez au Monopoly, au Scrabble, regardez la télé… des jeux de votre âge quoi ! Et surtout, ayez la dignité d'attendre la mort en silence, on ne veut pas entendre vos jérémiades et – encore moins ! – vos chuchotements de plaisir et vos cris d'amour… Mohamed El Khatib, fin observateur des us et coutumes de nos sociétés occidentales, a documenté son projet théâtral par une série d'entretiens pris sur le vif en Ehpad au moment de la Covid, des mouroirs avec eau et électricité à tous les étages. Autour de lui et d'une aide-soignante, artiste professionnelle pétillante de malice, vont exister pleinement huit vieux et vieilles revendiquant avec une belle tranquillité leur droit au sexe et à l'amour (ce sont, aussi, des sentimentaux, pas que des addicts de la baise).

Un fauteuil roulant poussé par un vieux très guilleret fait son entrée… On nous avertit alors qu'en fonction du grand âge des participant(e)s au plateau, et malgré les deux défibrillateurs à disposition, certain(e)s sont susceptibles de mourir sur scène, ce qui – on l'admettra aisément – est un meilleur destin que mourir en Ehpad… Humour noir et vieilles dentelles, le ton est donné. De son fauteuil, la doyenne de la troupe, 91 ans, Belge et ancienne présentatrice du journal TV, va ar-ti-cu-ler son texte, elle qui a renoncé à son abonnement à la Comédie-Française car "ils" ne savent plus scander, un vrai scandale ! Confiant plus sérieusement que, ce qui lui manque aujourd'hui – elle qui a eu la chance d'avoir beaucoup d'hommes –, c'est d'embrasser quelqu'un sur la bouche et de manquer à quelqu'un.

Yves Kafka
30/08/2024