La Revue du Spectacle, le magazine des arts de la scène et du spectacle vivant. Infos théâtre, chanson, café-théâtre, cirque, arts de la rue, agenda, CD, etc.



Augmenter la taille du texte
Diminuer la taille du texte
Partager
Théâtre

"Même"… Complètement déjanté et au pluriel !

Autour d'une comédie musicale loufoque, Pierre Rigal, avec le groupe Microréalité, propose une vision décalée des rapports humains au travers d'une succession de répétitions à chaque fois différente. Danse, théâtre et musique forment un trio où le pareil prend une résonance autre.



© Giovanni Cittadini Cesi.
© Giovanni Cittadini Cesi.
Nous sommes dans un lieu de répétition. À l'entame du spectacle, sur un grand écran est inscrit qu'il y a neuf artistes, alors qu'ils sont huit. En rang aligné, ils se déshabillent de leurs vêtements, portés en double. Bref, ils ne se déshabillent pas. L'absurde des situations, dès ces premiers instants, apparaît. Le fil conducteur de cette création est que chaque moment est vu au travers d'une vision toujours en décalé d'un point de vue soit visuel, soit auditif, soit corporel ou les trois à la fois.

Musique et théâtre sont liés fortement. On joue avec les sons, les échos des uns et des autres pour donner de la représentation un aspect assez étrange parfois. Les accessoires musicaux sont aussi utilisés. Les interprètes jouent à se répéter, mais toujours différemment. Cela est fait de façon automatique, à savoir machinale, ou humainement. Le même s'habille du pluriel.

© Giovanni Cittadini Cesi.
© Giovanni Cittadini Cesi.
Les propos sont repris à tour de rôle au travers d'une déformation ou d'une obsession. Ce qui est clamé à l'instant T, peut être déclamé plus fort ou détourné à l'instant T+1. Le cadre et les attitudes changent de façon continue. Leurs vitesses et leur détour aussi. Ainsi, tout le groupe, à un moment, est dans un tempo vocal, corporel et musical très rapide, comme un disque trente-trois tours qui tournerait à la vitesse d'un soixante-dix huit tours. Les rires, paroles et sons ont ainsi une sonorité très aiguë accompagnée d'une gestuelle très rapide. C'est réussi !

Le concepteur Pierre Rigal aborde la perception dans ses travers, ses incompréhensions et ses loupés. Il la met dans un contexte où chacun a sa propre identité. Mais, au prisme de celui-ci, elle se multiplie, devient plurielle, car traversée par un environnement, un espace et un ensemble de personnes.

Ici, entre émetteur et récepteur, c'est la distance qui sépare le message de son incompréhension, l'appréhension de son rejet, le même du pluriel. À tour de rôle, ce contexte, autant spatial, musical, sonore, qu'humain et technologique, donne une couleur, une ambiance, une atmosphère qui évoluent ou peut changer de tout au tout. Les relations des uns et des autres en découlent.

© Giovanni Cittadini Cesi.
© Giovanni Cittadini Cesi.
La musique et les chants sont assurés par le groupe trans-rock Microréalité dont Pierre Rigal fait partie. Microréalité donne à la représentation une couleur et du rythme. La danse est aussi très présente, surtout au début où les artistes répètent des mouvements de groupe qui sont assez lâches, plus ou moins synchronisés. La spontanéité semble gouverner ceux-ci.

Vers la fin du spectacle, le théâtre absurde façon Ionesco joue ses gammes en rejouant le début de la représentation, de façon identique, avec une nuance de taille. Pierre, l'un des interprètes, prend conscience que ce qui se joue s'est déjà joué, créant ainsi un décalage entre sa perception et celle de ses alter ego.

Le spectacle est déjanté. Il fait surtout prendre conscience que ce qui se trame dans une communication, ce sont ces écarts, petits ou grands, que chacun peut appréhender par rapport à son psychisme, une situation, un groupe, une relation à deux ou à plusieurs.

