La Revue du Spectacle, le magazine des arts de la scène et du spectacle vivant. Infos théâtre, chanson, café-théâtre, cirque, arts de la rue, agenda, CD, etc.



Augmenter la taille du texte
Diminuer la taille du texte
Partager
Théâtre

"Al Atlal"… Zoom sur Oum

Dans un concert autour du théâtre, de la danse et d'une chanson d'Oum Kalsoum, Norah Krief raconte ses souvenirs d'enfance avec sa mère et, entre autres, son couscous, son appartement avec ses rideaux bancs et la Tunisie. Au travers d'une création où se mêle nostalgie et un "ailleurs" qui est celui des rives de la Méditerranée, elle recompose une mémoire toute personnelle comme un écho, hasardeux, à celle, beaucoup plus politique, qui peut se jouer en ce moment.



© Jean-Louis Fernandez.
© Jean-Louis Fernandez.
La voix est belle, posée, timbrée d'émotions, celle d'une femme redevenue enfant le temps d'un concert où elle raconte ses souvenirs autour de sa mère. Cette femme est Norah Krief et l'unique chanson du concert est "Al Atlal" (les ruines), un poème d'Ibrahim Nagi (1898-1953), poète égyptien chanté par Oum Kalsoum (1898-1975) la première fois en 1965. Très grande chanteuse égyptienne du monde oriental, elle est la référence du monde arabe, un repère artistique comme les Beatles dans le monde occidental.

Ces ruines sont celles de l'amante après son départ. L'amante est, ici, la Tunisie pour la comédienne qui y est née et qu'elle a quitté à l'âge de 2 ans. Ce poème est celui du souvenir pour notre interprète, l'amant/l'amante éploré(e) pour le poète… ou politique pour Nasser (1918-1970) qui en avait cité quelques vers pour annoncer la défaite miliaire de l'Égypte en 1967.

Sur scène, c'est une alternance de chant et de récit. Ouds, guitare électrique, percussions orientales et clavier accompagnent la chanteuse. L'Orient embrasse l'Occident, le passé le présent, les souvenirs l'exil, les plaisirs les moments plus douloureux. Théâtre et musique forment un couple. Solos de guitare électrique et d'ouds s'enchaînent. Ce qui fait mouche est ce mariage entre Orient et Occident au-delà des souvenirs personnels de l'interprète, c'est celle aussi d'une Histoire commune, nouée entre les deux rives de la Méditerranée, qui a lié cultures maghrébine et française autour de la nostalgie et d'une mémoire personnelle ou politique à recomposer.

© Jean-Louis Fernandez.
© Jean-Louis Fernandez.
Ici, chant et musique sont politiques au sens noble. L'oud embrasse son "note à note" autour de la guitare électrique avec ses accords plus glissants, les percussions orientales s'appuyant sur les claviers pour apporter des touches vives, rapides, très sonores quand le clavier est dans un registre plus discret.

L'approche est moderne avec cette musique du monde alors que, dans la version originale, instruments à vent (flûte, violons, altos, violoncelles, contrebasse) et percussions étaient dans un rythme traditionnel oriental. Les guitares ayant remplacé les instruments à vent, le tempo est plus lent, moins chargé, mais plus soutenu dans ses accords.

La danse apparaît aussi avec, même si Norah Krief n'est pas danseuse, des mouvements ressemblant à une danse du ventre sans ceux du bassin, seuls les bras formant des ondulations. C'est un va-et-vient entre deux rives, symbolisé par quatre instruments, deux d'Orient et deux d'Occident.

Le concert résume cette double culture. Autour de son histoire, qui est celle de centaines de milliers de personnes en France, l'interprète est rejoint par ses musiciens avec leurs morceaux de souvenir d'Algérie, d'Espagne et de Syrie. Bref, un spectacle ouvert sur le monde et de ce qui relie les peuples entre eux. Un vrai bol d'air dans une époque repliée sur ses peurs et ses rejets.

