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Avignon 2022

•Off 2022• "Surexpositions (Patrick Dewaere)", une vie (d'artiste) en pente douce…

Il est des noms qui cristallisent à eux seuls les affects et jugements les plus passionnés, comme si les surexpositions qui furent les leurs irradiaient bien après leur disparition. Patrick Deweare a vécu comme il a joué, confondant sa vie personnelle et sa vie d'artiste dans les mêmes exigences de liberté portées jusqu'à leur incandescence. Les rôles de paumés, losers, rebelles, qu'il endossait à l'envi étaient comme une seconde peau. Marion Aubert et Julien Rocha, entourés de leurs quatre complices au plateau, s'emparent de cette matière en fusion, non pour en livrer un biopic sulfureux, mais pour donner à voir les fragments d'un discours amoureux dont il serait le combustible.



01 © Julien Bruhat.
01 © Julien Bruhat.
Sur une scène convertie en studio de cinéma, la caméra (notre œil) participe du tournage à rebours de séquences phares éclairant une trajectoire de trente-cinq années hors normes, volant en éclats un début d'après-midi de juillet 1982. Aucune nostalgie sacramentelle ici mais, dans l'esprit même du sujet abordé, un foutoir délicieux, bouillonnant de séquences truculentes interprétées par quatre acteurs jouant tous les rôles… Patrick Deweare à la mèche rebelle et à la moustache soulignant un sourire mélancolique lourd de rage rentrée, Miou Miou, la jeune femme libérée, menant son jeu sans entrave, Gérard Depardieu, affublé de son pif conséquent, Coluche et son nez rouge, Romain Bouteille et son col roulé, Bertrand Blier et sa pipe, Jeanne Moreau et son phrasé, etc., tous ces avatars enjoués vont faire revivre leur modèle original.

Construit comme des zooms successifs autour de focales mythiques - "Les Valseuses", "La Meilleure façon de marcher", "Série Noire", etc. -, les scènes sont rejouées à vue de manière décalée. Remake de la séquence de Miou Miou au lit avec Patrick et Gérard dans "Les Valseuses", les deux garçons pantalon sur les talons et cul à l'air se précipitant sur elle, un morceau d'anthologie "réhabilité" avec humour en direct pour mieux faire entendre la liberté exceptionnelle de l'époque soixante-huitarde où les femmes avaient conquis le droit de jouir (ou pas) à leur guise. Lorsque l'on sait que l'acteur était alors (mais pas que) "en couple" avec Miou Miou et qu'un an après elle le quitterait en toute liberté pour le beau Julien Clerc, rupture au point de départ d'une dégringolade annoncée, le relief de la scène hilarante d'érotisme délié devient autre. Vivre jusqu'à en mourir…

© Remi Blasquez.
© Remi Blasquez.
Il est vrai qu'être né dans les coulisses d'un théâtre, alors que sa mère actrice venait de sortir de scène, constitue une entrée fracassante dans la prédestination d'un homme acteur, "né dans les poubelles d'un théâtre", dira-t-il, le nom de son père lui étant inconnu. Les trois comédiens campant superbement le trio des valseuses - Pierrot/Patrick, Jean-Claude/Gérard et Marie-Ange/Miou Miou - échangent sur cette époque où "on ne parlait pas politique, mais où on était politique", de cette époque où Bertrand Blier (épais favoris, lunettes et pipe en main), le réalisateur iconoclaste, explique qu'il voulait tout bonnement "faire dérailler la France" encore bien coincée. "Les rôles n'étaient pas joués, on les vivait". Et l'actrice jouant Miou Miou de traverser le plateau, sautillante, libre comme l'air, culotte à la main et fesses à l'air.

D'autres clins d'œil encore pleins de malices libertaires verront Jeanne Moreau, jouant une femme abîmée par la vie, se donner du bon temps avec les deux garçons des "Valseuses" avant de se tirer en coulisses une balle dans le vagin. Ou encore les deux compères songeurs, leur ligne plongée dans un seau, entendre Miou Miou leur raconter innocemment comment elle a réussi à jouir avec un autre… avant de se faire déverser leurs seaux d'eau sur son ingénue frimousse.