Au final, le revêtement sombre de la scène est retourné recouvrant les artistes. Puis noir. Celui du revêtement et des lumières. Mais pas les mêmes. Et pourtant.

"Même"

© Giovanni Cittadini Cesi.
© Giovanni Cittadini Cesi.
Comédie musicale déjantée de Pierre Rigal.
Musique en direct : Microréalité.
Avec : Pierre Cartonnet, Mélanie Chartreux, Antonin Chaumet, Gwenaël Drapeau, Sébastien Forrester, Pierre Rigal, Denis Robert, Juliette Roudet, Crystal Shepherd-Cross.
Collaboration artistique : Roy Genty.
Collaboration à l'écriture des textes : Serge Kribus.
Lumière : Frédéric Stoll.
Sonorisation : George Dyson.
Assistant artistique : Christian Vialaret.
Production Compagnie Dernière Minute.
Durée : 1 h 20.

Du 8 au 19 février 2022.
Du mardi au samedi à 18 h 30.
Relâche les 13 et 14 février.
Théâtre du Rond-Point, Salle Renaud-Barrault, Paris 8e, 01 44 95 98 00.
>> theatredurondpoint.fr

© Giovanni Cittadini Cesi.
© Giovanni Cittadini Cesi.

Safidin Alouache
Vendredi 11 Février 2022

Nouveau commentaire :

Théâtre | Danse | Concerts & Lyrique | À l'affiche | À l'affiche bis | Cirque & Rue | Humour | Festivals | Pitchouns | Paroles & Musique | Avignon 2017 | Avignon 2018 | Avignon 2019 | CédéDévédé | Trib'Une | RV du Jour | Pièce du boucher | Coulisses & Cie | Coin de l’œil | Archives | Avignon 2021 | Avignon 2022 | Avignon 2023 | Avignon 2024 | À l'affiche ter | Avignon 2025












À Découvrir

"La Chute" Une adaptation réussie portée par un jeu d'une force organique hors du commun

Dans un bar à matelots d'Amsterdam, le Mexico-City, un homme interpelle un autre homme.
Une longue conversation s'initie entre eux. Jean-Baptiste Clamence, le narrateur, exerçant dans ce bar l'intriguant métier de juge-pénitent, fait lui-même les questions et les réponses face à son interlocuteur muet.

© Philippe Hanula.
Il commence alors à lever le voile sur son passé glorieux et sa vie d'avocat parisien. Une vie réussie et brillante, jusqu'au jour où il croise une jeune femme sur le pont Royal à Paris, et qu'elle se jette dans la Seine juste après son passage. Il ne fera rien pour tenter de la sauver. Dès lors, Clamence commence sa "chute" et finit par se remémorer les événements noirs de son passé.

Il en est ainsi à chaque fois que nous prévoyons d'assister à une adaptation d'une œuvre d'Albert Camus : un frémissement d'incertitude et la crainte bien tangible d'être déçue nous titillent systématiquement. Car nous portons l'auteur en question au pinacle, tout comme Jacques Galaud, l'enseignant-initiateur bien inspiré auprès du comédien auquel, il a proposé, un jour, cette adaptation.

Pas de raison particulière pour que, cette fois-ci, il en eût été autrement… D'autant plus qu'à nos yeux, ce roman de Camus recèle en lui bien des considérations qui nous sont propres depuis toujours : le moi, la conscience, le sens de la vie, l'absurdité de cette dernière, la solitude, la culpabilité. Entre autres.

Brigitte Corrigou
09/10/2024
Spectacle à la Une

"Very Math Trip" Comment se réconcilier avec les maths

"Very Math Trip" est un "one-math-show" qui pourra réconcilier les "traumatisés(es)" de cette matière que sont les maths. Mais il faudra vous accrocher, car le cours est assuré par un professeur vraiment pas comme les autres !