"Al Atlal, chant pour ma mère"

© Jean-Louis Fernandez.
© Jean-Louis Fernandez.
Un spectacle de Norah Krief.
D'après le poème d'Ibrahim Nagi chanté par Oum Kalsoum, sur une musique de Riad Al Sunbati.
Écriture et dramaturgie : Norah Krief et Frédéric Fresson.
Avec : Norah Krief, Frédéric Fresson, Lucien Zerrad ou Antonin Fresson, Mohanad Aljaramani ou Hareth Mhedi.
Musique : Frédéric Fresson, Lucien Zerrad et Mohanad Aljaramani.
Collaboration artistique : Charlotte Farcet.
Traduction : Khaled Osman.
Regard extérieur : Éric Lacascade.
Lumières : Jean-Jacques Beaudouin.
Scénographie et costumes : Magali Murbach et Malgorzata Szczesniak.
Son : Olivier Gascoin avec Yohann Gabillard.
Coaching chant oriental : Dorsaf Hamdani.
Collaboration live et machines : Duma Poutet aka (Otisto 23).
Remerciements à Éric Wittersheim et Marie Descourtieux de l'Institut du monde arabe.
Durée : 1 h.

© Jean-Louis Fernandez.
© Jean-Louis Fernandez.
Du 1er au 13 juillet 2021.
Du lundi au samedi à 19 h.
La Colline - théâtre national, Petit Théâtre, Paris 20e, 01 44 62 52 52.
>> colline.fr

Le spectacle sera également présenté à la MC93 Bobigny du 24 septembre au 2 octobre 2021.

Safidin Alouache
Lundi 5 Juillet 2021

Nouveau commentaire :

Théâtre | Danse | Concerts & Lyrique | À l'affiche | À l'affiche bis | Cirque & Rue | Humour | Festivals | Pitchouns | Paroles & Musique | Avignon 2017 | Avignon 2018 | Avignon 2019 | CédéDévédé | Trib'Une | RV du Jour | Pièce du boucher | Coulisses & Cie | Coin de l’œil | Archives | Avignon 2021 | Avignon 2022 | Avignon 2023 | Avignon 2024 | À l'affiche ter | Avignon 2025







À Découvrir

"Lilou et Lino Le Voyage vers les étoiles" Petit à petit, les chats deviennent l'âme de la maison*

Qu'il est bon de se retrouver dans une salle de spectacle !
Qu'il est agréable de quitter la jungle urbaine pour un moment de calme…
Qu'il est hallucinant de risquer encore plus sa vie à vélo sur une piste cyclable !
Je ne pensais pas dire cela en pénétrant une salle bondée d'enfants, mais au bruit du dehors, très souvent infernal, j'ai vraiment apprécié l'instant et le brouhaha des petits, âgés, de 3 à 8 ans.

© Delphine Royer.
Sur scène du Théâtre Essaïon, un décor représente une chambre d'enfant, celle d'une petite fille exactement. Cette petite fille est interprétée par la vive et solaire Vanessa Luna Nahoum, tiens ! "Luna" dans son prénom, ça tombe si bien. Car c'est sur la lune que nous allons voyager avec elle. Et les enfants, sages comme des images, puisque, non seulement, Vanessa a le don d'adoucir les plus dissipés qui, très vite, sont totalement captés par la douceur des mots employés, mais aussi parce que Vanessa apporte sa voix suave et apaisée à l'enfant qu'elle incarne parfaitement. Un modèle pour les parents présents dans la salle et un régal pour tous ses "mini" yeux rivés sur la scène. Face à la comédienne.

Vanessa Luna Nahoum est Lilou et son chat – Lino – n'est plus là. Ses parents lui racontent qu'il s'est envolé dans les étoiles pour y pêcher. Quelle étrange idée ! Mais la vie sans son chat, si belle âme, à la fois réconfortante, câline et surprenante, elle ne s'y résout pas comme ça. Elle l'adore "trop" son animal de compagnie et qui, pour ne pas comprendre cela ? Personne ce matin en tout cas. Au contraire, les réactions fusent, le verbe est bien choisi. Les enfants sont entraînés dans cette folie douce que propose Lilou : construire une fusée et aller rendre visite à son gros minet.

Isabelle Lauriou
15/05/2025
Spectacle à la Une

"Un Chapeau de paille d'Italie" Une version singulière et explosive interrogeant nos libertés individuelles face aux normalisations sociétales et idéologiques

Si l'art de générer des productions enthousiastes et inventives est incontestablement dans l'ADN de la compagnie L'Éternel Été, l'engagement citoyen fait aussi partie de la démarche créative de ses membres. La présente proposition ne déroge pas à la règle. Ainsi, Emmanuel Besnault et Benoît Gruel nous offrent une version décoiffante, vive, presque juvénile, mais diablement ancrée dans les problématiques actuelles, du "Chapeau de paille d'Italie"… pièce d'Eugène Labiche, véritable référence du vaudeville.