L'idée de la virilité dans les années soixante, où l'homosexualité était rangée dans la catégorie des maladies mentales, sera épinglée sur le plateau par Claude Miller, costume et larges lunettes : "Patrick, jouant dans "La meilleure façon de marcher" le viril Marc, surprenant Philippe, le corps enserré dans sa robe rouge, était authentique et comme toujours dans l'excès". Quand il s'agira du "Juge Fayard", Yves Boisset lui confiera tout naturellement le rôle du Sheriff, redresseur de torts aux méthodes musclées pour s'attaquer aux gens de pouvoir. Comme dans "Coup de tête" de Jean-Jacques Annaud où il sera le footballeur maudit qui réussira à régler son compte à la crapule vedette.

© Remi Blasquez.
© Remi Blasquez.
Enfin, le tournage de "Série Noire" d'Alain Corneau où Patrick Dewaere lui exprime son désir de "se barrer de ce film de merde, deux types paumés (lui, Franck Poupart le minable représentant de commerce à l'étroit dans sa vie, et Marie Trintignant, la séduisante et perdue Mona) dans un film de paumés". Et la scène culte où il cogne sa tête contre la voiture, si elle apparaît si vraie, c'est qu'il s'est réellement projeté sur le capot… Sur le tournage, Alain Corneau confie encore que "Dewaere était comme possédé, semblait ne faire qu'un avec Frank. Il n'hésitait pas à utiliser ses souffrances les plus profondes pour donner vie au personnage, confondant de manière permanente réalité et fiction".

Quant à l'ultime coup d'éclat de celui qui a brûlé sa vie, il est à placer encore sous l'égide du romanesque d'une ultime séparation sentimentale de cet homme blessé en quête d'amour et de reconnaissance. Ce soir, sur le plateau d'un théâtre, Patrick Dewaere a sans doute eu l'audience qu'il aurait toujours souhaité avoir : non pas être célébré comme un acteur écorché vif, mais être reconnu pour ce qu'il était, un homme fragile et sensible. Et ce grâce à l'intelligence tout aussi sensible de la Compagnie le Souffleur de Verre.

Vu le mercredi 27 juillet à La Factory, Théâtre de L'Oulle, Avignon.

"Surexpositions (Patrick Dewaere)"

Texte : Marion Aubert.
Mise en scène : Julien Rocha.
Avec : Margaux Desailly, Fabrice Gaillard, Johanna Nizard, Cédric Veschambre.
Dramaturgie : Émilie Beauvais, Julien Rocha.
Scénographie : Clément Dubois.
Création sonore : Benjamin Gibert.
Création lumière : Nicolas Galland.
Régie générale : Clément Breton.
Régie lumière : Nicolas Galland, en alternance avec Amandine Robert et Alexandre Schreiber.
Régie son et vidéo : Julien Lemaire, en alternance avec Yann Sandeau.
Costumes : Marie-Fred Fillion.
Perruques : Cécile Kretschmar.
Par la Cie Le Souffleur de Verre.
À partir de 16 ans.
Durée : 1 h 50.

•Avignon Off 2022•
Du 7 au 30 juillet 2022.
Tous les jours à 21 h 40, relâche le lundi.
La Factory, Théâtre de L'Oulle, 19, place Crillon (en juillet), Avignon.
Tél. : 09 74 74 64 90.
>> theatredeloulle.com

Tournée
Du 13 au 23 octobre 2022 : Théâtre Les Célestins, Lyon (69).
10 décembre 2022 : La Chartreuse, Villeneuve-lez-Avignon (30).
3 avril 2023 : Théâtre de Châtillon, Châtillon (92).
6 et 7 avril 2023 : Les Quinconces, Vals-Les Bains (07).
13 avril 2023 : Le Carreau, Forbach (57).
Saison 2023-2024 (en cours) : MC2, Grenoble (38).