© DR.
Ce spectacle, c'est avant tout un livre publié par les Éditions Flammarion en 2019 et qui a reçu en 2021 le 1er prix " La Science se livre". L'auteur en est Manu Houdart, professeur de mathématiques belge et personnage assez emblématique dans son pays. Manu Houdart vulgarise les mathématiques depuis plusieurs années et obtient le prix de " l'Innovation pédagogique" qui lui est décerné par la reine Paola en personne. Il crée aussi la maison des Maths, un lieu dédié à l'apprentissage des maths et du numérique par le jeu.

Chaque chapitre de cet ouvrage se clôt par un "Waooh" enthousiaste. Cet enthousiasme opère aussi chez les spectateurs à l'occasion de cet one-man-show exceptionnel. Un spectacle familial et réjouissant dirigé et mis en scène par Thomas Le Douarec, metteur en scène du célèbre spectacle "Les Hommes viennent de Mars et les femmes de Vénus".

N'est-ce pas un pari fou que de chercher à faire aimer les mathématiques ? Surtout en France, pays où l'inimitié pour cette matière est très notoire chez de nombreux élèves. Il suffit pour s'en faire une idée de consulter les résultats du rapport PISA 2022. Rapport édifiant : notre pays se situe à la dernière position des pays européens et avant-dernière des pays de l'OCDE.
Il faut urgemment reconsidérer les bases, Monsieur le ministre !

Brigitte Corrigou
12/04/2025
Spectacle à la Une

"La vie secrète des vieux" Aimer même trop, même mal… Aimer jusqu'à la déchirure

"Telle est ma quête", ainsi parlait l'Homme de la Mancha de Jacques Brel au Théâtre des Champs-Élysées en 1968… Une quête qu'ont fait leur cette troupe de vieux messieurs et vieilles dames "indignes" (cf. "La vieille dame indigne" de René Allio, 1965, véritable ode à la liberté) avides de vivre "jusqu'au bout" (ouaf… la crudité revendiquée de leur langue émancipée y autorise) ce qui constitue, n'en déplaise aux catholiques conservateurs, le sel de l'existence. Autour de leur metteur en scène, Mohamed El Khatib, ils vont bousculer les règles de la bienséance apprise pour dire sereinement l'amour chevillé au corps des vieux.

© Christophe Raynaud de Lage.
Votre ticket n'est plus valable. Prenez vos pilules, jouez au Monopoly, au Scrabble, regardez la télé… des jeux de votre âge quoi ! Et surtout, ayez la dignité d'attendre la mort en silence, on ne veut pas entendre vos jérémiades et – encore moins ! – vos chuchotements de plaisir et vos cris d'amour… Mohamed El Khatib, fin observateur des us et coutumes de nos sociétés occidentales, a documenté son projet théâtral par une série d'entretiens pris sur le vif en Ehpad au moment de la Covid, des mouroirs avec eau et électricité à tous les étages. Autour de lui et d'une aide-soignante, artiste professionnelle pétillante de malice, vont exister pleinement huit vieux et vieilles revendiquant avec une belle tranquillité leur droit au sexe et à l'amour (ce sont, aussi, des sentimentaux, pas que des addicts de la baise).

Un fauteuil roulant poussé par un vieux très guilleret fait son entrée… On nous avertit alors qu'en fonction du grand âge des participant(e)s au plateau, et malgré les deux défibrillateurs à disposition, certain(e)s sont susceptibles de mourir sur scène, ce qui – on l'admettra aisément – est un meilleur destin que mourir en Ehpad… Humour noir et vieilles dentelles, le ton est donné. De son fauteuil, la doyenne de la troupe, 91 ans, Belge et ancienne présentatrice du journal TV, va ar-ti-cu-ler son texte, elle qui a renoncé à son abonnement à la Comédie-Française car "ils" ne savent plus scander, un vrai scandale ! Confiant plus sérieusement que, ce qui lui manque aujourd'hui – elle qui a eu la chance d'avoir beaucoup d'hommes –, c'est d'embrasser quelqu'un sur la bouche et de manquer à quelqu'un.

Yves Kafka
30/08/2024