© Philippe Hanula.
L'argument, simple, n'en reste pas moins source de quiproquos, de riantes ficelles propres à la comédie et d'une bonne dose de situations grotesques, burlesques, voire absurdes. À l'aube d'un mariage des plus prometteurs avec la très florale Hélène – née sans doute dans les roses… ornant les pépinières parentales –, le fringant Fadinard se lance dans une quête effrénée pour récupérer un chapeau de paille d'Italie… Pour remplacer celui croqué – en guise de petit-déj ! – par un membre de la gent équestre, moteur exclusif de son hippomobile, ci-devant fiacre. À noter que le chapeau alimentaire appartenait à une belle – porteuse d'une alliance – en rendez-vous coupable avec un soldat, sans doute Apollon à ses heures perdues.

N'ayant pas vocation à pérenniser toute forme d'adaptation académique, nos deux metteurs en scène vont imaginer que cette histoire absurde est un songe, le songe d'une nuit… niché au creux du voyage ensommeillé de l'aimable Fadinard. Accrochez-vous à votre oreiller ! La pièce la plus célèbre de Labiche se transforme en une nouvelle comédie explosive, électro-onirique ! Comme un rêve habité de nounours dans un sommeil moelleux peuplé d'êtres extravagants en doudounes orange.

Gil Chauveau
11/03/2024
Spectacle à la Une

"La vie secrète des vieux" Aimer même trop, même mal… Aimer jusqu'à la déchirure

"Telle est ma quête", ainsi parlait l'Homme de la Mancha de Jacques Brel au Théâtre des Champs-Élysées en 1968… Une quête qu'ont fait leur cette troupe de vieux messieurs et vieilles dames "indignes" (cf. "La vieille dame indigne" de René Allio, 1965, véritable ode à la liberté) avides de vivre "jusqu'au bout" (ouaf… la crudité revendiquée de leur langue émancipée y autorise) ce qui constitue, n'en déplaise aux catholiques conservateurs, le sel de l'existence. Autour de leur metteur en scène, Mohamed El Khatib, ils vont bousculer les règles de la bienséance apprise pour dire sereinement l'amour chevillé au corps des vieux.

© Christophe Raynaud de Lage.
Votre ticket n'est plus valable. Prenez vos pilules, jouez au Monopoly, au Scrabble, regardez la télé… des jeux de votre âge quoi ! Et surtout, ayez la dignité d'attendre la mort en silence, on ne veut pas entendre vos jérémiades et – encore moins ! – vos chuchotements de plaisir et vos cris d'amour… Mohamed El Khatib, fin observateur des us et coutumes de nos sociétés occidentales, a documenté son projet théâtral par une série d'entretiens pris sur le vif en Ehpad au moment de la Covid, des mouroirs avec eau et électricité à tous les étages. Autour de lui et d'une aide-soignante, artiste professionnelle pétillante de malice, vont exister pleinement huit vieux et vieilles revendiquant avec une belle tranquillité leur droit au sexe et à l'amour (ce sont, aussi, des sentimentaux, pas que des addicts de la baise).

Un fauteuil roulant poussé par un vieux très guilleret fait son entrée… On nous avertit alors qu'en fonction du grand âge des participant(e)s au plateau, et malgré les deux défibrillateurs à disposition, certain(e)s sont susceptibles de mourir sur scène, ce qui – on l'admettra aisément – est un meilleur destin que mourir en Ehpad… Humour noir et vieilles dentelles, le ton est donné. De son fauteuil, la doyenne de la troupe, 91 ans, Belge et ancienne présentatrice du journal TV, va ar-ti-cu-ler son texte, elle qui a renoncé à son abonnement à la Comédie-Française car "ils" ne savent plus scander, un vrai scandale ! Confiant plus sérieusement que, ce qui lui manque aujourd'hui – elle qui a eu la chance d'avoir beaucoup d'hommes –, c'est d'embrasser quelqu'un sur la bouche et de manquer à quelqu'un.

Yves Kafka
30/08/2024