Yves Kafka
Dimanche 31 Juillet 2022

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"Le Chef-d'œuvre Inconnu" Histoire fascinante transcendée par le théâtre et le génie d'une comédienne

À Paris, près du quai des Grands-Augustins, au début du XVIIe siècle, trois peintres devisent sur leur art. L'un est un jeune inconnu promis à la gloire : Nicolas Poussin. Le deuxième, Franz Porbus, portraitiste du roi Henri IV, est dans la plénitude de son talent et au faîte de sa renommée. Le troisième, le vieux Maître Frenhofer, personnage imaginé par Balzac, a côtoyé les plus grands maîtres et assimilé leurs leçons. Il met la dernière main dans le plus grand secret à un mystérieux "chef-d'œuvre".

© Jean-François Delon.
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06/03/2024
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"L'Effet Papillon" Se laisser emporter au fil d'un simple vol de papillon pour une fascinante expérience

Vous pensez que vos choix sont libres ? Que vos pensées sont bien gardées dans votre esprit ? Que vous êtes éventuellement imprévisibles ? Et si ce n'était pas le cas ? Et si tout partait de vous… Ouvrez bien grands les yeux et vivez pleinement l'expérience de l'Effet Papillon !

© Pics.
Vous avez certainement entendu parler de "l'effet papillon", expression inventée par le mathématicien-météorologue Edward Lorenz, inventeur de la théorie du chaos, à partir d'un phénomène découvert en 1961. Ce phénomène insinue qu'il suffit de modifier de façon infime un paramètre dans un modèle météo pour que celui-ci s'amplifie progressivement et provoque, à long terme, des changements colossaux.

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C'est à partir de cette théorie que le mentaliste Taha Mansour nous invite à nouveau, en cette rentrée, à effectuer un voyage hors du commun. Son spectacle a reçu un succès notoire au Sham's Théâtre lors du Festival d'Avignon cet été dernier.

Impossible que quiconque sorte "indemne" de cette phénoménale prestation, ni que nos certitudes sur "le monde comme il va", et surtout sur nous-mêmes, ne soient bousculées, chamboulées, contrariées.

"Le mystérieux est le plus beau sentiment que l'on peut ressentir", Albert Einstein. Et si le plus beau spectacle de mentalisme du moment, en cette rentrée parisienne, c'était celui-là ? Car Tahar Mansour y est fascinant à plusieurs niveaux, lui qui voulait devenir ingénieur, pour qui "Centrale" n'a aucun secret, mais qui, pourtant, a toujours eu une âme d'artiste bien ancrée au fond de lui. Le secret de ce spectacle exceptionnel et époustouflant serait-il là, niché au cœur du rationnel et de la poésie ?

Brigitte Corrigou
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© Christel Billault.
Ordonné, pratique, méthodique, il organise l'extermination des marginaux et des Juifs comme un gestionnaire. Point. Il aurait été, comme son sous-fifre Adolf Eichmann, le type même décrit par Hannah Arendt comme étant la "banalité du mal". Mais Himmler échappa à son procès en se donnant la mort. Parfois, rien n'est plus monstrueux que la banalité, l'ordre, la médiocrité.

Malgré la pâleur de leur personnalité, les noms de ces âmes de fonctionnaires sont gravés dans notre mémoire collective comme l'incarnation du Mal et de l'inimaginable, quand d'autres noms - dont les actes furent éblouissants d'humanité - restent dans l'ombre. Parmi eux, Oskar Schindler et sa liste ont été sauvés de l'oubli grâce au film de Steven Spielberg, mais également par la distinction qui lui a été faite d'être reconnu "Juste parmi les nations". D'autres n'ont eu aucune de ces deux chances. Ainsi, le héros de cette pièce, Félix Kersten, oublié.

Joseph Kessel lui consacra pourtant un livre, "Les Mains du miracle", et, aujourd'hui, Antoine Nouel, l'auteur de la pièce, l'incarne dans la pièce qu'il a également mise en scène. C'est un investissement total que ce comédien a mis dans ce projet pour sortir des nimbes le visage étonnant de ce personnage de l'Histoire qui, par son action, a fait libérer près de 100 000 victimes du régime nazi. Des chiffres qui font tourner la tête, mais il est le résultat d'une volonté patiente qui, durant des années, négocia la vie contre le don.

Bruno Fougniès
15/10/2023